Mohamed Djaanfari est né en 1952 à Sima (Anjouan). Ancien militaire français, ancien armateur, homme politique de l’opposition, il est décédé dans la nuit du jeudi au vendredi 21 février 2020 en France. Pour le moment, le gouvernement Azali est resté silencieux sur la disparition de cette personnalité politique, qui s’était affirmée ces derniers temps comme un opposant au chef de l’État. Par Mahmoud Ibrahime
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Dans une autre vie Mohamed Djaanfari a été un militaire français, dans l’armée de l’air, mais, c’est sa vie de retraité qui est la plus connue par le grand public. En effet, après l’armée, il devient armateur, met en exploitation deux bateaux : le « Ville de Sima 1 » puis « Ville de Sima 2 » qui transportaient les Comoriens dans les quatre îles pendant plusieurs années, avant de disparaitre. Il ne lui restait ces derniers temps qu’un seul bateau le El Djaanfari. La politique l’avait peu à peu happé et il avait délaissé les affaires.
Anti-séparatiste
Mohamed Djaanfari fait partie de ces Anjouanais qui ont refusé de suivre la folie séparatiste en 1997 et cela restera un marqueur dans sa vie politique. Pendant cette crise séparatiste, il a été sollicité par les milieux français, comme probable recours à Anjouan pour mettre fin à la crise. Il a fait souvent des allers-retours. En 2008, rien n’avait changé chez lui, il fallait abattre le monstre et, bien qu’il soit opposé au président Sambi, il met à la disposition de l’armée comorienne ses bateaux pour l’intervention qui allait déloger Mohamed Bacar et mettre fin au séparatisme à Anjouan.
Dans son témoignage édifiant, Hamidou Saïd Ali, Directeur Adjoint à l’Autorité portuaire, sous ses ordres pendant deux ans rapporte : « Défenseur de l’unité nationale, au moment de sa prise de fonction, il avait pris l’engagement de mettre fin à l’Ordonnance en date de 2001 signé par le Colonel Azali, qui a créé l’Autorité Portuaire des Comores (Port de Moroni et de Mutsamudu) et qui a laissé le port de Mutsamudu sous la gestion de l’île Autonome d’Anjouan. En novembre 2013, il a soumis le projet de loi portant création de la Société Comorienne des Ports dont l’objectif était l’unification de l’ensemble des ports de l’Union des Comores. Après avoir été votée par l’Assemblée de l’Union, cette loi a été promulguée en décembre 2014 ». Malheureusement, elle est restée inappliquée, Djaanfari ayant été limogé quelques mois après.
Pourtant, récemment, pour sans doute préparer son arrestation en tant qu’un des chefs de l’opposition à Anjouan, les tenants du régime actuel essayaient de le faire passer pour un séparatiste. Ultime insulte à cet homme qui s’est battu depuis 1997 contre le séparatisme.
L’opposant, victime des fraudes
Mohamed Djaanfari fait son entrée en politique avec son élection en 2004 en tant que député de sa région de Sima. Au sein de l’Assemblée de l’Union, il n’a pas de mal à s’imposer comme Vice-Président. Deux ans plus tard, il est candidat aux présidentielles de l’Union, la tournante étant arrivée à Anjouan. Il arrive deuxième derrière Ahmed Abdallah Mohamed Sambi et au deuxième tour, le premier creuse l’écart. L’armateur devient l’opposant naturel du nouveau président.
En 2008, il est candidat aux élections de la présidence de l’île d’Anjouan, remportées par Moussa Toybou, le candidat du gouvernement et qui n’était pas très connu. Mohamed Djaanfari est persuadé qu’il est victime de fraudes. Son aversion du régime Sambi ne fait que s’accentuer.
