À l’occasion de la sortie du livre de Mmadi Hassani Abdillah intitulé « Les Comores au service de la France (1914-1918) » (éditions Cœlacanthe, avril 2022), Masiwa revient sur le rôle des Comoriens pendant la Première guerre mondiale avec l’historien Mahmoud Ibrahime. La question de la présence de soldats originaires des Comores pendant cette guerre mondiale a peu intéressé les historiens locaux pendant longtemps. Les choses semblent évoluer depuis 2010, à l’approche du centenaire de la Grande Guerre.
Par Mahmoud Ibrahime
La colonisation complète et officielle de l’archipel des Comores date de 1912. Et dès cette année-là, une des missions données aux administrateurs de chaque île est de recruter des autochtones pour les intégrer dans l’armée française. Par le volontariat, par l’appât du gain, mais aussi par la contrainte. Pourtant les colons présents à Mayotte depuis la prise de l’île en 1841 ou nouvellement installés à la Grande-Comore, à Anjouan et à Mohéli ont cruellement besoin de main-d’œuvre.
L’ouvrage publié par Mmadi Hassani Abdillah essaie d’expliquer pourquoi, malgré le sacrifice des Comoriens, ils sont absents de l’historiographie sur la Première Guerre mondiale.
Plus de 500 Comoriens recrutés
Si l’on se réfère aux tableaux mis en annexe de son ouvrage par Mmadi Hassani Abdillah, on peut distinguer trois phases de recrutement : 1904-1906, 1911-1913 (avec un temps fort en 1912) et enfin pendant la guerre elle-même et particulièrement pendant les deux premières années de la guerre (1914-1915). L’auteur écrit à ce propos : « À partir de septembre 1914, le nombre de jeunes recrues augmente considérablement, car des campagnes de recrutement sont sans cesse mises en place dans toutes les villes et tous les villages de l’archipel. On fait de fausses promesses aux familles : elles recevront de l’argent après l’engagement dans l’armée de l’un des leurs. » Les opérations d’enrôlement ont permis de recruter plus de 525 Comoriens entre 1904 et 1918, à la fin de la guerre, si l’on tient compte des listes retrouvées pour le moment.
Ces listes que l’on retrouve dans divers sites d’Archives et notamment aux Archives de Mayotte montrent que l’administration coloniale recrute des jeunes originaires de la Grande-Comore essentiellement. Cela est dû à certains présupposés coloniaux qui font des habitants de la Grande-Comore des guerriers, alors que ceux d’Anjouan seraient des travailleurs. Dans un archipel qui n’a connu que très peu de conflits importants avant la présence européenne, c’est un classement peu convaincant bien qu’il soit aujourd’hui accepté par la plus grande partie des Comoriens.
En plus de la prime de recrutement qui va de 200 à 500 francs, les jeunes comoriens sont plongés dans « l’illusion de s’enrichir et de vivre dans l’aisance » en devenant soldats en France.
La question de l’Islam
La mobilisation est importante dans ce petit archipel musulman où dès le début de la guerre la France est prudente. En effet, à cette époque, le souverain turc est aussi reconnu comme le chef de tous les musulmans du monde. Or la Turquie est du côté de l’Allemagne. L’État colonial craint donc une réaction anti-française dans l’archipel. Elle mobilise l’ancien sultan Saïd Ali qui était tombé en disgrâce et qui était même en exil à Madagascar.
Ce dernier adresse une lettre à ses compatriotes pour leur demander de rester fidèles à la France. Il n’hésite pas à marquer sa préférence à la France face à la Turquie : « C’est la France qui veille et qui protège les musulmans ». Cette lettre du 9 novembre 1914 a eu un effet immédiat sur les recrutements. Elle incite les chefs de villages et cantons à multiplier les campagnes de recrutement. Quant à un penchant des Comoriens pour le chef de l’Empire ottoman, il n’a jamais été vraiment visible dans l’archipel.
Les engagés comoriens n’ont jamais formé un groupe particulier au sein de l’armée française. Ils sont intégrés dans divers bataillons : le bataillon malgache, le bataillon somali et même chez les tirailleurs sénégalais. Ils se retrouvent donc souvent avec d’autres soldats musulmans.
Les soldats comoriens sur le champ de bataille
Pendant la Première Guerre mondiale, les soldats comoriens s’illustrent particulièrement sur les champs de bataille qui ont fait de nombreuses victimes et qui ont marqué la mémoire des hommes. Ils sont à Verdun, au Chemin des Dames, à Douaumont, au mont de Choisy… Mmadi Hassani Abdillah écrit que les Comoriens « ont été plongés dans un bain de sang ».
Plus de 40 ans après, le député comorien à l’Assemblée nationale française, Saïd Mohamed Cheikh, évoque le loyalisme des Comoriens en affirmant que le premier soldat français à entrer dans le fort de Douaumont libéré était originaire des Comores.
Dans les tranchées de Verdun, les soldats venus des Comores se taillent une réputation de « soldats de choix capables de donner l’assaut, de conserver des tranchées et de faire face à des étapes importantes de la guerre. », selon Mmadi Hassani Abdillah.
Malheureusement, de nombreux Comoriens ne reviennent pas de ces tranchées. Ils sont enterrés dans des cimetières en France, comme la nécropole du mont de Choisy à Cuts. D’autres soldats reviennent mutilés à vie. D’autres bénéficient d’une reconnaissance toute relative de la France. Mmadi Hassani Abdillah offre aux lecteurs un tableau des gradés comoriens, dans lequel ne figure aucun officier, aucun Comorien n’ayant eu le temps d’entrer dans une école militaire avant la guerre. Mais, les soldats comoriens ne sont que très rarement cités dans la mémoire collective, souvent englobés dans les bataillons malgache, somali et sénégalais.
Les conséquences de la guerre pour les Comoriens
Le 19 juillet 2014, lors d’une cérémonie en l’honneur des Comoriens morts sur les champs de bataille de l’Oise, une stèle est érigée à Cuts en l’honneur des « soldats de l’Archipel des Comores morts pour la France ». Les 21 noms des Comoriens morts en mai et juin 2018 au sein du bataillon des tirailleurs somalis y sont inscrits, a priori tous originaires de la Grande-Comore.
Les quatre îles des Comores connaissent aussi les conséquences de la Première Guerre mondiale. Les bateaux de commerce touchent plus rarement l’archipel, d’où des problèmes de ravitaillement. Les conséquences devaient aussi se faire sentir dans les concessions coloniales ou dans les champs familiaux.
La conséquence la plus importante est la révolte qui embrase une grande partie de la Grande-Comore en juillet et août 1915. La cause principale est le non-payement de l’impôt, à cause des conditions économiques difficiles, mais on ne peut exclure l’espoir entretenu par certains que la France allait perdre la guerre.
La question du rôle des soldats comoriens pendant la Première Guerre mondiale et même celle de la vie dans l’archipel pendant cette période ont été très peu abordées par l’historiographie comorienne. Mmadi Hassani Abdillah parle à la fois d’une « insuffisance de données » (mais le peu qui existe n’a pas été suffisamment exploité), et de « silence historique », ce qui reste une évidence, même pendant le centenaire de la Première Guerre mondiale. Son livre apporte une certaine lumière sur les faits. Malheureusement, l’analyse des archives propres aux Comores reste superficielle et peu profonde. Il manque également des enquêtes auprès de la population et une exploitation des ouvrages sur la période et le contexte de l’époque. Ce livre est tout de même une invitation faite aux historiens à approfondir, à fouiller et aller plus loin sur l’engagement des Comoriens dans la Première Guerre mondiale, mais aussi dans la Seconde.