Voyageons sous les tropiques au cœur de l’ile d’Anjouan qui a été baptisée « La perle des Comores » par un touriste à l’âme poétique. C’est cette appellation qu’a choisie Coralie Frei pour son deuxième livre : « La perle des Comores. Destin d’Anjounaise ».
Par Mahe Mouri. Poétesse, auteure de « Naniho », Coelacanthe, 2020.
« La perle des Comores. Destin d’Anjounaise » est un roman écrit par Coralie Frei, native d’Ouani. Il est paru en 2010 aux éditions « Le Manuscrit ». La page de couverture montre une femme qui marche aux abords d’une plage, portant un paquet de bois sur la tête et vêtue d’un pagne africain, un saluva défraichi et coloré.Au loin, on aperçoitune bande de terreilienne boisée reflétant un vert sombre qui contraste avec la clarté du ciel bleu. C’est sur ce paysage enchanteur que Coralie nous invite à la suivre, chez elle à Anjouan.
Le récit renvoie dès les premiers chapitres plein d’images fidèles à sa couverture. Une rétrospective presque cinématographique des Comores à une époque où l’archipel était une colonie française. On peut le lire sur un passage où l’auteur écrit : « L’ile d’Anjouan, comme ses trois sœurs Comores, constituait un grand morceau de la France (cf. p41). C’est avec une nostalgie à peine cachée et une grande amertume que l’auteur de « La perle des Comores Destin d’Anjouanaise » donne la voix à Catidja Amal, le personnage principal du roman, pour raconter son enfance.
La tâche de faire un résumé de ce livre n’est pas aisée, mais ce n’est pas notre but. La narratrice nous livre un long récit de pas moins de 373 pages. Mais malgré l’épaisseur évidente du livre, il serait dommage pour le lecteur de sauter des pages, car chaque ligne et chaque paragraphe qui sont écrits ici, renferment en eux une sonorité assez rare. Aussi est-il important de suivre l’ordre chronologique employé par l’auteur, afin de savourer tous les thèmes que son livre aborde. En effet, les mots de Catidja Amal sont très mélodieux, d’autant plus qu’elle choisit d’articuler son histoire par des poèmes. Cette approche rend le livre particulièrement accrocheur. On n’a pas envie de rater une seule miette de cette épopée.
Catidja s’exprime dans un français simple et facile à comprendre pour tous. Sa voix tantôt plaintive, tantôt assurée, devient symbolique de l’enfant comorienne des quatre iles et semble toiser sans insolence la société dans laquelle elle est née. Elle adopte un ton très convivial qui donne l’impression au lecteur de faire partie du tableau. Suivre les mots de Catidja Amal, c’est devenir son proche ou le parent attentionné qu’elle n’a jamais eu. Elle fait de vous un confident à qui elle peut raconter son calvaire longtemps tût.
Dans le premier chapitre, l’enfant décrit son cadre familial difficile, marqué par son sentiment d’abandon : le départ planifié de sa mère Faty, qui l’abandonne, elle et sa sœur Anna entre les mains de Badjini, leur père tyrannique. Elle sera placée sous la maltraitance de Badjini (le diable en shiKomori) et soumise aux traditions iliennes contraignantes et abusives comme ceux du système de l’école coranique. Sans ambages Catidja dénonce un climat social qui est oppresseur pour la fille/femme comorienne. Le titre du premier chapitre du livre renvoie à une grande exaspération : « Quelle poisse d’être une fille à Anjouan ! »
Dans le quatrième chapitre intitulé « Le plus beau jour de ma vie », Catidja adopte un ton plus enthousiaste. Malgré l’omniprésence de Badjini, son diable de père, elle est inscrite à l’école française qui ne faisait pas partie des habitudes de l’époque. De façon inattendue, c’est son paternel qui va lui offrir ce cadeau inespéré. Ce revirement soudain va bouleverser entièrement l’existence de Catidja. « L’école de Charlemagne », telle que surnommée par Badjini, procure à Catidja un plaisir inouï. Elle dit : « L’école. Je l’aimai dès cet instant. Très rapidement elle allait devenir mon passe-temps, mon refuge, ma confidente et mon amie. » (p. 53)
C’est donc entre les rentrées scolaires et les vacances que Catidja poursuit son existence et suit les aléas de son destin d’Anjouanaise à Guérézani, son lieu de naissance. Elle relate avec précision le cadre dans lequel elle a grandi : La cabane où elle dormait, la rivière où elle se baignait, les plantations d’Ylang-ylang où elle se retrouvait les samedis pour la cueillette entonnant la chanson épique « Gnora ya Mouchia » (p.79), l’unique dispensaire du village qui « sentait le mercurochrome » (p.48), la place publique de Guérézani où hommes et femmes se retrouvaient pour faire une prière collective en toute circonstance : « Le chidjabou était à l’honneur en toutes circonstances dans l’ile… en cas de fortes intempéries, au moment des foudroyantes épidémies de Choléra… Lors d’un évènement nouveau comme l’apparition d’un satellite dans le ciel… » (p.104).
Mais si Catidja n’a rien oublié des petits bonheurs qui faisaient la vie de son village, elle garde aussi un souvenir douloureux des vices et abus de certains hommes. Outre Badjini qui la traumatise chaque jour, elle est exposée à des prédateurs sexuels qui semblent ne pas se soucier de l’âge innocent qu’elle avait. Dans le chapitre 8 intitulé « Satan frappe à la porte », elle décrit avec une parfaite minutie la scène de son premier viol. Le chapitre 9 renchérit aussi avec un titre pas des moins insolites « Purifier pour mieux souiller ». Elle raconte avec un grand dégout, comment un marabout qui était censé l’exorciser va chercher par toutes les ruses possibles à lui imposer des actes sexuels.
Face à toutes ces réalités dégradantes et invivables, Catidja, qui est dotée d’une grande intelligence, va planifier sa fuite. Son ile natale et ses habitants lui causant trop de malheurs, elle va naturellement opter pour partir ailleurs. Cette décision est annoncée dans le 12e chapitre « L’autre côté de l’océan », et devient ferme et irrévocable dans le chapitre 18 « Objectif : La métropole ».
Déterminée à quitter son enfer, Catidja va employer tous ses efforts pour décrocher son baccalauréat, seul passeport possible pour l’outremer qu’elle s’imagine être un eldorado. Défiant inconsciemment les lois du Dieu comorien qui prévoit comme seul destin possible pour la femme anjouanaise de se marier et d’enfanter, Catidja va se lancer dans la quête de sa liberté. Le titre du dernier chapitre du livre intitulé « L’aile de la liberté » l’illustre bien. Sans le savoir, Catidja Amal, fille de Badjini, née à Ouani, est en train de changer l’histoire de son village et de son pays !