L’ancien président français, Jacques Chirac est décédé ce 26 septembre. Sa disparition a bouleversé les Français et de nombreuses personnes dans le monde. Dans l’archipel, plusieurs internautes comoriens ont montré leur tristesse à travers les réseaux sociaux, souvent en exprimant leur reconnaissance à l’ancien président, qui en 2003, s’est opposé aux États-Unis et a refusé la guerre contre l’Irak. Par Mahmoud Ibrahime
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Chirac, un « père » pour le MAECI
Le gouvernement comorien a exprimé « son immense tristesse » après ce décès à travers un communiqué du ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale (MAECI). Dans ce communiqué, l’ancien président français est présenté comme un « infatigable défenseur des arts africains » et un « fervent avocat des pays en voie de développement dans les instances internationales ». Le MAECI ajoute également cette phrase ambiguë pour un gouvernement qui se dit souverain : « il entretenait avec l’Afrique une relation quasi-filiale ». C’est un peu comme si l’inconscience du rédacteur du communiqué parlait et exprimait un certain paternalisme colonial qu’on retrouve chez certains hommes politiques et cadres aux Comores. Dans le paragraphe suivant, l’erreur historique s’est ajoutée à l’ambiguïté puisque le MAECI affirme que Jacques Chirac s’est opposé à la guerre en Irak « au début des années 90 ».
Aux Nations-Unies, le chef de l’État, Azali Assoumani, en préliminaire à son discours a tenu à présenter ses condoléances aux Français.
À Mayotte, les habitants et les hommes politiques, à l’unanimité, tous partis confondus, ont exprimé leurs condoléances à celui qui est considéré comme « un ami de Mayotte ». Le député Kamardine Mansour, perçu comme son « fils spirituel » a déclaré : « Mayotte doit beaucoup à Jacques Chirac ».
« La solution de l’unité de l’archipel »
Nommé Premier ministre par le président Valery Giscard d’Estaing le 27 mai 1974, Jacques Chirac gère le processus d’indépendance des Comores, conformément à la promesse faite par le nouveau président aux responsables politiques comoriens pendant la campagne, mais aussi en suivant les Accords signés en juin 1973 par les deux parties.
Dans ce processus, V. Giscard d’Estaing et Jacques Chirac sont persuadés qu’il faut maintenir l’unité de l’archipel des Comores et citent tous les deux, à toutes les occasions, les caractéristiques qui unissent les quatre îles.
Ainsi, lorsque son condisciple à Sciences-po, Pierre Pujo, Directeur de publication d’Aspects de la France et dirigeant du mouvement (dissout) « Action française » demande à Jacques Chirac de revoir la politique du gouvernement qui prévoit l’indépendance de l’archipel dans l’unité, après une consultation de la population, ce dernier répond par une lettre du 4 novembre 1974 :
« En droit international tout d’abord, il est constant que les territoires qui accèdent à l’indépendance conservent les frontières qu’ils avaient sous le statut colonial. La France, toujours respectueuse de ces règles, ne pouvait en l’occurrence y déroger.
Dans les faits ensuite, je crois qu’il aurait été contraire à notre vocation de créer, à la naissance du nouvel État, motif de dissension et de trouble. Notre mission est de conduire les peuples qui ont été soumis à notre juridiction à l’autodétermination et, s’ils le souhaitent dans leur majorité, à l’indépendance dans l’ordre et dans la paix (…)
Enfin, je souligne que les institutions du nouvel État seront largement décentralisées (…)
Au total, et sans mésestimer l’attachement des Mahorais à la France, je crois qu’il était conforme à la fois à notre vocation et aux intérêts des Comores de retenir la solution de l’unité de l’archipel ».
Mais, après la consultation de l’archipel qui se prononce largement pour l’indépendance, sous la pression du parlement, le gouvernement français souhaite une entente pour une constitution acceptée par chaque île avant de « donner » l’indépendance aux Comores dans l’unité. Cela met en colère le président Ahmed Abdallah qui, revenant de Bruxelles, arrive à Paris au début du mois de juillet 1975. Il exige de rencontrer le président Giscard, sans doute pour lui rappeler sa promesse pré-électorale. Il est reçu par le Premier ministre, Jacques Chirac qui essaie de calmer sa colère. Abdallah menace de déclarer l’indépendance dès son retour aux Comores, Chirac pense que c’est un bluff.
