Le anda-na-mila est, selon certains analystes, le socle de la société comorienne, car intrinsèquement lié au mode de vie national. C’est une pratique intimement attachée aux activités quotidiennes des Comoriens. Le anda-na-mila est un comportement civique avant d’être une manifestation culturelle et sociale.
Par Azhar de Youssouf, juriste, historien et muséographe
Son champ d’action s’étend sur tous les domaines : social, culturel, scientifique, religieux et politique. C’est l’alfa et l’oméga de la manière de vivre proprement comorienne. C’est l’un des symboles nationaux au côté du drapeau et de l’hymne national, de la devise, du passeport et de l’islam. Donc, c’est une pratique sacrée compte tenu de son caractère obligatoire pour l’affirmation de soi dans la société.
A quand remonte le anda-na-mila ou grand-mariage ? Que veut-dire d’abord anda-na-mila ?
Le anda-na-mila est une notion abstraite dont le sens primitif tire ses racines dans la langue arabe. « al-anda » est ce qui est répétitif, coutumier dans une communauté donnée. C’est une pratique qui, ayant gagné de l’âge dans une société humaine, fini par se généraliser et de génération en génération, s’enracine dans la conscience populaire jusqu’à devenir normal aux yeux de la majorité. En ce qui concerne le « mila », c’est ce qui est relatif à la génétique, au sang, à la famille et à l’histoire. Selon Ahamada Soilihi, natif de Mdjoiezi Hambou et l’un des porte-parole émérites du anda-na-mila en Grande-Comore « on fait alors le anda et on raconte le mila ». Autrement dit, le anda est lié aux actes par exemple : préparer à manger, abattre du cheptel, distribuer de l’argent à la communauté villageoise ou regionale. Tandis que le mila est apparenté au verbe, aux chants (ce sont des fleurs qu’on jette sur une personne pour louer ses origines ou son ascendance prestigieuse. On loue la gloire des grands-parents). Ce sont des incantations qu’on formule à l’endroit, le plus souvent, des marier pendant les festivités liées aux mariages.
Ainsi, une personne peut appartenir au « mila » sans pour autant faire le anda et vice versa : Si par exemple on est issu d’une famille de lettrés, de charifs ou descendant de hautes personnalités respectables ; là on est considéré comme étant une personne de « mila » c’est-à-dire « bonne kabila, kabaila ».
Généralement, on attire l’attention des gens, on suscite la curiosité sentimentale de la plupart des jeunes filles de la localité. Chacune d’elles souhaiterait se marier avec lui dans l’espoir d’engendrer un enfant qui viendra hériter de ce prestige social. Par contre, le commun des mortels qui ne disposerait pas ou bien qui ne bénéficierait pas d’un quelconque prestige social dans la localité, chercherait à s’en payer à travers le « anda » ; ce dernier demeure une tribune sur laquelle il pourra éventuellement se prévaloir pour se frayer un chemin et pouvoir s’affirmer dans la société. N’ayant pas de place ni à la mosquée ni à la place publique, l’homme ordinaire inventa le « anda» pour avoir la voie au chapitre. Il invitera l’homme du « mila » dans la pause de la première pierre de la maison de sa fille ou au mariage de cette dernière pour donner de l’étoffe à l’évènement. La présence de l’homme du « mila » fera engranger des points à sa manifestation culturelle ou sociale. Il tentera d’égorger un bœuf pour en donner une dimension protocolaire et festive. Il tentera aussi d’organiser un grand festin et distribuer beaucoup d’argent, l’essentiel pour lui est qu’on en parle dans le village. Il fait le « anda » car on l’a bien souligné ce dernier se raconte ; ce sont des actes qu’on accomplit. Et puisqu’on raconte le « mila », le faiseur de anda croit qu’en tuant des bœufs et en préparant des grands festins et en distribuant l’argent, les gens vont en parler comme ce fut le cas dans le « mila » ! Dans la plupart des cas, les gens qui ont de l’estime, c’est à dire, ceux qui ont la voix au chapitre, ils ne se cassent pas la tête avec des cérémonies grandioses. Ce sont encore une fois ceux qui se retrouvent au bas de l’échelle qui se cassent la tête pour placer la barre plus haute dans leurs prestations coutumières. Donc, le anda est une invention des sans voix pour acquérir la voix.