Il ne se décourage pas et les élections législatives de 2009 lui permettent de repartir en campagne la quatrième fois en cinq ans. Il est déjà dans l’opposition, porté par sa popularité et par sa région, il est le candidat favori. Au premier tour, il obtient plus de 39% contre 24% pour le candidat du gouvernement, Nouroudine Fadhula. La différence entre les deux hommes est de 15 points, pourtant le candidat du pouvoir est proclamé vainqueur à l’issue du 2e tour. Les habitants de sa ville s’élèvent alors contre la fraude qui parait évidente. Des barricades sont érigées. Le 23 décembre, l’armée intervient dans la ville, détruit plusieurs maisons, dont celle de Djaanfari qui en appelle à la communauté internationale, et dit craindre pour sa vie. Il doit quitter rapidement et en cachette le pays. Il se réfugie à Mayotte. Un mandat d’arrêt international est lancé contre lui. Il revient le 2 août 2010 et il est immédiatement arrêté à l’aéroport de Ouani. D’abord retenu à la gendarmerie de Mutsamudu, puis relâché peu après, mais sa candidature aux élections des Gouverneurs est invalidée par la Cour constitutionnelle, son dossier ayant été jugé « incomplet ».
Directeur de l’Autorité portuaire
Après l’élection d’Ikililou Dhoinine à la présidence, il est de ceux qui plaident pour que l’ancien président Sambi le laisse élaborer et mener sa propre politique. Lorsque le président élu prend effectivement ses fonctions un an après, Mohamed Djaanfari se dit prêt à entrer dans un gouvernement Ikililou qui serait élargi à l’opposition. Opposé à la corruption, il demande également que le président Sambi soit entendu par la Justice pour sa gestion financière opaque, notamment sur la vente de la citoyenneté comorienne. Il a alors plein d’idées pour développer le tourisme et la pêche.
Faute d’un poste de ministre, comme il l’aurait souhaité, Ikililou Dhoinine le nomme Directeur du Port Autonome de Moroni, le 13 août 2013. Il connait plus qu’un autre les ports des Comores et il sait déjà ce qu’il faut faire.
Son adjoint à l’Autorité portuaire des Comores, Hamidou Saïd Ali se souvient : « Mohamed Djaanfari a hérité d’une société d’État en plein décollage financier et organisationnel. Il a tenu la promesse de maintenir cet élan jusqu’au bout ». Le Directeur adjoint, qui est resté admiratif des méthodes de management de Djaanfari continue dans son témoigne : « Ainsi, deux mois après sa prise de fonction, sa première décision a été d’affilier l’ensemble du personnel (époux/épouse et 4 de leurs enfants) dans une Agence privée d’assurance maladie avec une contribution de 80% de la société et 20% revenait à l’agent. C’est une première dans la fonction publique comorienne. En 2 ans de fonction à l’APC, il versait les salaires des employés tous les 25 du mois sans jamais cumuler un arriéré. Chose très rare pour les autres fonctionnaires de l’État. Pendant la période de 2 ans d’exercice, il accordait des bonus d’encouragement et de mérite aux personnels pendant les périodes de fêtes islamiques (Eid, Muharram…). Constatant un bénéfice de la société pendant l’année 2014, il a accordé le versement d’un 13e mois à tout le personnel, une première pour les fonctionnaires de l’État ».
Mohamed Djaanfari est toutefois limogé par le président Ikililou le 28 mai 2015.
Un combat pour la démocratie
Dans la perspective des élections de 2016, il s’éloigne du clan du président en place. Il est le Vice-Président de Mouigni Baraka. L’équipe réussit à se hisser à la troisième position et à atteindre le deuxième tour. L’ancien candidat, aujourd’hui président du Conseil national de la Transition (CNT) lui a rendu hommage en soulignant son patriotisme : « Le monde politique, le monde des affaires et la nation ont perdu un homme de convictions, un de leurs grands serviteurs et patriotes qui a apporté à son pays tout son temps et toute son énergie (…)
Le leader Mohamed DJAFFAR a toujours porté un message de progrès, de consolidation de la paix entre les Anjouanais et entre le peuple comorien. »
Mohamed Djaanfari s’était engagé ces derniers temps contre l’autocratie qui s’installe dans le pays et la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme. En France, où il est décédé, il avait rencontré les leaders de l’opposition exilés et en lutte. La mort l’emporte en plein combat. Une lourde perte pour les démocrates comoriens.
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