« Un bourrage d’urne sans commune mesure » qui a « décrédibilisé » le scrutin du 19 janvier dernier. Voilà ce qui ressort des échanges avec les opposants au régime Azali sur l’île de Ndzuani où la CRC a remporté les sept circonscriptions sur les neuf que compte l’île avec des scores à la soviétique qui frisent parfois le ridicule (deux candidats sont élus à 100% des votants). Par Faïssoili Abdou
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Selon les premiers résultats proclamés par la CENI le 20 janvier dernier, la CRC, parti du président Azali, s’est taillé la part du lion à l’issue des législatives du 19 janvier dernier ne laissant que des miettes à ses alliés. 17 candidats issus de cette formation politique aux couleurs bleues ont remporté les élections dès le premier. Un candidat indépendant et un autre du parti Orange de Mohamed Daoudou, ministre de l’intérieur, ferment cette liste des « chanceux » du premier tour. Un deuxième tour opposera la Crc avec ces alliés le 23 février prochain dans 5 circonscriptions.
Un scénario prévisible
Rien d’étonnant dans tout cela. Le scénario était connu d’avance. En l’absence de l’opposition qui, faute de garanties sur la sincérité du scrutin, a préféré boycotter les élections législatives et communales de ce début d’année, chacun savait que ce serait forcément les candidats du pouvoir qui allaient être élus.
Ce qui était moins connu jusque-là, c’est le taux de participation à ces élections à la suite d’une campagne électorale morose et l’appel au boycott lancé par l’opposition. Et sur ce point, de l’avis de nombreux observateurs, le régime s’est arrangé pour sauver la face en gonflant les chiffres pour atteindre un taux de participation de 61,48%. Un chiffre qui a étonné plus d’un dans l’opinion. Comment l’organe en charge des élections s’est débrouillé pour arriver à un tel chiffre alors que sur le terrain les élections ont mobilisé peu de monde ? C’est la question qui est sur toutes les lèvres depuis lundi dernier. Les Observateurs de l’Union africaine qui disent avoir couvert 161 sur 747 bureaux de vote estiment le taux de participation à 40%.
A Ndzuani où le parti au pouvoir a remporté 7 circonscriptions sur les neuf que comptent l’île, les opposants dénoncent les « bourrages d’urnes » qui seraient à l’origine de cette victoire en trompe l’œil des « bleus ». Autrement dit, le gouvernement parle d’une « vague bleue », là où ses adversaires ainsi que de nombreux observateurs avertis voient juste une écume blanche.
Une illusion
« Dans l’ensemble, le climat général qui a caractérisé le déroulement du scrutin du dimanche 19 janvier est celui d’une véritable mascarade électorale d’une ampleur inégalée. Tout semblait être préparé en avance, et comme l’opposition était absente, les urnes ont été bourrées depuis 9 heures », relate un témoin sous couvert d’anonymat. Il cite pour preuve ce bureau de vote de Dar-salama, une localité entre Vouani et Pomoni, où « 93% des 700 inscrits avaient voté à 10h. Les opérations électorales du seul bureau de vote de cette petite localité du sud-ouest d’Anjouan, ont pris fin à 11 heures ». Notre interlocuteur souligne que « les Anjouanais ont largement boudé les bureaux de vote ce dimanche 19 janvier 2020. On n’a nulle part observé une quelconque mobilisation de foules semblable à des occasions pareilles ».
Même son de cloche pour Abdalalh Abderemane dit Pala, secrétaire général de Ndzuani en marche, ce mouvement qui a appelé au boycott des élections dans l’île. « Les Comoriens et surtout les Anjouanais ont suivi à la lettre notre consigne, à savoir, je ne vote pas », se réjouit-il. « La population a boudé massivement les urnes. Ils sont restés chez eux et même la nature les y a aidé (la pluie). Mais comme on est en Afrique, les taux de participation vont avec l’humeur de nos dirigeants, ça c’est connu de tous ! », poursuit, ironique, cet enseignant à l’Université de Patsy.
Mohamed Moutui, professeur de FLE à l’alliance française de Mutsamudu, tient également la même analyse. « Ce que je peux dire c’est que la CRC avait mis en place tout un arsenal pour le remporter dans toutes les circonscriptions. A Domoni, il y a eu une résistance et même des menaces sérieuses. Nourdine (NDLR : Nourdine Midiladji, candidat « indépendant » à Domoni) s’est retrouvé en tête au premier tour. Pourra-t-il tenir tête à la pression face à un ministre ? », s’interroge-t-il. Evoquant le déroulement du scrutin dans la circonscription de Nyumakele I où il s’est rendu en début de cette semaine, Mohamed Moutui relate : « Déçu Ibrahim Halidi s’est retiré, mais avec beaucoup de réserves. C’est comme s’il tend la main. Mais je peux te garantir qu’à Mremani et Ongojou (deux localités de cette circonscription, ndlr), des électeurs se sont rendus aux urnes pour voter Mohamed Ahmed Saïd dit Blonde (candidat de la CRC) ». Il finit par lancer ce commentaire tranchant : « Ce qui est écœurant dans tout cela, c’est que la CRC n’avait pas à bourrer les urnes. Le nombre trop élevé de votants a discrédité ces élections ».
Lorsque l’on a interrogé nos interlocuteurs sur ce qu’il pense être la suite par rapport à ce qu’ils qualifient de « mascarade électorale », les réponses sont un peu réservées. « La lutte continue, bien sûr », lance le secrétaire général de Ndzouani en marche (NEM). « Personne n’est en mesure de prévoir l’avenir. Mais l’histoire nous a montré qu’un peuple ne réagit pas de la même façon qu’un individu. Personnellement, je crains le pire », soutient notre interlocuteur anonyme parlant de « grogne » au sein de la population de l’île qui, « malgré son pacifisme avéré, continue à manifester verbalement son indignation et se dit humiliée et insultée par le régime ». Poussant un peu plus loin son argumentaire, il ajoute : «tant pis pour ceux qui ignorent que voter à la place de l’autre est une humiliation insupportable, ils en feront les frais tôt ou tard. Les Anjouanais ont toujours un caractère intempestif, en matière de lutte, ils sont là quand personne ne les attendait ».
Mohamed Moutui croit quant à lui qu’avec une Assemblée de l’Union complétement acquise à sa cause, le président Azali « aura les mains moins liées. Toutefois, son impopularité ira toujours grandissante, la population ayant atteint le point de non-retour. En outre, mal entouré, Azali ne va pas changer d’attitude. Alors son crédit ne s’améliorera jamais ».
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