Les violences conjugales constituent un fléau mondial qui tue incessamment. Les femmes en sont majoritairement victimes. Les femmes comoriennes ne sont pas exemptées de ce fléau. Qui ne se souvient pas du féminicide de Faouzia Taïnamor, poignardée par son époux en présence de son enfant en bas âge, il y a plus de dix ans à Ngazidja ? Il y a juste un an (mars 2022), un médecin comorien a dénoncé sur les réseaux sociaux la mort d’une femme enceinte à cause de son mari qui avait refusé qu’elle soit transfusée. Il n’existe pas de statistiques officielles sur les violences conjugales aux Comores, mais le phénomène prend de plus en plus d’ampleur. Malgré cela, le sujet reste tabou.
Par Natidja HAMIDOU
Les violences conjugales pourrissent la vie de nombreuses femmes dans le monde. Si ce n’est pas par des coups et des blessures, ce sont des insultes qu’elles reçoivent. Si elles ne sont pas violées, elles sont rabaissées et humiliées par leurs conjoints. C’est un phénomène désastreux, qui est à l’origine d’un nombre élevé de féminicides dans de nombreux pays. Celles qui survivent deviennent invalides. D’autres sont traumatisées tout au long de leur vie. Se remettre de violences conjugales qu’elles soient physiques, psychologiques, verbales ou sexuelles, est une énorme bataille qui nécessite courage, détermination, mais surtout soutien sans failles.
Des violences en hausse
Les femmes comoriennes ne sont pas épargnées par ce désastre. Même s’il n’existe pas de chiffres officiels, les violences conjugales détruisent de nombreuses Comoriennes. « Nous accueillons plus de femmes battues, des femmes victimes de violences psychologiques qui tuent autant que les coups, des femmes victimes de violences économiques notamment avec les abandons d’enfants », affirme Rahamata Goulam, ancienne présidente de l’association Hifadhwi, une ONG qui milite contre les violences faites aux filles et aux femmes. Le communiqué de presse de cette association lors de la journée internationale des droits des femmes le 8 mars 2023, dévoile « 28 cas d’agressions conjugales chez la femme. Ce sont des cas signalés non enregistrés (CSE) ».
L’ancien cadi Inzoudine Mohamed Lhadji confirme également que ce fléau touche de plus en plus de femmes dans le pays : « Depuis 2005 que j’ai été nommé cadi jusqu’à mon licenciement [ndlr : 2021], j’ai exercé dans différentes régions à Ngazidja. J’ai souvent reçu plusieurs plaintes de femmes victimes de violences conjugales. Certaines étaient battues, d’autres étaient insultées et humiliées par leurs époux. Ce n’est pas qu’à Ngazidja uniquement, mais dans toutes les îles des Comores. Nous échangeons entre collègues cadis ; je vous assure que ça devient inquiétant, la manière dont ce problème prend de plus en plus d’ampleur jusqu’à ce jour », indique-t-il.
Abdoulabstoi Moudjahid, avocat au barreau de Moroni, n’est pas en reste : « à mon actif, j’ai eu à défendre sept cas de violences conjugales, dont un devant le juge pénal. Les six cas restants étaient des femmes qui demandaient soit le divorce, soit la garde de l’enfant et la fixation d’une pension alimentaire pour cause de violence conjugale ».
Tabou et silence
Les féminicides aux Comores sont autant réelles que les viols des fillettes. Cela ne date pas d’aujourd’hui. En 2011, une mère de famille, à Hahaya, a succombé aux coups de son mari. Ce fait divers avait été relaté à l’époque par le quotidien Al-Watwan. On s’en souvient encore du fameux Mowamboi, qui avait assassiné sadiquement et méthodiquement sa femme. Certains féminicides, sont connus tandis que d’autres non. C’est un problème qui est loin d’être résolu. Or, les violences conjugales constituent un tabou qui tue dans l’archipel des Comores. De nombreuses victimes ou familles des victimes n’osent pas dénoncer ou porter plainte contre les conjoints. « L’épouse peut venir nous voir, mais après, elle refuse d’aller jusqu’au bout de sa démarche. Parfois, elle nous appelle, nous donne rendez-vous, mais, après, ni vu ni connu », regrette Rahamata Goulam. Cette thèse est confirmée par l’ancien cadi Inzoudine Mohamed Lhadji. Il déplore le silence de nombreuses femmes face aux diverses violences qu’elles subissent au sein du couple : « Souvent, la femme garde le silence. Elle ne dénonce pas. Ces femmes qui ont ce genre d’attitudes croient aimer leurs conjoints, mais oublient qu’elles se tuent à petit feu, à force de souffrir. Certaines ont peur des familles, des réactions de leurs oncles, etc. », précise ce prêcheur religieux.
