Dimanche 23 février. Il pleuvait fortement, par intermittences sur Mayotte, du nord au sud. En fin de matinée, nous apprenions que l’ancien Premier ministre Ibrahim Halidi était décédé au Centre Hospitalier. Par Mahmoud Ibrahime
Après avoir compris que le gouvernement avait choisi de le laisser mourir sur place, sa famille a décidé de l’embarquer dans un kwasa-kwasa en direction de l’île sous administration française et où vivent certains de ses enfants, pour espérer le sauver. L’opinion publique a rapidement compris que si cet homme politique comorien originaire du Nyumakele a été contraint de prendre un kwasa-kwasa, c’est parce que le gouvernement comorien n’a pas pris les mesures nécessaires qui auraient sans doute permis de le sauver. Masiwa a reconstitué le récit du périple qui a conduit l’ancien Premier ministre vers sa dernière demeure à Bandrakouni.
Un début d’AVC
Lundi 17 février l’homme politique a été frappé par un AVC. Un début d’AVC. Au début cela ne parait pas grave, mais les choses s’enveniment assez rapidement, à tel point qu’une partie du corps ne répond plus. Le lendemain, la famille décide de le ramener à l’hôpital de Bambao Mtsanga. L’hôpital construit sous l’ère Sambi est toujours flambant neuf et quasiment laissé à l’abandon par le gouvernement actuel. Il y reçoit les premiers soins d’un généraliste. Insuffisants pour faire face à un AVC. Il faut l’évacuer au plus vite. Pourtant, il va y rester trois nuits et trois longues journées pendant lesquelles ses enfants et ses proches négocient à la fois avec les diplomates français et avec le gouvernement comorien.
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Il semble que le Consul français à Anjouan attendait une garantie du gouvernement comorien et l’Ambassadrice de France attendait d’être saisie officiellement par les autorités comoriennes puisqu’Ibrahim Halidi possédait un passeport diplomatique.
Selon les enfants de l’ancien Premier ministre le chef de la diplomatie comorienne, Amine Souef a été saisi ainsi que le chancelier du ministère des Affaires étrangères et ils connaissaient très bien la gravité de la situation. Ils savaient clairement qu’à tout moment, il pouvait mourir. Jusqu’à vendredi vers midi, les enfants étaient persuadés que malgré les dissensions de leur père avec le camp gouvernemental après le constat de fraudes au début des législatives, le gouvernement comorien allait saisir les autorités françaises pour permettre à leur père d’aller se faire soigner. Il a pesé de tout son poids dans le Nyumakele en 2016 pour l’élection d’Azali Assoumani, il a refait la même chose en 2019 et a organisé les grandes messes dans le Nyumakele pour crédibiliser le chef de l’État dans sa région. On ne pouvait pas le laisser mourir.
Jeudi, dans un moment de conscience, Ibrahim Halidi demande où en sont les démarches. Ses enfants le rassurent au vu des espérances qu’ils ont que le gouvernement ne pourra pas refuser d’agir sur cette urgence. Ils lui disent donc que le gouvernement a accepté son départ en avion, mais la compagnie AB-Aviation exige qu’il puisse s’assoir. Il fait des efforts pour pouvoir se conformer à cette exigence. Il se nourrit alors que jusque-là ce n’était pas possible.
Vendredi matin, l’ambulance le récupère à l’hôpital et le ramène à l’aéroport où un avion est prêt à décoller. Le plus petit des fils, Salec est posté devant le consulat de France à Mutsamudu pour prendre le passeport diplomatique de son père dès qu’il sera revêtu du visa et le ramener rapidement à l’aéroport. Le gouverneur de l’île, Anissi Chamsidini a même promis de retarder le décollage de l’avion s’il le faut. Mais, le temps passe et le gouvernement comorien ne demande rien aux diplomates français. Peu à peu, les uns et les autres éteignent leurs téléphones. Anissi Chamsidine ne répond plus. Aucune nouvelle ne vient du Ministère des Affaires étrangères. L’avion décolle.
Presque instantanément, la solution du kwasa-kwasa s’ouvre. Il faut débourser 2000€. L’ambulance prend la direction de la mer. Un peu avant la fin de la prière de vendredi, Ibrahim Halidi, encore inconscient est mis dans une barque. Pour l’accompagner, un infirmier, l’ancien député Manrouf et son jeune fils, Salec. En pleine mer, il se réveille et quand on lui fait comprendre qu’il est dans un kwasa-kwasa, il s’effondre en pleurs. L’inaction du gouvernement le condamnant à la mort est une surprise pour lui.
Le kwasa-kwasa ne s’est pas perdu comme a pensé la famille après 15 heures en mer. Ils sont arrivés aux alentours de Mayotte vers 18 heures. Pour éviter les rondes de la Police aux Frontières, ils décident de passer la nuit en mer. Un peu avant l’aube, ils débarquent. L’ambulance des pompiers est là et l’ancien premier ministre est pris en charge. À l’hôpital, il est placé en soins intensifs.
Les enfants reprennent espoir. De temps en temps il peut parler. Le dimanche matin, il est encore conscient, il leur parle, avant de partir soudainement.
Dimanche vers midi, dans la partie Urgence de l’hôpital, il n’y avait encore que ses enfants, les proches et le « docteur », en réalité, il se présentait comme un infirmier qui avait accompagné l’ancien Premier ministre pour indiquer aux enfants comment maintenir son corps dans une position de sécurité dans le kwasa. Son fils, Farid, un grand gaillard, habituellement le plus virulent contre ceux qui s’attaquaient à son père, avait le visage noyé dans les larmes et son smartphone sous les yeux psalmodiait des prières. Devant lui, le corps de son père sur un lit d’hôpital recouvert d’un simple drap blanc.
Son grand frère était stoïque. Le ciel lui tombait sur la tête, mais il continuait à marcher, car il y avait encore le nécessaire à réaliser. Il rentrait et sortait de la chambre s’arrêtait à l’extérieur de la cour de l’hôpital, en conciliabules permanents avec son oncle, Djaenfar, le frère de sa mère qui assumait son rôle de chef de famille à ce moment précis.
Le plus petit des frères, Salec, suivait son grand frère et attendait ses instructions ou ceux de son autre grand-frère, l’écrivain Adjimael Halidi, à Nairobi, qui au bout du téléphone était effondré, mais cherchait une solution de transport pour le retour du corps de son père. Un autre fils d’Ibrahim Halidi, Nezif-Hadj, qui fait des études de droit à Tananarive déversait aussi son trop-plein d’émotion dans les réseaux en se préparant à rentrer pour enterrer son père.
Dès la fin de la matinée, tout semblait réglé. Les démarches administratives étaient accomplies et le corps placé en lieu sûr. AB-Aviation disait à la famille ne pas avoir les autorisations nécessaires pour transporter un corps. Une entente avait été établie pour un transport en bateau le jour suivant.
Quelles que soient leurs réactions immédiates et visibles, les enfants d’Ibrahim Halidi laissaient transparaitre l’amour inconditionnel qu’ils portaient à leur père et sans doute celui que cet homme politique leur avait donné par sa présence, permettant à chacun de faire des études et de se réaliser. Après l’admission de leur père au Centre Hospitalier de Mayotte, ils l’avaient cru sauvé. Ils attendaient qu’il se relève et fasse face à tous ces amis qui l’avaient abandonné. Dieu en avait décidé autrement.
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