Graines de voyelles révoltées
Semée dans des temps de tumulte et de désespoir, elle a germé et grandi. Elle a fleuri au fil des années pour devenir un symbole de résilience et de détermination. Elle incarne encore aujourd’hui, dans la mémoire de chacun de nous, l’idée que le changement est possible, que les idéaux peuvent perdurer, et que la jeunesse peut être la force motrice du progrès. En luttant chaque jour, à en périr, Aboubacar Saïd Salim fut l’une de ces graines qui nous inspirent.
Par Khaled Simba
L’histoire de notre patrie est tissée de fils d’acier forgés dans la résistance, de mots qui résonnent comme des hymnes à la liberté, et de révoltes silencieuses qui ont finalement trouvé leur voix. Il y a eu, entre autres, celle de Abdou Bakari Boina du MOLINACO créée en 1962, puis celle du Lycée Saïd Mohamed Cheikh avec la révolte des lycéens en mars 1968. Cette dernière a été tellement forte qu’elle résonne encore 55 ans après, dans les oreilles de milliers de jeunes Comoriens. “Swauti Ya Umati” en est l’illustration.
Affronter le colon, prendre le maquis, sensibiliser la population fut donc le premier combat de ces jeunes hommes et femmes. Une révolte de lycéens qui a donné fruit par la force de l’histoire à une classe d’hommes emplis de liberté avec un patriotisme chevillé au corps. Des hommes voulant redonner le pouvoir du peuple au peuple et prêts à y perdre des plumes pour offrir ne serait-ce qu’un brin d’espoir aux Comoriens. La singularité d’Aboubacar Saïd Salim parmi cette nouvelle classe nous a fortement marquée. Non parce qu’il portait la note plus haut que les autres, mais plutôt par sa plume acérée et son efficacité à imprimer dans la conscience collective cette vision qu’il partageait avec ses amis : une graine de révoltés, conscients de représenter l’avenir de nos quatre pierres, prêts à tout donner dans la défense de l’intérêt commun.
L’aventure a ainsi continué avec l’ASEC, devenue une prolongation de la révolte lycéenne. La plupart des soixante-huitards l’ont rejointe lors de leurs études en France, l’esprit de la lutte arcbouté en eux. Fundi Aboubacar et ses amis, Mustwafa Said Cheikh en tête de pont, ont continué le travail de conscientisation de la population à commencer par les étudiants. L’ASEC, “un machin du ministère français des colonies” (d’après les fragments d’expérience d’Idriss Mohamed) qui était fortement liée à l’Office français de Coopération et d’Accueil Universitaire (OCAU), a rejoint la cause de l’indépendance et la lutte contre l’impérialisme. Une première victoire.
La cause était désormais portée, aussi, par de jeunes révolutionnaires soucieux de l’avenir du pays avec un positionnement politique bien tranché. Ils se sont dotés d’une organisation millimétrée, partant des cercles de base au Congrès qui entérinait les grandes décisions en passant par les bureaux de section dans les grandes villes estudiantines. Elle forma des étudiants, pour la plupart, conscients des enjeux, ouverts au monde et très au fait de la théorie révolutionnaire et de ce qu’elle impliquait pour leur combat.
En 1975, l’indépendance fut proclamée et la bataille pour Mayotte Comorienne commença et certains membres de l’ASEC furent pendant longtemps les visages du comité maorais chantre du combat, même si aujourd’hui, le Comité n’est plus que l’image de lui-même.
En janvier 1976, Fundi devient le nouveau SG de l’association. Dans le BE, il apporta une approche nouvelle s’opposant aux habitudes des politiques comoriens. Il n’était plus question de faire du clientélisme ou de continuer avec la féodalité, mais de s’intégrer à la population, de l’analyser et de la comprendre pour lui apporter les réponses adéquates.
Dans cette période de forte agitation, il fallait surtout faire face au régime dictatorial d’Ali Soilihi. Il fallait contrer les thèses et les agissements d’Ali Soilihi via « Usoni », le journal de l’association. Une dénonciation qui a commencé durant la lutte pour l’indépendance quand « Usoni » dénonçait les violences du MRANDA. Fundi écrivit des poèmes devenus des chansons contre ce dernier. L’un de ces poèmes disait par exemple : « Ridji Tsaychiye, Ritsike Mtsachiwa. »
Il fallait également dénoncer les actes du régime, lutter contre les partisans de la dictature en France qui voulaient récupérer l’association des travailleurs comoriens, et aider à l’organisation souterraine des jeunes du Msomo Wa Nyumeni.