Maître Abdoulabstoi Moudjahid souligne en effet qu’« aux Comores, les procès pour violence conjugale sont extrêmement rares, pour ne pas dire inexistants. …même si elle ne fait presque jamais l’objet d’un procès au pénal, la violence conjugale est évoquée souvent par les femmes dans les procédures de divorce, de garde de l’enfant et d’allocation des pensions alimentaires. Malheureusement, rarement, les femmes victimes de ces violences déposent plainte, et les juges qui statuent sur des questions soulevant des violences conjugales ne font pas des signalements au parquet ». Ces affirmations suscitent des interrogations sur les causes réelles qui poussent les femmes comoriennes à ne pas dénoncer leurs agresseurs et à ne pas porter plainte.
L’hypothèse de la crainte de la société n’est pas à écarter, surtout si on vit dans un pays où une femme a été chassée de chez elle, et bannie par son village parce qu’elle a dénoncé le viol de son enfant mineur. Pourtant, la religion est claire et précise sur ce sujet selon l’ancien cadi : « L’Islam ne tolère aucune violence à l’égard de la femme. Il est permis à la femme de venir demander son divorce chez le cadi si elle est battue par son mari », déclare Inzoudine Mohamed Lhadji.
La corruption de la Justice
Cependant, le communiqué de presse de l’ONG Hifadhwi le 8 mars 2023 souligne que « plusieurs femmes déclarent avoir subi ou avoir pris connaissance de violences physiques, sexuelles ou émotionnelles de la part de leurs maris ou un autre membre de la famille, mais décident de garder le silence par manque de confiance en l’appareil judiciaire ». On comprend de ce fait que l’institution judiciaire comorienne est remise en cause. Les victimes n’ont pas confiance à la justice. Pourtant, les lois sont fondées et sanctionnent les différentes formes de violences. Mais nul n’ignore l’injustice et la corruption de notre justice.
S’agissant de la loi comorienne sur les violences conjugales, l’avocat Moudjahid précise que : « Si le nouveau Code pénal est silencieux sur les violences conjugales, ce qui constitue une régression par rapport à l’ancien code, il existe tout de même des lois spéciales qui définissent et réprime ». Peut-on dire par ailleurs que la nouvelle loi tend à minimiser ou à moins sanctionner les violences conjugales ?
Ce magistrat continue son analyse en indiquant que « pour ne citer que la Loi du 22 décembre 2014, portant prévention et répression des violences faites aux femmes en Union des Comores (“Loi Fatahou”), son article 1er évoque deux types de violences qui caractérisent la violence conjugale. Le premier est “la violence dans le milieu familial”… Ce premier type de violence englobe aussi bien la violence conjugale que la violence dont sont victimes les femmes non mariées au sein de la cellule familiale. Le deuxième type de violence est “la violence domestique”, caractéristique de la violence conjugale, prise de façon restreinte. Cette violence est définie comme étant toute violence physique ou sexuelle.
La loi Fatahou a prévu des mesures de prévention et de répression de toute violence conjugale qui ne sont malheureusement pas mises en application par les autorités. Ces mesures vont de la formation du personnel judiciaire et parajudiciaire sur les problématiques liées à la violence conjugale à la désignation d’un juge d’instruction chargé de la violence domestique et sexuelle au niveau de chaque île, en passant par la reconnaissance du viol conjugal et la fixation de la majorité sexuelle pour les filles à 18 ans. Ces évolutions ont fait du dispositif comorien de prévention et de répression des violences faites aux femmes un des meilleurs au niveau mondial. Mais, malheureusement, cette loi n’a jamais été respectée par nos autorités ». Ce descriptif de la loi « Fatahou » fait par ce magistrat démontre une loi visant à bien sanctionner pénalement les violences faites aux femmes. Toutefois, la réalité sur le terrain est autre. Comment les victimes peuvent-elles avoir le courage de dénoncer ou porter plainte contre leur agresseur, si le lendemain celui-ci est libéré ? Les ONG présentes au pays malgré leur manque de moyens luttent pour que ces violences cessent ou du moins que les victimes osent en parler.