Après la déclaration d’indépendance, le 9 juillet 1975, le conseil des ministres décide d’accepter l’indépendance des Comores, mais sans Mayotte. Jacques Chirac démissionne de son poste de Premier ministre un an après.
Revirement sur Mayotte
Jacques Chirac visite l’archipel en octobre 1986, après son retour au pouvoir en tant que Premier ministre. Il fait d’abord escale à Mayotte où il affirme aux Maorais qu’ils resteront Français tant qu’ils le souhaiteront, mais calme leur revendication départementaliste en utilisant une formule qu’il attribue aux paysans de Corrèze : « Les paysans de chez moi, qui ont beaucoup de sagesse, disent qu’il ne faut pas mettre les charrues avant les bœufs ».
Il se rend le même jour à Moroni, où il rencontre son « ami » Ahmed Abdallah, où aucun des deux n’a parlé du contentieux sur Mayotte.
Le président Chirac revient à Mayotte en tant que chef d’État, le premier à s’y rendre, en mai 2001. Il est accueilli très chaleureusement par la population à qui il confirme que l’île restera française, tout en affirmant qu’elle n’est pas encore prête à revêtir le statut de département. Il affirmera entre autres aux Mahorais : « C’est le gage d’un nouvel équilibre entre tradition et modernité et les particularités de votre île qui doivent être respectées et son appartenance dans la république qui ne saurait être remise en cause ».
Il était devenu une constante chez lui que Mayotte ne pouvait plus retourner au sein de l’État comorien, mais n’était pas prête pour devenir un département. Pourtant, au même moment, le gouvernement de Lionel Jospin (cohabitation) engage le processus qui aboutit en 2009 à la départementalisation.
Le coup d’État de 1995
Le 17 mai 1995, Jacques Chirac devient président de la République française. Quatre mois après, le mercenaire français Bob Denard prend le contrôle des Comores. Sur le moment, le Premier ministre, le fidèle chiraquien Alain Juppé, Premier ministre, affirme que la France n’a rien à voir avec ce nouveau coup d’État. Pourtant, la communauté internationale contraint la France à aller chercher son homme de main, et sur le même élan, elle décide d’exiler le président Djohar à la Réunion. Plus tard, lors du deuxième procès Bob Denard, en février-mars 2006, de nombreux témoins ont montré l’implication directe du gouvernement français dans la préparation et le déroulement de ce coup d’État. Le jugement final rendu en juin 2006 est explicite : « il est donc évident que les services secrets français avaient eu connaissance du projet de coup d’État conçu par Robert Denard, de ses préparatifs et de son exécution.
Il est tout aussi manifeste qu’au moins ils n’avaient rien fait pour l’entraver et qu’ils l’avaient donc laissé arriver à son terme.
En conséquence, c’est que les responsables politiques l’avaient nécessairement voulu ainsi ; ce qui est à rapprocher du fait que, comme vu ci-dessus, Mohamed Djohar, après l’opération Azalée, n’avait nullement été rétabli dans ses fonctions présidentielles. »
Oui, le président Chirac, désigné par le ministère comorien des Affaires étrangères comme un « père » était aussi un acteur de la Françafrique, qui est à l’origine du coup d’État de 1995 aux Comores.
Jacques Chirac offre à Azali Assoumani la première visite officielle d’un président comorien en France, en janvier 2005. Cette visite de trois jours a été perçue comme une normalisation des relations entre les deux pays, puisque les gouvernements Chirac avaient jusque-là boudé celui qui était désigné comme un « putschiste ». Les opposants y ont vu une sorte de remerciement après les concessions faites « personnellement » à Chirac, en ce qui concerne les revendications maoraises aux Jeux des Iles de l’océan indien.
Depuis le processus d’indépendance jusqu’en 2005, les rapports entre Jacques Chirac et les Comores sont aussi ambigus que les relations entre les deux pays. Il était le dernier grand homme politique français qui avait connu les Comores avant l’indépendance. Il avait aussi des rapports d’amitié avec certains hommes politiques, mais aussi des Comoriens de la diaspora qui ont souvent fait campagne pour lui, particulièrement dans les élections à la mairie de Paris, au sein du RPR. D’où également ce rapport ambigu envers l’homme qui vient de nous quitter.
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