Quand l’histoire familiale épouse celle du pays, tendre l’oreille donne une autre saveur, un autre regard, un autre récit à ce grand livre commun. Abdourramane Asmah, petite fille de Said Mohamed Djohar, donc, également de «Papy Mongoz’» raconte sa première rencontre avec Ali Soilihi. Sa manière de lui rendre hommage. Parce que « c’était un 13 mai 1978, Ali Soilihi Mtsachiwa est capturé, avant d’être exécuté 16 jours plus tard, à 46 ans ».
Je l’ai connu un matin chez nous, après une nuit passée à Domoni, quand il est venu prendre le café chez ma grand mère, sa belle sœur. Je découvrais un être humain après avoir entendu tous les autres noms qu’on lui donnait à l’école, au chioni. Je découvrais donc que mon grand père était un être humain comme tous les humains que je côtoyais et non un djin qui veut tuer tout le monde.
Ma petite sœur et moi étions soulagées de voir un être humain chez nous prendre son café en parlant d’une voix douce et rassurant ma grand mère qui voulait savoir où était son frère et que voulait-il lui faire ? Il a répondu que sous sa protection, il ne risquait rien, que ce sont des personnes sûres qui le protégeaient.
Effectivement quelques jours après cet entretien, Ahmed Abdallah Abdérémane est rentré à Domoni pour annoncer à toute sa famille qu’il allait partir en France. Depuis ce jour , quand les autres enfants nous indexaient, moi je leur répondais que notre grand père n’était ni « djinn ni cera ». Personne ne voulait me croire quand je leur racontais qu’il venait souvent prendre le café chez nous dans la médina …puis un jour, il est venu dans notre maison chez ma mère. Il était ému car maman pleurait, elle venait de finir son ida et était veuve, et lui a demandé d’aller reprendre son travail à la Radio, car il avait besoin de personnel, car tous les techniciens « wazoungou » (blancs) sont partis avec ce qu’ils pouvaient emporter c’est à dire tout…
Ma mère est donc partie à Moroni où un travail qu’elle avait pratiqué avant l’indépendance l’attendait. A la question comment allaient ils pouvoir travailler , sans nagra pour les émissions faites à l’extérieur ? Mongozi aurait répondu. «Vous tous qui êtes là, vous allez travailler comme des vrais révolutionnaires, c’est à dire avec Rien». Tous les techniciens étant partis à Mayotte avec tout…. Ma mère et ses collègues avaient le bâtiment et les studios.
Maman nous téléphonait et Mongozi continuait à venir prendre son petit déjeuner chez nous et cette fois ci tout le monde voulait qu’on leur dise comment il est. Que nous dit il ? Il y en a qui souhaitait le rencontrer, mais il répondait à ma grand mère : « ne te tracasses pas, tous ces gens qui veulent me voir, ils me rencontrent ici ou à Hombo. Je suis ici depuis la veille, mais personne ne le sait et je préfère prendre mon café ici. Et maintenant que ton frère est bien parti en France, tu n’as plus à te faire des soucis. Je lui ai fait son passeport diplomatique car il m’a proposé de faire un périple chez nos amis africains avant de rentrer à Paris pour leur expliquer ce qui se passe réellement ici. Ceux qui voulaient le tuer se sont tous retournés contre moi, car je me suis opposé à cela et l’ai protégé jusqu’ à son départ. Il est arrivé chez lui à Paris et ne risque rien là bas.
Je n’oserais jamais nier ses défauts et ses faux-pas car comme tout homme il en a eu. Comme tout politicien ou dirigeant il a eu ses soutiens et ses opposants. Beaucoup se souviennent du visionnaire, du réformiste. D’autres n’en diront que du négatif. Mais le positif comme le négatif, ceux qui l’ont suivi, l’ont plus ou moins ressemblé.
A ceux qui lui trouvent une poussière dans l’œil, j’espère qu’ils trouveront le courage et l’honnêteté de voir la poutre qui se trouve dans le leur. L’heure n’est pas aux séances de tir, ni à un match de ping-pong qui ne verrait aucun victorieux. 40 ans après, tirer sur nos morts ne nous rapportera aucun honneur. Penser à la construction du pays par tous les moyens est le défi à relever. Il a construit des sites, construisons en d’autres, construisons nous une belle histoire, une bonne économie. Le pays a besoin que ses citoyens se donnent la main au lieu de s’entre tuer. Nous ne sommes pas obligés d’être d’accord sur tout pour développer les Comores. Nous devons juste apprendre à tous aimer réellement notre pays.»
Abdourramane Asmah