Le 12 septembre 2019, à l’hôtel Retaj, le gouvernement Azali avait célébré en grande pompe le reclassement du pays au rang des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure par la Banque Mondiale. Autant dire une tempête dans un verre d’eau. Trois ans après, le seuil de pauvreté est désormais fixé à 3,65 dollars par jour pour vivre pour cette catégorie de pays de la tranche inférieure. Cette décision est due à la hausse des prix provoquée par les péripéties qui bousculent le monde depuis quelques années. Aux Comores, cette inflation a des origines endogènes. Pourtant, contrairement à ce qui se passe ailleurs, le gouvernement ne propose pas de mesures d’envergures pour faire face.
Par Nezif-Hadj IBRAHIM
La hausse des prix aux Comores n’est pas le fait exclusif de la pandémie qui a fait irruption dans le monde à la fin de l’année 2019 ou du conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine. Les facteurs qui concourent à l’inflation aux Comores sont aussi d’ordre politique et aucun domaine capable d’apporter le moindre centime au gouvernement n’est épargné.
Une inflation multifactorielle
Les télécommunications et la douane sont la poule aux œufs d’or du gouvernement. D’ailleurs, le 3 janvier 2022 lors d’une conférence de presse tenue au sein du siège de Comores Telecom, le directeur général Saïd Ali Saïd Chayhane s’est félicité du chiffre d’affaires réalisé au dernier trimestre de l’année 2021 avec une somme de trois milliards de FC. « C’est une première depuis l’ouverture du marché à la concurrence », déclare-t-il. Dans ce domaine, l’État s’adonne à la politique interventionniste à travers son organe de police l’Autorité nationale de régulation des TIC et à un dégraissage de la masse salariale soit en diminuant les salaires de certains agents.
Dans tous les cas, bien que la crise sanitaire mondiale liée à la pandémie et la crise russo-ukrainienne aient favorisé la spéculation sur les prix des biens au niveau international, aux Comores, la fiscalité aussi est déterminante dans l’augmentation de l’inflation. Les chiffres de la note de conjoncture de la banque centrale des Comores le confirment nécessairement. Les recettes fiscales pour l’année 2021 ont culminé à 55 milliards de FC.
Une gestion opaque du budget de l’État
Les dépenses publiques aux Comores échappent à tout contrôle. Si des chiffres sont avancés lors des rapports effectués par des institutions habilitées à cet effet, aucun organe ne donne les détails de l’utilisation des fonds publics par les autorités. La note de conjoncture de la banque centrale des Comores indique que la dépense de personnel correspond à la somme de 27, 5 milliards FC pour l’année 2021 et celle des biens et services à 11,4 milliards. L’Assemblée nationale devenue une chambre d’enregistrement devait en principe jouer un rôle de contrôle pour mieux informer le peuple qu’elle est censée représenter. L’utilisation de ces fonds devrait se passer dans la transparence, d’autant plus que cette utilisation fait supporter aux contribuables le train de vie aisé des autorités aux dépens de leur propre condition de vie.
« Fond propre » ou l’arme d’appauvrissement massif
Depuis quelques années le gouvernement se targue de financer la plupart des projets d’infrastructures par des « fonds propres », c’est-à-dire par des financements sur ressources intérieurs issus de la fiscalité publique. Selon la banque centrale, ce financement s’élève à 11,1 milliards FC sur l’année 2021. Il s’agit d’une augmentation de 96,8 % par rapport à l’année précédente puisqu’en 2020 il s’élevait à 5,6 milliards FC. Ces chiffres sont en effet révélateurs de l’état de santé de la fiscalité comorienne.
Les conditions de vie ne font pas partie des aspects que le gouvernement prend en compte, alors qu’à chaque fois qu’il y a une augmentation des prix causée par des mesures fiscales inexorables c’est la paupérisation qui gagne du terrain. Le slogan « projet financé par des fonds propres » semble être le cheval de bataille politique du régime Azali, pourtant au regard de la pauvreté ambiante, le gouvernement doit mener une politique sociale forte favorable à l’indice du développement humain. Tandis que la pauvreté tue aux Comores, il suffit de regarder les malades graves que l’association Air Darassa du prédicateur Djibrile permet d’aller se soigner à l’étranger en finançant leurs voyages.
