L’ancien premier ministre Halidi Abderemane Ibrahim a été inhumé le 26 février dernier sur ses terres natales à Bandracouni dans le Nyumakele en présence de personnalités politiques et religieuses et une foule d’anonymes venus des quatre coins de l’archipel. Le défunt a reçu les honneurs militaires avant de regagner sa dernière demeure. Par Faïssoili Abdou
L’histoire se termine là où elle a commencé. En effet, c’est à Bandracouni, un village en plein cœur du Nyumakele, que naquit vers 1954, celui qui allait devenir un homme politique de premier plan dans l’archipel. Le jeune Djamil Halidi (son prénom de naissance) quitta très tôt sa région natale à la recherche du savoir. C’est ainsi qu’il atterrit à Ouani où il est accueilli dans la famille d’un certain Abdou Madera, un ami de son papa, après son inscription à l’école primaire de M’rémani par Younoussa Bamana, l’ancien président du Conseil général de Mayotte, qui y était alors instituteur.
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Ibrahim Halidi est engagé très jeune dans la politique qu’il ne quittera jamais jusqu’à son dernier souffle. Il était candidat aux dernières législatives avant de se retirer le jour du scrutin en dénonçant des fraudes massives. L’enfant du Nyumakele a laissé son empreinte dans l’histoire politique de l’archipel du début de l’indépendance à nos jours. Cet enseignant de philosophie a occupé plusieurs fonctions politiques. Député, ministre puis Premier ministre, son œuvre politique marquée par un combat inlassable pour les droits des plus faibles lui survivra. Il était un homme politique modeste qui a su se créer un fief et un électorat acquis à sa cause. Retour sur le parcours politique de celui qui était considéré comme le « leader des petites gens ».
La vidéo a été tournée en 1977. Elle circule sur les réseaux sociaux depuis 2008. Dans son émission « Laissez-Passer », Daniel Bertolino, réalisateur d’origine canadien, parle alors de l’archipel des Comores engagé dans la révolution soilihiste et surtout de la « Jeunesse révolutionnaire ». Parmi ses interlocuteurs, il y a le jeune Ibrahim Halidi, 19 ans, membre du comité national populaire. Lorsque le documentariste l’interroge sur son espoir le plus important dans cette révolution, le jeune révolutionnaire répond : « C’est de voir l’État comorien uni, c’est de voir le socialisme victorieux. C’est de voir le peuple travailleur arrivé à bénéficier lui-même des fruits de son travail ». À la question de savoir s’il avait des ambitions personnelles, le jeune politicien rétorqua : « Je ne peux pas dire que j’ai des ambitions personnelles parce que je me suis lancé et je lutte pour le peuple et je lutterai pour le peuple ». Dans cette déclaration, le natif de Nyumakele, une des régions les plus reculées de l’archipel des Comores, dessinait ainsi les contours de son engagement politique axé dans la préservation de l’unité nationale et la lutte pour les droits de la masse populaire. Un engagement de toute une vie pour cet homme qui n’oubliera jamais ses origines paysannes.
Le défunt s’engagea en politique sous le règne d’Ali Soilihi. « Après le coup d’État d’Ali Soilihi, alors lycéen, il part à Moroni, où il insuffle à Ali Soilihi l’idée de la création de la Jeunesse révolutionnaire. L’idée plaît à Ali Soilihi, qui en fait son régent. Certains disent vice-président. Il était chargé de la construction des infrastructures publiques, dont les mudiriya », confie le sociologue et auteur Adjimaël Halidi, fils de l’ancien premier ministre. « À Anjouan, les paysans n’avaient pas de terres. Ces dernières appartenaient à des familles des grandes villes ou des anciens colons européens. Il les a fait récupérer et distribuer aux populations. Les villages de Koki, Mwawu viennent de là. Les villageois sans terre de Mjimandra ou Ongoni Marahani et tant d’autres ont eu accès à la terre », poursuit-il.
Brillant et actif, le jeune Halidi gagnera en estime auprès du révolutionnaire Ali Soilihi. C’est ainsi qu’à moment lorsque le chef de la révolution devait se retirer momentanément de la présidence durant 45 jours, il confia l’intérim à Ibrahim Halidi qui devenait ainsi le plus jeune président de l’Histoire. Après le coup d’État contre son mentor Ali Soilihi, le jeune révolutionnaire fit de la prison. De son lieu de détention, celui qui avait quitté le lycée en classe de seconde pour créer le mouvement de la jeunesse révolutionnaire demanda alors de passer son bac qu’il décrocha malgré le fait qu’il n’avait fait ni la première ni la terminale. Il est ainsi libéré et obtint par la suite une bourse pour le Togo où il effectua des études de philosophie et de sciences sociales appliquées. De retour au pays, il devient enseignant de philosophie d’abord au lycée de Fomboni, puis à Mutsamudu et enfin à Domoni. Il était le premier président du jury autochtone d’un examen national, notamment le BEPC après le départ des Français.
Le grand leader politique du Nyumakele fera alors son grand retour dans l’arène politique lors des élections présidentielles de 1990 après l’assassinat du président Ahmed Abdallah. Il soutient le candidat Said Ali Kemal au premier tour. Ce dernier se rallia ensuite le candidat Said Mohamed Djohar au deuxième tour et après le succès de leur champion, le leader du Chuma ainsi qu’Ibrahim Halidi feront leur entrée au gouvernement. Ibrahim Halidi héritera du ministère de l’Intérieur tandis que Kemal qui sera chargé du ministère d’État, chargé de l’économie et du commerce, fera, dans les faits, fonction de Premier ministre, un poste supprimé à la fin de l’année 1984 par l’ancien président Ahmed Abdallah.
À l’issue des législatives de novembre 1992, le parti Union des démocrates pour la décentralisation (UDD) qu’Ibrahim Halidi a créé, entre temps, devient majoritaire à l’Assemblée nationale. Il sera ainsi désigné Premier ministre et chef du gouvernement, un fait inédit jusque-là, car tous ses prédécesseurs n’étaient que des Premiers ministres nommés. Il restera 6 mois à ce poste avant d’être déposé en mai 1993 par une motion de censure. Ibrahim Halidi fut à l’origine de la mise en place d’une préfecture et d’un lycée à Nyumakele durant cette période. Lors des élections de 1996, dont il était lui-même candidat, il a soutenu Mohamed Taki au second tour. Il devient à nouveau ministre de la Santé, ministre des Transports et puis secrétaire général du gouvernement. Ibrahim Halidi, partisan du dialogue, fut un farouche opposant du débarquement militaire à Anjouan sous Taki. Après Taki, il n’a plus été ministre. Et n’a plus occupé de poste important. Il fut empêché de regagner l’île alors aux mains des séparatistes. Après plusieurs tentatives, il réussit à s’y installer et s’est même porté candidat contre Mohamed Bacar en 2002. Aux élections présidentielles de 2006 au niveau de l’Unon, le candidat Ibrahim Halidi arrive en deuxième position derrière le vainqueur, Ahmed Abdallah Sambi.
Après cet échec, il fit un bref passage dans le gouvernement de Mohamed Bacar à Anjouan. Comme d’autres personnalités politiques de l’île ralliées à Bacar, cet engagement aux côtés d’un Exécutif insulaire alors en conflit ouvert avec le pouvoir central lui vaudra encore de la prison, après le débarquement de mars 2008. Celui qui s’est opposé avec verve aux séparatistes sera ainsi taxé de séparatiste lui-même par certains. Depuis 2016, Ibrahim Halidi était un soutien du régime Azali. Un engagement finalement payé par l’ingratitude…
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