À l’occasion de la journée de l’environnement, le 5 juin, nous sommes allés à la découverte d’un lieu insolite parmi tant d’autres aux Comores, fragile et à protéger des ambitions des hommes. Il s’agit de la lagune d’Iconi. Par Salec Halidi Abderemane
Iconi est une des principales villes de la Grande-Comore, elle est située au sud de la capitale. Les 3 km et demi qui la séparent de Moroni s’effectuent en sept minutes en voiture. La ville est connue pour son histoire. Elle était la capitale du sultanat de Bambao. Elle est connue aussi pour le Mont-Djabal, mais également par sa lagune. Cette lagune est le symbole du lien existant entre les habitants d’Iconi et les descendants du Sultan Saïd Ali.
Un lieu symbolique
Elle est une propriété privée des héritiers du prince Saïd Ibrahim. Ce dernier l’aurait achetée pour une somme symbolique. Les habitants d’Iconi de l’époque s’étaient débarrassés de ce lieu où « vivent les Djinns », nous confie une vieille dame rencontrée dans un sentier menant vers l’écosystème. Feu prince Saïd Ali Kemal, fils de Saïd Ibrahim, aurait « nettoyé le lieu », nous raconte Mohamed Ali Nohowa dit Algérie, un notable de la ville. Il était aussi un compagnon de route de Saïd Ali Kemal. « On ne voit plus les objets archéologiques ». Les vestiges de ceux qui adoraient « les esprits ».
Mais, il attire notre attention. « N’oubliez pas que Kemal était une autorité politique comorienne ayant exercé plusieurs hautes responsabilités, il connaissait bien la loi », renchérit le notable. « La lagune devrait être une propriété nationale, mais comme aucun régime ne l’a revendiquée, il s’était chargé de la protéger, disait Kemal ». Aujourd’hui, un groupe de la localité, habitant aux alentours de la lagune, commence à la revendiquer. Ce groupe a l’intention de développer une activité écotouristique. Une recherche d’un compromis entre ce groupe et la famille Saïd Ibrahim existerait depuis longtemps. Mais elle reste encore sans issue. « Kemal aurait refusé par rapport à la vulnérabilité de la lagune ». Elle reste une propriété privée.
Entre la mer et la terre
La lagune est une étendue d’eau de mer dans le littoral. Elle est localisée entre la mer et la terre par un cordon littoral ouvert par un grau. Un canal qui les relie. L’écosystème se modifie naturellement, ce qui le rend très vulnérable. Les tempêtes et les tsunamis dans un territoire des Comores dépourvu de politique environnementale efficace nous appellent à beaucoup plus de réflexion et de prévention. L’artificialisation, la présence de l’homme en d’autres termes, accentue gravement son déséquilibre. C’est pourquoi les scientifiques la définissent comme un modèle d’écosystème paralique. Ce qui veut tout simplement dire que sa faculté d’accueillir des dépôts sédimentaires riches en matières organiques est une immense potentialité à exploiter avec prudence.
Ce milieu côtier est une richesse nationale, mais fragile, voire locale dans une meilleure politique nationale de répartition des compétences et gestion des ressources naturelles. C’est un lieu par excellence pour développer des activités micro-économiques pour les petits territoires en développement, en l’occurrence l’aquaculture et l’écotourisme. L’activité d’élevage permet de protéger l’écosystème. Puisqu’il est toujours accompagné par une recherche d’équilibre du milieu naturel. L’état de conservation du site dans son caractère naturel permet de développer facilement une activité écotouristique.
Acteurs et conservation des écosystèmes
C’est sur un portail du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) que nous apprenons l’existence d’un comité de protection des écosystèmes aux Comores. Le PNUD l’accompagne techniquement et financièrement. Ce comité s’est constitué suite à une réunion de 55 experts membres fondateurs d’une association nommée « l’Agence », au profit des Parcs Nationaux des Comores.
Ils sont dix représentants de l’État comorien et de ses institutions étatiques en charge des « Aires protégées », trente personnalités comoriennes ayant des compétences sur les enjeux environnementaux et plusieurs conservateurs des « Aires protégées ». On y trouve également des représentants du secteur privé et des organisations non gouvernementales travaillant dans la politique de l’écologique.
L’objet de la rencontre permettait de valider un règlement intérieur qui requérait que « l’Agence » mette en application la loi N°18-005/AU du 5 décembre 2018, sur le Système National des Aires protégées des Comores. Selon les articles 30 et 53, « les aires protégées créées sur le territoire national (…) sont gérées par une Agence unique ». C’est dans ce cadre que nous nous interrogeons sur la lagune d’Iconi.
L’exploitation de la lagune
Moustarchide Ben Soudjay, chercheur à l’Institut National de Recherche en Agriculture, Pêche et Environnement (INRAPE), nous explique certaines des caractéristiques de l’écosystème. Le kwambe, comme on l’appelle en langue comorienne, est un lieu qui abrite plusieurs espèces endémiques. On y retrouve du palétuvier, une espèce intertropicale qui croît dans le rivage d’Iconi. On y trouve cinq espèces parmi les neuf existant aux Comores, dont la mangrove lagunaire qu’on protège au niveau mondial. Nous rappelons effectivement que les Comores ont ratifié la Convention de Ramsar de 1971, une convention internationale impliquant une protection des zones humides.
En 2010, une mission soudanaise de concert avec le gouvernement de l’époque avait introduit du tilapia dans l’écosystème pour en faire un site pilote. Cette espèce de poisson est exotique. Elle est aussi la plus consommée au monde. On la retrouve dans presque toutes les eaux à l’intérieur du continent africain. Le tilapia est très favorable à l’élevage. Dans la lagune d’Iconi, il s’est bien adapté. « La reproduction biologique est favorable face à l’adaptation », nous explique le chercheur de l’INRAPE. Malheureusement, l’écosystème est laissé à son sort.
La pêche dans la lagune
La mission soudanaise n’a pas été poursuivie par les élus politiques successifs. La continuité des actions après un changement politique est rare aux Comores.
De ce fait, la pêche dans la lagune inquiète le chercheur l’INRAPE. Plusieurs techniques de pêche sont constatées. La pêche à la ligne, l’utilisation de fusils et le filet en sont les principales.
Il insiste sur la nécessité d’attendre la maturité du poisson et la saison de pêche. « Le régime s’adapte à l’opportunité de la nourriture. Le tilapia est une espèce opportuniste. Les mâles construisent des nids pour que les femelles viennent déposer les œufs ». Ainsi une surexploitation pendant la saison du frais peut impacter l’écosystème. Malgré sa résistance en milieu extrême, une mauvaise gestion du site remettra en cause toute la chaîne de vie dans la lagune. « Il faut une étude de la température pour l’exploiter et le protéger. Il faut d’abord effectuer une évaluation avant d’autoriser la pêche ».
Malheureusement il n’y a aucune politique environnementale dans « l’aire à protéger» d’Iconi, ni au niveau national, ni au niveau local, ni de la part des propriétaires privés.
À lire également :
Interview de Mme Fatouma Abdallah, Directrice Générale de l’Environnement