Le monde rural, principale victime de la paupérisation
Si pour la Banque Mondiale les Comores vont atteindre une croissance de 3,7 % à l’horizon 2023, « le taux de pauvreté ne devrait diminuer que modérément au cours des deux prochaines années pour revenir à son niveau d’avant la pandémie de COVID-19, soit 39,5 % en 2023 (lorsqu’il est mesuré par rapport au seuil de pauvreté des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, fixé à 3,2 dollars par jour et par habitant en parité de pouvoir d’achat – PPA). » Sauf qu’avec l’ajustement des seuils de pauvreté, le chiffre de 3,2 dollars par jour passera à 3,65 dollars soit 1686 FC. Ce qui va sûrement avoir des répercussions sur le pourcentage de la pauvreté aux Comores. Cette évaluation prend en compte la pauvreté dite « sociétale » qui rend compte, selon la Banque Mondiale de « l’évolution des définitions de la pauvreté à mesure que les pays s’enrichissent » ainsi que la pauvreté dite « multidimensionnelle » qui prend en compte « des privations dont souffre la population au-delà des critères monétaires ».
L’observation du monde rural aux Comores, chiffrée dans le rapport issu d’une enquête menée en 2020 de l’Institut Nationale de la Statistique et des Études économiques et démographiques, montre un manque criant de politique économique territoriale de la part du gouvernement.
Une lutte contre l’inflation nécessaire
Lors du compte rendu du conseil de ministre du mercredi 25 mai dernier, le porte-parole du gouvernement et ministre de l’Agriculture Houmed Msaidié a annoncé des discussions entre les différents acteurs économiques concernant la hausse des prix. Tout en admettant une hausse des prix déjà effective, il assure qu’on n’en restera pas là. Les prix « risquent […] d’augmenter encore, mais toutes les parties concernées par ce sujet vont devoir s’assoir pour qu’ensemble nous trouvions une solution adéquate face à ce problème », déclare-t-il. Et le ministre donne une explication : « La guerre qui sévit en Ukraine fait que tous les pays du monde sont paralysés. La plupart de nos produits sont importés et que ce soit l’huile, le pétrole ou encore le riz, si ces produits augmentent là où nous les commandons, c’est tout à fait normal que les prix augmentent chez nous ». À ce genre de situation, des solutions macroéconomiques existent pour faire souffler la population de l’inflation. Si pour la France le salaire minimum interprofessionnel de croissance, c’est-à-dire le SMIC, augmente chaque année, des pays en Afrique comme Madagascar (trois fois depuis 2019) et le Kenya ont aussi revu son niveau pour augmenter le pouvoir d’achat. Au Sénégal, 193,58 millions vont servir pour la revalorisation salariale des fonctionnaires. D’ailleurs, c’est ce que fait la Banque Mondiale pour ajuster son seuil de pauvreté. « Le seuil de pauvreté international augmente avec le temps essentiellement parce que les prix tendent à augmenter », fait remarquer l’institution de Bretton Woods. C’est dans cette optique qu’elle a dû réviser le seuil de pauvreté international cinq fois depuis 1985. La dernière en date est la mise à jour qui va entrer en vigueur à l’automne 2022.
L’augmentation des salaires est un outil permettant de lutter contre l’inflation afin de protéger le pouvoir d’achat des salariés en leur permettant de maintenir la dynamique de la consommation. Récemment, lors de la grève des enseignants de l’École publique, une des revendications des protagonistes était la revalorisation salariale qu’ils jugent non adaptée à la vie actuelle. Ils ont rappelé que la grille salariale à la Fonction publique date des années 1980. Un protocole d’accord a été signé le 18 mai dernier, concluant le mouvement de grève et occasionnant la reprise des cours.