A l’origine, trois évènements majeurs ont caractérisé le anda :
- Poso
Poso veut dire huposa, fiançailles. Demandez la main d’une fille en envoyant chez elle une délégation est une pratique récente. Auparavent, les parents des futurs mariés se rencontraient et décidaient eux-mêmes des modalités du mariage de leurs progénitures sans fanfares ni youyou. D’ailleurs, on ne demandait pas l’avis des futurs mariés ! Trois raisons expliquent cela : premièrement, ce sont les parents des époux qui finançaient entièrement le mariage. Le mari recevait la dote de son père et la femme attendait patiemment la construction de sa maison nuptiale. Deuxiement, la femme était restée casanière durant toute sa vie (moina zidakani), aucun homme n’avait accès à son portait physique n’en parlons pas la possibilité de pouvoir lui en parler.Troisièment, le mariage était négocié en tenant compte du rang et du prestige social des futures belles-familles. Ce sont des négociations secrètes (ndola ya siri) menées tambour battant par les représentants des deux familles. Après ces négociations ou souvent bien avant, chaque famille ou parfois les deux à la fois vont consulter leurs marabouts respectifs pour voir si l’avenir de cette union est radieuse, (hunadjimia).C’est un conseiller en astrologie (mdrema bao ou moilimou dounia) qui avait la charge de prédire l’avenir du mariage. Chaque famille comorienne, avait son moilimou à elle ! C’était de coutume dans les familles traditionnelles comoriennes de se confier à un moilimou avant d’entreprendre tout projet familial : construction d’une maison, mariage d’un enfant, circoncision, voyage. Le moilimou jouait ainsi donc le rôle d’un notaire et cela semblait normal dans cette société fortement marquée par la culture et la civilisation islamique ! Finalement quand les deux parents se mettent d’accord de l’union de leurs enfants, aucun membre de la famille du futur époux ne doit manger quelque chose dans la maison de la fiancée ou dans les maisons environnantes (doroso) au risque de porter préjudice aux fiançailles.
- Mdrema wadaho
Le premier acte officialisant le Poso (fiançailles) c’est le mdrema wadaho. Mdrema veut dire, cultures et daho, maison. Cependant, le mdrema est l’acte consistant à cultiver le champ de la future mariée par wowanamdji (enfants du village). C’est une vrai mobilisation sociale à la fois de la classe sociale des wanamdji et de la future belle-famille. Pendant que les hommes labourèrent, les femmes se chargeaient de la semence. Ce jour-là, la famille de la fiancée se charge de préparer un repas somptueux en l’honneur des wanamdji. Ce repas est généralement amené au champ où a eu lieu le travail. Nous estimons que le mdrema wadaho constitue donc le premier acte du anda.
- Mawaha
Le deuxième acte matériel officialisant les fiançailles est le mawaha. Huwaha veut dire construire. Après la réalisation du mdrema wadaho, les wanamdji vont se charger aussi de la construction de la maison des futurs époux. Ce sont eux qui se chargent de couper les arbres et de la confection des wuhandza, magaba et mitsepve ainsi que la construction proprement dite de l’édifice.
Cet évènement mobilise toute la communauté villageoise et nécessite en même temps la préparation d’un festin, d’où l’expression « ngupiho ye mawaha ». Cet acte est la première prestation coutumière réalisée par l’homme dans sa communauté. Les évènements coutumiers (mdrema wadaho et mawaha) concernent uniquement l’ainé de chaque famille. La fille ainée doit absolument se marier avec l’ainé de l’autre famille et leur anda suffisait pour assoir le prestige social de leurs parents. Nul besoin pour ces derniers de réaliser un autre anda pour le reste de leurs enfants. Réaliser le anda consiste donc à envoyer un représentant de la famille sur la scène social. L’homme qui le réalise agit et défend les intérêts des siens dans les instances coutumières. Plus besoin d’y envoyer plusieurs représentants d’une même famille. Ce serait contraire aux règles protocolaires et au respect de la hiérarchie. L’ainé ne peut pas s’assoir dans la même assemblée que son jeune frère au risque de lui faire de l’ombre. Aujourd’hui, le anda original a perdu son sens social, englué dans la course des folies des grandeurs et des dépenses ostentatoires, les Comoriens devraient marquer une pause et penser à sa réforme.