La question du délit de presse revient sans cesse dans l’actualité judiciaire comorienne. Mais, comment parler de délit de presse ou de liberté d’expression sans parler, même brièvement, de l’affaire Plame-Wilson ? [ihc-hide-content ihc_mb_type=”show” ihc_mb_who=”2,3,4,5,6,9″ ihc_mb_template=”1″ ]
Ce scandale politico-journalistique a non seulement secoué l’administration Bush-fils avec la chute de Lewis Libby, alors Secrétaire général de Dick Cheney ; mais aussi bouleversé la presse américaine. La Cour Suprême des États-Unis a « estimé » que le secret sur l’identité d’un agent prime sur celui de la source.
De la définition de l’information
L’information est l’origine de cet acte qu’on qualifie de délit. Donc il ne serait pas malvenu de la définir avant d’entrer dans les contours du sujet. En effet, la loi N°10-009/AU du 29 juin 2010, portant code de l’information et de la communication définit l’information de la manière suivante : L’expression « information » et « communication » est l’ensemble des processus de collecte, de traitement, de stockage et de diffusion sous forme de parole, de son, de message, de signaux, d’images visuelles et de données par un émetteur vers plusieurs récepteurs (premier alinéa de l’article 2). Ceci dit, chaque outil d’information, audiovisuelle ou écrite, doit essentiellement assurer une mission d’intérêt général (article 3). La population doit être la principale cible, car elle a le droit d’être informée. De même, et cela va sans dire que les journalistes ont le droit de collecter librement les informations qu’ils jugent utiles pour les diffuser. Le droit à l’information est un droit fondamental protégé par la Constitution elle-même. On l’appelle communément, comme tous les autres droits fondamentaux, un droit constitutionnel. L’article 28 de la Constitution de 2018 dispose à cet effet que la liberté d’information, de communication et de presse est garantie dans les conditions fixées par la loi.
Du délit de presse
Par ailleurs, ces « conditions fixées par la loi » donnent indirectement naissance au délit de presse. Une brèche est ouverte à tous les excès. Le délit de presse est une façon d’encadrer, pour le législateur, de museler pour les gouvernants, la liberté de la presse. De manière simple, c’est une limite à la liberté d’expression. Vous pouvez vous exprimer, mais… il ne faut surtout pas dire ceci ou cela. Le secret professionnel est garanti, mais sur certains cas, il faut donner le nom de la source. Pendant que l’article 68 de la loi de 2010 dispose que le journaliste n’est pas tenu à divulguer ses sources et ne peut, dans ce cas, être inquiété par l’autorité publique. Cette disposition est régulièrement bafouée au nez et à la barbe de tous. Les textes en vigueur n’ont pas explicitement défini le délit de presse. On peut juste le repérer à travers un certain nombre de dispositions.
De la responsabilité pénale.
Dans l’univers de la presse écrite, ce n’est pas seulement l’auteur de l’information mise en cause qui est pénalement responsable. C’est-à-dire qu’un principe appelé responsabilité de cascade s’applique lorsqu’on est en face d’un délit de presse. Il y a une hiérarchie de responsabilité au sommet de laquelle se trouve le directeur de publication. L’article 88 de la loi de 2010 dispose : « Pour la presse écrite, sont considérés comme responsables principaux des délits de presse, les personnes dont l’ordre suit : 1) le directeur de publication ; 2) À défaut le responsable d’éditions ; 3) À défaut les auteurs ; 4) À défaut les imprimeurs ». C’est d’ailleurs, en partie, à cause de cette règle qu’il est nécessaire d’avoir un responsable de la publication avant l’ouverture légale du journal. Tout journal ou écrit périodique doit avoir un directeur de publication. Ce dernier ne doit jouir d’une immunité quelconque. Le directeur et éventuellement le co-directeur doivent être majeurs et jouir de leurs droits civils et civiques. Toutes les obligations légales imposées par la présente loi au directeur de la publication sont applicables au co-directeur de publication (article 12 de la loi de 2010).
Des sanctions pénales
L’article 78 du code de l’information et de la communication dit que « toute personne qui colporte ou distribue délibérément des publications périodiques interdites ou non-conformes aux dispositions de la présente loi sera déférée au parquet par le Conseil National de la Presse et de l’Audiovisuel (CNPA, NDLR) qui a constaté l’infraction ». Mais il convient de souligner que le code de procédure pénale n’autorise pas le Procureur de la République à appliquer la procédure de flagrance aux délits de presse. La loi N° 94-023/AF du 27 juin 1994 sur l’information avait prévu une procédure spéciale en matière de délit de presse : la citation directe ; un délai de 20 jours francs entre la citation et la comparution de la personne poursuivie. Mais la loi de 2010 qui l’a abrogée a laissé un vide juridique sur la question.
De l’analyse relative au délit de presse aux Comores
Dans la pratique, ce n’est même pas au parquet que ça se passe , mais plutôt à la gendarmerie nationale. Des gardes à vue sont même observées. Au nom de quoi ? En vertu de quelle loi ? Aucune idée. Et pourtant tous les textes applicables en Union des Comores sur le délit de presse n’ont fait montre d’aucune ambigüité sur cela. Quand on regarde de plus près, on constate que le fait le plus reproché aux journalistes mis en cause pour délit de presse est la diffamation. Celle-ci peut se définir de la façon suivante : « Une allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Ceci étant, au lieu de garder à vue à la gendarmerie l’auteur de l’information qu’on juge diffamatoire, on peut exiger de sa part un démenti dans le numéro suivant assorti d’un avertissement. Mais dans ce cas, il faudrait apporter au public la preuve contraire de l’information en question. Il faut que nos dirigeants sachent, parce qu’apparemment ils l’ignorent, le respect de la vie privée n’est pas applicable aux personnages publics dans la mesure où l’immixtion est faite dans le cadre de leurs fonctions. Dans le scandale des Panama Papers, les dirigeants mis en cause n’ont pas pu intenter une action contre les médias ayant révélé l’information au grand public. Car les citoyens ont le droit de connaitre la situation économique de leurs dirigeants. Dans d’autres cieux, une déclaration de patrimoine est même obligatoire pour ces gens-là. Mais chez nous, un article sur l’état de santé d’une autorité vaudrait à son auteur, la perpétuité; ce qui est pourtant du droit des citoyens.
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Mounawar Ibrahim, juriste.