Ces dernières années, on observe que face à un exécutif qui a étendu ses prérogatives, le Parlement a été complètement marginalisé. À tel point qu’on peut se demander : à quoi servent encore les députés aux Comores ?
Par Ibrahim Mahafidh Eddine
Les élections législatives représentent une étape cruciale dans la vie politique des Comores, un moment où les citoyens, en théorie, peuvent exercer leur pouvoir de choisir les représentants qui porteront leurs voix et leurs préoccupations au niveau national. Pourtant, l’efficacité et la légitimité de cette institution démocratique sont de plus en plus remises en question, au point de se demander : à quoi servent encore les députés aux Comores ? Les promesses de réformes et de renouveau résonnent lors de chaque campagne électorale, mais force est de constater qu’elles se traduisent rarement en actions concrètes. Dans un contexte où les députés semblent plus préoccupés par des intérêts personnels que par le bien-être collectif, cet article propose une analyse des défis et du bilan d’un député comorien, en particulier lorsqu’il aspire à réoccuper le poste.
Le rôle d’un député : fonctions législatives et de contrôle
À la base, un député a deux missions essentielles : légiférer et contrôler le gouvernement. La fonction législative consiste à proposer, examiner, modifier et adopter des lois qui répondent aux besoins de la nation. Mais combien de lois ont réellement été proposées par certains députés comoriens au profit de leurs concitoyens lors de la dernière magistrature ? À titre d’exemple, il serait intéressant de se demander combien de textes de loi un député a portés lors de son précédent mandat et à quel niveau ces lois ont eu un impact positif sur la société comorienne. La plupart des lois votées semblent parfois éloignées des préoccupations quotidiennes des citoyens.
Quant à la fonction de contrôle, elle requiert que les députés interrogent et questionnent l’action gouvernementale pour s’assurer que les décisions prises par l’exécutif sont en faveur de l’intérêt général. Cependant, peu de députés comoriens ont véritablement assumé cette responsabilité. La fréquence des interventions en séance parlementaire, les questions adressées au gouvernement et l’organisation d’enquêtes parlementaires sont autant d’indicateurs de l’engagement d’un député dans cette mission. Combien de fois le député a-t-il pris la parole pour défendre des causes d’intérêt public ? Combien d’enquêtes parlementaires a-t-il initiées pour faire la lumière sur des dossiers sensibles, tels que les détournements de fonds publics ou encore les drames de ces derniers temps impliquant des militaires (les assassinats de Faycoil, Moutui, Bapale, Fanou) ? Les cas de détournements de fonds, comme les 12 milliards de la SONOLEC pour des projets d’électrification jamais réalisés, restent souvent sans explication et sans conséquence pour les responsables.
Un ancrage local souvent négligé
L’un des grands reproches adressés aux députés comoriens concerne leur déconnexion avec les réalités locales de leurs circonscriptions. Élus pour représenter une région, certains députés semblent pourtant absents une fois en poste, ne maintenant aucun lien concret avec leurs électeurs. Prenons l’exemple d’une région comme Washili Dimani, où l’état des routes rend la vie quotidienne des habitants difficile et freine le développement économique. Combien de fois un député s’est-il sérieusement engagé pour résoudre cette situation ? Il est vrai que des fonds sont souvent annoncés pour ces projets, mais la réalisation tarde, et les habitants se retrouvent coincés dans des promesses sans fin. En l’absence d’une permanence locale, les citoyens peinent à faire entendre leurs préoccupations et leurs besoins.
Il arrive que les députés se contentent de quelques gestes sporadiques – comme transporter un ou deux villageois dans leur voiture de luxe pour un déplacement vers la capitale ou appuyer la candidature d’un proche dans une société d’État. Cependant, ces actes, bien que parfois utiles pour les bénéficiaires, ne sauraient constituer un véritable bilan législatif. Ils relèvent davantage de services rendus à des proches que d’actions d’intérêt général.
L’échec de la représentativité et la question de la relève politique
Lorsqu’un député sortant se présente à nouveau pour un mandat, il est légitime de s’interroger : qu’a-t-il l’intention de réaliser lors de ce second mandat qu’il n’a pu accomplir lors du précédent ? Quelles actions concrètes a-t-il menées pour mériter un nouveau mandat ? Il semble parfois que les mêmes visages reviennent inlassablement, sans proposer de réels projets de changement. L’absence de renouvellement au sein de la classe politique comorienne pose également la question de la succession : les députés actuels ont-ils encouragé l’émergence de nouveaux talents politiques ? Cette récurrence des mêmes élus, associée au manque de résultats, alimente un sentiment de lassitude et de méfiance parmi les électeurs, qui voient dans les députés des figures plus intéressées par le maintien de leurs privilèges que par l’avancée de la démocratie.
Une chambre des députés réduite au rôle de « chambre d’enregistrement »
Un autre reproche adressé aux députés comoriens est leur manque d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif. La chambre des députés, censée être un contre-pouvoir et jouer un rôle de contrôle, donne souvent l’impression d’une chambre d’enregistrement qui se contente de valider les décisions du gouvernement. Cette soumission limite l’espace démocratique et compromet la capacité des députés à représenter efficacement les intérêts de leurs électeurs.
Dans cette configuration, les élections, bien que présentées comme un processus démocratique, peinent à offrir un véritable choix aux citoyens, puisque la domination du parti au pouvoir réduit toute possibilité de diversité politique. En effet, le parti au régime, fort de ses moyens, parvient à rafler la majorité des sièges, donnant lieu à une chambre monocolore. Cette situation compromet l’équilibre du pouvoir et empêche une saine opposition.
Le bilan d’un député : un devoir de transparence et de résultats
Le bilan d’un député devrait idéalement se mesurer à travers l’impact concret de son action sur la société, tant au niveau national qu’au niveau local. A-t-il contribué à améliorer la vie de ses concitoyens en agissant pour des infrastructures essentielles ? A-t-il activement défendu la transparence dans la gestion des fonds publics ? A-t-il cherché à diversifier les voies de représentativité et à préparer la relève politique ? Ces questions demeurent cruciales pour évaluer la performance de tout député.
Les citoyens comoriens attendent aujourd’hui davantage de leurs députés. Il ne s’agit plus seulement d’avoir des représentants présents dans une institution, mais bien d’élus responsables et engagés pour les besoins réels de la population. En définitive, le renouveau démocratique aux Comores dépendra de la capacité des élus à remplir pleinement leur rôle, à s’émanciper de la tutelle de l’exécutif et à faire preuve de transparence.