Dans une tribune publiée dans Al-Watwan du mardi 9 août 2022, le sociologue Mistoihi Abdillahi affirmait que le développement du pays ne viendrait pas d’en haut ni d’un Président bienveillant envers son peuple. Pour lui, « cette croyance n’est plus d’actualité ” au point de déduire que par le biais du grand mariage, « le pays n’est qu’à l’image de sa population ».
Par Nourdine Mbaé Djaé*
Cette thèse, comme toute opinion exprimée sans outrance ni appel à la violence, demeure défendable. Que dire si elle est exprimée avec des nuances, des exemples et des images des endettés du anda en terre Komori et les mariages japonais (sic) par l’une des éminences de notre pays, écrivain et ancien collaborateur du Vice-Président Ahmed Saïd Djaffar.
Il s’agit alors d’être d’un courage intellectuel proche de la folie et un forcené pour oser s’y opposer. Je m’y essaie cependant. Je soutiens depuis un moment l’idée selon laquelle la faillite de notre pays émane de ses cadres et intellectuels et au premier chef ceux qui dirigent le pays et ceux qui collaborent avec eux.
En effet, s’en prendre à la population, c’est-à-dire au peuple, me semble traduire l’expression d’un jonglage intellectuel, d’une fuite en avant, et même une lâcheté pouvant conduire devant les tribunaux, le jour où chaque citoyen sera obligé d’assumer sa part au sujet de la défaite de l’État Komori, depuis 47 ans, sinon pendant les 20 ans du présidentialisme de la tournante.
Il ne s’agit pas de nier l’impact du Grand-mariage dans la société, le Anda dont le terreau se situe à Ngazidja, les autres îles sœurs étant moins imprégnées par cette course et ce cheminement bizarres vers l’honneur, mais de dire d’une part mon malaise quant à l’idée d’accabler exclusivement une institution traditionaliste non écrite et d’autre part laisser de côté la responsabilité des institutions légales, rédigées par les cadres du pays et défendues par eux : le système étatique.
Aussi, il nous est important de rappeler la cause que nous portons dans l’engagement citoyen mené depuis plus de trois ans afin de parvenir à un Daula Ya Haki (« État de droit ») de justice sociale : transparence dans la gestion de la chose publique, responsabilité des acteurs et instauration de l’État parlementaire, lequel État doit s’exercer pleinement par la rigueur de l’élaboration des lois, y compris celles qui doivent rendre l’institution judiciaire efficiente, sans la corruption et la complaisance qui la gangrènent et nous rendent malades.
Dès lors que la croyance est rompue quant aux institutions d’en haut, à la verticalité du pouvoir et d’un Président incapable d’entrainer le développement, il va sans dire que la rationalité se doit de tirer les conséquences, en déracinant cette supercherie étatique. En effet, visiblement, l’État n’est là que pour gaspiller l’argent public issu des impôts, tant et si bien que l’ex-collaborateur à la Vice-Présidence renvoie les Wakomori, au sujet d’un développement possible vers les élus et représentants de la République à « une croyance qui n’est plus d’actualité ».
Le « n’est plus » traduirait, en analyse grammatico-sémantique, le sentiment que le locuteur acte l’idée de la possibilité d’une réalité qui fut auparavant et qui ne l’est plus, supposant, peut-être, que cette réalité viendra.
Le peuple, pas un individu en chair que je pourrais identifier, responsabiliser, pointer dans la transparence pour lui faire payer sa facture. Non, c’est un monstre public, sorte d’anguille sous roche devant laquelle viennent se greffer les rancœurs et les impatiences cumulés pendant de longs moments de mauvaise gestion. Dans le peuple, on trouvera, indubitablement, le parlement des visibles (Président, ministres, juges, députés, avocats, directeurs… ) et le parlement des invisibles (le paysan, le maçon, le pêcheur et leurs enfants y compris les élèves).
Et c’est là où, me semble-t-il, l’analyse du fin sociologue bascule. La théorie et la fabrication de la loi, la récolte des impôts, la gestion de ceux-ci n’ont pas attendu les élèves qui étaient déjà en salle de classe au quotidien, ni les pêcheurs qui, dès l’aube, partaient batailler à la mer, ni les cultivateurs qui, chaque matin, sortent de leurs résidences pour visiter et labourer la terre, ni les maçons qui luttaient, au lever du soleil, sur les murs en enchaînant les briques et les parpaings.
Ils font pourtant partie du peuple et d’ailleurs, écrivant tout ce jargon ici, ces phrases longues, je sais déjà qu’ils ne me liront peut-être pas. Donc le risque d’être compris par ces populations-là se réduit. C’est dire, déjà, rien que par la forme que le sociologue savait qu’il s’adressait à une partie distincte du peuple, celle qui est raffinée à l’écriture et à la lecture.
Dans un Coq à L’Âne du 9 août 2022, je signifiais qu’au moment où fundi Said Mohamed Muhuyidine, Saïd Abdillah Saïd Hassan, Dr Ibrahim Barwane dénonçaient, arguments à l’appui, le grand mariage, un autre fundi et non des moindres parmi les éminences du pays, Mohamed Nourdine Toiwilu annonçait la célébration du sien, avec solennité, pour le mois de décembre prochain.
De même, pour la promotion de l’entre-soi, une publication faite par le CNDRS le 2 août portait sur une Table Ronde prévue le 3 août 2022. Les éminences Dr Wadjihoudine, Dr Badjrafil (promu ambassadeur à l’UNESCO par l’émergence) et Dr Issa Abdoussalam (promu au commissariat chargé de la diaspora avec les résultats encourageants que nous connaissons !) devaient mettre en exergue, à lire la publication postée sur Facebook, « le mariage traditionnel, socle de toute démarcation du Comorien » (sic). Ni maçon, ni pêcheur, ni cultivateur en exercice… ne figuraient sur cette liste que Dr Abdou Djohar qualifiait parmi les commentaires des internautes sur la page Facebook de « belle initiative ».
Par ailleurs, au moment où nous finalisons ce texte, nous apprenons que le professeur de philosophie, Chabane Mohamed, comme ses collègues choqués par les similitudes sur certaines copies des élèves lors de la correction des examens du baccalauréat, a été suspendu pour avoir dénoncé cette faillite et cette fuite.
On aura remarqué que cette sanction n’émane pas du Anda, du moins à première vue, car la pieuvre aurait des tentacules sérieuses et mystérieuses partout, mais de l’administration publique, donc étatique.
On pourrait, sans risque de se tromper, dire que derrière la population fourre-tout à laquelle même le chef de l’État aurait pu se loger avec ses ministres, il y a des monstres, des génies, des diables, des vampires qui agissent à des degrés différents. Et les cadres du pays (y compris ceux qui ont célébré le grand mariage, accédant ainsi au rang de notable) feraient mieux de se crever les yeux pour vraiment se voir sur le miroir public que le peuple leur tend au grand jour.
*Membre actif de Daula Ya Haki