À la chute de Mtsachiwa, le mot d’ordre a été donné aux membres de l’ASEC de rentrer au pays. Le combat pour l’unité et le progrès social devait s’enraciner. Une période difficile, mais non suicidaire malgré la présence des mercenaires. Une nouvelle organisation a été mise en place avec l’appui des jeunes du Msomo Wa Nyumeni. Une feuille de propagande a été mise en place : “Swauti Ya Umati.”
Cette feuille a pris écho et est devenue rapidement problématique pour le régime et les mercenaires. S’est imposée l’organisation en une branche clandestine chargée d’infiltrer le pouvoir et une autre semi-clandestine qui attirait les foudres du régime. Fundi Aboubacar, qui était rentré avec les premiers camarades, a intégré la branche semi-clandestine et s’est ainsi exposé, pour le bien de la cause, avec ses autres camarades, à des brimades régulières et à des passages à tabac. Une situation qui a duré de 1979 à 1985.
Malgré l’animosité du pouvoir en place, la nouvelle organisation a réussi à se présenter aux législatives de 1982 et a obtenu 15% des voix un peu partout. Ce qui a montré la force de la feuille de propagande et ouvert la voie à un nouveau chapitre pour le mouvement révolutionnaire.
Le Front démocratique a été créé, « Swauti Ya Umati » a disparu au profit du journal mensuel « Ushe ». Le FD est devenu le principal parti d’opposition, intensifiant ses actions contre le régime des mercenaires. Ses dirigeants et membres semi-clandestins ont continué de subir les foudres du pouvoir.
Dans le numéro 68 de la revue Kashkazi, on peut lire ces paroles rapportées et pleines de paradoxes d’Ahmed Abdallah Abderemane : « Nos enfants ne sont pas nos enfants. Ce sont les ennemis de la nation d’aujourd’hui et de demain. » La sentence a été dite et le FD est devenu la bête noire à éliminer.
Ces trentenaires qui ne vivaient que pour la patrie depuis leur jeune âge sont devenus la cible du régime Abdallah qui a tout mis en place pour contrer leur offensive.
Leur sort a été scellé en mars 1985 après une révolte ratée à Itsundzu. Une révolte des militaires de la GP qui a été considérée par le régime comme une tentative de putsch organisé par le FD. Il aura suffi d’un traître du nom de Said Nafiun Zarkashi pour que tous les responsables et les militants du FD soient mis aux arrêts et y restent pendant de nombreuses années. Ils ont vécu donc dans ces geôles sous la torture de leurs tortionnaires, tantôt des frères comoriens, tantôt des mercenaires. Des tortures qu’Aboubacar Saïd Salim et les autres ont vécues dans leur chair pour avoir espéré un avenir radieux pour les Comores.
Ahmed Abdallah éliminait ainsi ses opposants les plus féroces et mettait un coup qui a des conséquences encore aujourd’hui, à la classe politique comorienne.
Cet épisode a été fatal pour le FD qui ne s’est jamais relevé. Pire, il a été fatal pour les Comores qui n’ont plus connu depuis ces années de mouvement patriotique. Il a sonné la fin de l’espoir que beaucoup de Comoriens avaient perçu en ces jeunes révolutionnaires.
En conclusion, dans le parcours de Fundi Aboubacar Saïd Salim et de ses amis, nous trouvons une source d’inspiration inépuisable pour les générations futures. Ces jeunes révolutionnaires ont incarné le patriotisme et la détermination, montrant que le changement est possible, même face à l’adversité la plus redoutable. Leur engagement en faveur de l’indépendance et du progrès social a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire politique des Comores. Malgré les épreuves et les sacrifices, ils ont persévéré, rappelant à tous que la jeunesse peut être la force motrice du progrès.
Alors que nous nous tournons vers l’avenir, gardons à l’esprit que cet héritage ne doit pas être relégué dans nos placards. Le sacrifice de ces hommes ne doit pas être vain. N’oublions pas que certains parmi eux ont payé de leur vie pour nous, que d’autres ont encore des séquelles physiques et psychologiques. N’oublions surtout pas que c’est la France et ses affidés comoriens qui ont brisé leur élan. N’oublions pas, mais allons de l’avant. Des mouvements tels qu’Ukombozi et d’autres se donnent la mission de revivifier cet esprit patriotique du FD, du MOLINACO et de tous ces mouvements qui nous ont permis d’espérer.
Cette graine plantée par la jeunesse comorienne en mars 1968 a été décimée par Ahmed Abdallah et les mercenaires, mais s’enracine en beaucoup d’entre nous. Et certes des erreurs ont été commises par nos ainées, mais leur conscience et leur pugnacité nous obligent tous à être ces voyelles sans qui les consonnes auront du mal à exister.
En attendant, soyons intègres, soyons citoyens, soyons Comoriens, et le meilleur suivra.