Atteinte de plein fouet par le cyclone Chido le 14 décembre, Mayotte a pu mesurer la solidarité des habitants du reste de l’archipel des Comores et ceux de France. Par contre, les autorités françaises, par des maladresses incompréhensibles, ont révélé un certain mépris à l’égard des Maorais.
Par MiB
Depuis la catastrophe provoquée par le cyclone Chido à Mayotte le 14 décembre, l’île a reçu le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et François-Noel Buffet, ministre des Outremers, le lundi 16 décembre.
La question migratoire avant l’urgence
Il a rencontré les fonctionnaires de son ministère, policiers, pompiers et même les gendarmes. Il n’est pas vraiment allé à la rencontre de la population et il n’a même pas souhaité dormir sur place. C’est à la Réunion, où il a fait sa conférence de presse et en France par X (ex twitter) et les médias classiques qu’il a distillé ses petites phrases sur Mayotte. A-t-il insisté sur la lenteur des secours et les problèmes les plus graves qui se posent aux survivants (plus d’eau, plus d’électricité, plus de réseau téléphonique et internet) ? Très peu. Il semble que le cyclone Chido n’a pas réussi à le faire dévier de ses objectifs en matière d’immigration. Sur X, il rejoue la petite musique habituelle depuis sa nomination, sans tenir compte du fait qu’il doit faire face à un drame : « On ne pourra pas reconstruire Mayotte sans traiter, avec la plus grande détermination, la question migratoire ». Il ajoute dans les médias qu’il faut être « beaucoup plus dur vis-à-vis des Comores ».
Il reprend même une fake news sur un prétendu complot du gouvernement Azali contre la France (alors que ce dernier est plutôt en phase avec Emmanuel Macron depuis son élection en 2016 et malgré les horreurs de la dictature) : « Il y a une forme, le mot est sans doute trop fort, de guerre hybride si j’ose dire, en poussant des populations vers Mayotte pour susciter une sorte d’occupation clandestine ». Ainsi la question migratoire vient cacher l’incapacité de l’État français à faire face à la catastrophe naturelle.
« Macron démission ! »
Le président Macron arrive à Mayotte trois jours plus tard, le jeudi 19 décembre. L’opération de communication avait bien débuté : il était sur le terrain, au contact des gens et il était annoncé qu’il allait dormir à Mayotte. Une nuit ! mais c’est exploit de dormir dans « le département de Mayotte » quand on est président de la République française, et même quand on est ministre, puisque le ministre de l’Intérieur a évité la corvée.
Pourtant, les habitants de Mayotte n’avaient pas l’intention de laisser passer les décors et les mensonges sur une aide déployée partout et efficace. Ici un homme est en face du Président et du Secrétaire d’État à la francophonie, Thani Mohamed. Il insiste pour que le gouvernement arrête les mensonges sur l’aide déployée et raconte la réalité des difficultés et de l’abandon. Là, c’est une soignante qui fait remarquer que cinq jours après le passage de Chido, aucun sauveteur n’a été envoyé dans les bidonvilles pour rechercher des corps sous les décombres. Le président encaisse et se retourne vers le préfet : « C’est vrai ça ». Celui-ci baisse la tête, sa casquette cache ses yeux. Il admet. Terrible aveu ! La France qui refuse l’aide des pays voisins et même de l’Union européenne n’a toujours pas lancé une opération pour sauver ceux qui pouvaient encore l’être.
Lorsque la foule scande : « Macron démission ! », le président craque. Il sort du plan de com. Il prononce des paroles que les Maorais ne pourront pas oublier, parce qu’elles leur disent quelle est la place qui leur est assignée au sein de la République française. « … vous êtes contents d’être en France. Parce que si c’était pas la France vous seriez 10 000 fois plus dans la merde !» Emmanuel Macron se rend compte qu’il vient de prononcer la phrase de trop pour des Français qui ne voient pas encore l’action de la République alors qu’ils ont subi une catastrophe sans précédent depuis cinq jours.
Les Maorais comprennent ce qu’une telle phrase voulait dire et le sénateur Saïd Omar Oili est clair à ce propos et il s’explique sur France-Info : « Aujourd’hui j’ai appris que j’étais un sous-Français par le président de la République (…) cette personne est venue pour nous remonter le moral et nous apporter des solutions et finalement il est reparti en nous disant ce que nous sommes réellement, peut-être, réellement, nous sommes des sous-Français ».
Le président français a quitté l’île en laissant une certaine amertume dans les cœurs des Maorais.
Certes, il a annoncé une journée de deuil national ce lundi, mais d’une part, Azali Assoumani, le chef de l’État comorien a décrété très rapidement une semaine de deuil national et d’autre part, ce deuil national ne sera pas complètement respecté puisque le Premier ministre Bayrou annoncera son gouvernement ce jour-là et que ce sera l’événement du jour.
Aucun bilan sérieux
Sur place, que ce soit les locaux ou les fonctionnaires de passage dans l’île, jusqu’à maintenant personne ne reconnait que le gouvernement français a fait ce qu’il fallait ou qu’il a été efficace.
Dans une conférence de presse, le préfet a dit ne pas être capable d’établir un bilan, même après le retour à la vie normale. Peut-être qu’il y aura des centaines, voire un millier de morts, mais aucune certitude. Le plus curieux, c’est qu’il a justifié cette impossibilité par le fait que les Maorais étant des musulmans, ils enterraient rapidement les corps. Pourtant, personne à Mayotte n’enterrer un corps trouvé sans connaître la famille, sans un religieux. Et même si des gens se mettaient à inhumer sans demander l’autorisation de la mairie, il est si simple de voir les nouvelles tombes dans un cimetière. Pourtant, cette explication a été reprise comme une vérité générale par les autorités françaises et les journalistes en France : les Maorais étant musulmans, on ne peut faire un bilan des morts. Pourtant, on peut être certain que ce ne sera pas le mode le plus utilisé pour enterrer les corps retrouvés.
Alors que nous bouclions ce journal ce dimanche 22 décembre, de nombreux fonctionnaires assoiffés et affamés espéraient encore trouver une place dans les avions-cargo et quitter une île défigurée, avec la peur de manquer de nourriture ou que se développent des maladies. Certains privilégiés ont même pu faire partir leurs familles.
En France métropolitaine, la solidarité est réelle envers une île lointaine. A Marseille, samedi, les originaires de l’archipel des Comores dans son ensemble ont manifesté avec beaucoup d’émotion et ont regretté l’abandon de Mayotte par les autorités françaises. Dimanche, après une longue attente au port de Mutsamudu (Anjouan), le bateau Maria Galante, transportant des packs d’eaux et des paquets de nourriture collectés par de nombreuses associations comoriennes, a pu entrer au port de Dzaoudzi.