Le mufti est un personnage présent auprès du président comorien depuis l’indépendance, lien entre l’islam et le pouvoir politique, il a toujours été une source de légitimation du pouvoir, quelle que soit la nature de celui-ci.
« Et ils te consultèrent « (wa yastaftûnaka) (Coran 4 : 127 et 4 :176), cette phrase laisse croire que le Prophète aurait lui-même joué le rôle d’un mufti, répondant ainsi aux interrogations de ses compagnons. Le mufti peut être défini comme étant une personne instruite apte à donner des réponses sur des questions nouvelles d’ordre culturel, juridique, mais également politique en conformité avec la religion musulmane puisque la révélation a cessé avec la mort du Prophète.
La légitimation d’un pouvoir en islam, cela est aussi valable dans n’importe quelle société, est une volonté politique de consolider le pouvoir et cela ne date pas d’aujourd’hui. Remarquons qu’en occident, le « langage laïc de légitimation » s’est progressivement imposé au détriment de la légitimation religieuse.
En terre d’islam, la légitimation du pouvoir par la religion varie en fonction de la doctrine prônée par l’autorité califale. Généralement, les califes se démarquent par la construction de grandes mosquées prestigieuses, mise en place d’une seule doctrine religieuse et prestiges accordés aux docteurs de la loi. L’exemple de la dynastie hafside (1207-1574) est symbolique de la démarche : marqués par un certain nombre de troubles et de multiples rébellions, les Émirs hafsides vont alterner entre politique de prestige et politique de faveurs accordées aux docteurs de la loi – une manière de juguler les contestations et les rébellions de plus en plus nombreuses. Largement contestés par la population, les califes hafsides tentèrent par tous les moyens d’avoir le soutien des docteurs de la loi ; sous son règne, Abû Yahyâ Abû Bakr (1318-1346), aurait choisi comme chambellan un grand cheikh malikite de l’époque du nom de Ibn Tafrâgîn pour tenter de calmer les rébellions.
L’importance d’un mufti est notable en période d’instabilité politique et le cas des Comores en ce moment n’est pas nouveau. En effet, une doctrine juridique abondante existe sur la question, sur la manière d’agir en période de conflit et de révoltes vis-à-vis de l’autorité politique. Ces muftis qui étaient au service du pouvoir politique ont toujours, au nom de la religion, essayé de dissuader les gens de sortir contre les califes. Yahyâ b. Yahyâ (m.848), un grand docteur de la loi, avance que la « meilleure façon d’agir en période de troubles (fitna) est de ne pas sortir aider (la rébellion), ni de sortir (contre le pouvoir en place). »
Historiquement, les gens qui sont spécialisés dans la production du sens religieux, ceux qui gèrent socialement le capital sacré, ont généralement été du côté du pouvoir politique légitimant ainsi celui-ci. Il n’est pas étonnant de voir un mufti des Comores soutenir une autorité politique (juste ou injuste), puisqu’il suit une lignée vieille de plus de mille ans. Dans l’histoire politique de l’islam, le mufti est celui qui est censé connaître la loi et parallèlement le calife met en place l’exécution de cette loi. L’institution du mufti est un outil important en terre d’islam, surtout en période de contestation populaire puisqu’à partir du capital sacré, d’une Loi révélée, une autorité politique peut se réclamer légitimement d’une source céleste et prophétique. Cette volonté de légitimer une autorité politique par la religion a fait en sorte que, progressivement, les docteurs de la loi ont pris le pouvoir intellectuel devenant ainsi l’incarnation du capital cultuel en islam ; et ils ont commencé à présenter l’islam comme étant une religion dont le noyau est la loi. De plus en plus fort, des cheikhs ont réussi à convertir des dynasties à leur doctrine à l’image de la conversion du calife Ja’far al-Mutawakkil au sunnisme en 850 afin de légitimer sa dynastie califale contestée, ce qui a conduit également à la conversion de l’empire qui était jusque-là mu’tazilite. L’instabilité politique a souvent poussé des califes a changé de doctrine en matière de religion ; la campagne contre le shiisme que nous avons connu depuis 2016, et on se souvient tout récemment de la rupture diplomatique avec l’Iran, s’inscrit dans une démarche de légitimation politique.
Lorsqu’un président de la République récite à flot dans ses discours, incessamment, des versets coraniques, le mufti à côté, c’est pour montrer aux yeux de tous que malgré la contestation, sa légitimité vient de Dieu. Lorsque le sunnisme apparaît dans la constitution, c’est aussi une manière de se définir soi et les semblables comme étant « des vrais musulmans » et ceux qui s’opposent comme non-sunnite et donc des égarés. Si le président Azali s’est présenté, soudainement, comme le défenseur du sunnisme aux Comores, son discours lors de la clôture des assises en est témoin, c’est une manière symbolique de soudoyer les docteurs de loi, le mufti dans le lot, et cela fait partie des instruments de légitimation religieuse. Il s’inscrit dans la démarche totalitaire théorisée par al-Mawardî (m.1058) dans son Droit du calife qui fixe deux missions au calife : « gouverner ce monde et défendre la Foi. » Pour ce qui est des compétences du mufti, son institution est là pour donner des réponses nouvelles, mais c’est surtout une institution qui fournit très souvent à l’autorité politique des solutions et parfois l’État se sert des muftis pour légitimer le pouvoir.
MOHAMED CHANFIOU Moustakim
Doctorant Université Paris 3