L’Honneur ! Voilà le mot qui revient quand on pense au « anda ». La société comorienne est en perpétuel quête de folies des grandeurs et selon la majorité des habitants, le meilleur moyen pour avoir ces honneurs est la réalisation du grand-mariage.
Par Azhar de Youssouf, juriste, historien et muséographe
Le phénomène « anda » est nul doute un pourvoyeur de dépenses exorbitantes et souvent inutiles. Deux thèses s’opposent : c’est « grâce au anda que le pays développe ses infrastructures communautaires (maisons, mosquées, routes, marchés, écoles, mabangwe, etc.) ». Les partisans de cette thèse soutiennent aussi que c’est « pendant la période des festivités du anda que les activités commerciales connaissent le flux le plus stable possible au niveau des ventes ». L’autre thèse s’inscrit aux antipodes d’un anda positif. Pour ses partisans, « le phénomène anda retarde considérablement la marche vers le progrès socio-économique du pays ». Soit ! Des deux thèses, émerge une idée consensuelle à savoir sa réforme.
Réformer le « anda »
À l’instar de villes comme Moroni et Mitsoudjé, le « anda » a connu une véritable réforme dont plusieurs cités comoriennes pourraient s’inspirer pour permettre éventuellement à leurs habitants d‘orienter leurs capitaux vers l’enseignement, la santé et le commerce au lieu de s’occuper éternellement à la construction de mabangwe (places publiques). Ces dernières perdent d’ailleurs petit à petit leur rôle social du fait qu’aujourd’hui les jeunes ont plutôt besoin de médiathèques et de centres culturels plutôt que de se rendre dans un « bangwe » pour s’adonner à des jeux de société. Les villes pourraient transformer leurs bangwe en de véritables maisons de la culture, toujours est-il qu’en période de festivités coutumières, on pourrait les utiliser à des fins culturelles. L’idée est de faire en sorte que les investissements liés au « anda » soient à la fois bénéfiques et aux ainés et à la jeunesse. Les bangwe de nos cités pourraient héberger à la fois des musées d’anthropologie ou pour enfants, des bibliothèques, des salles de formation, des aires de jeux et de lecture, des salles de projection, sans enlever aux édifices leur caractère de bangwe ! Il suffit d’un aménagement studieux et respectueux des valeurs environnementales ! Un tel projet jouerait un rôle crucial dans la lutte contre la délinquance juvénile et serait aussi porteur de capitaux non négligeables pour nos localités.
Déjà, ici et là, on remarque quelques petites réformes amorcées consistant en la suppression de certaines activités ostentatoires, néanmoins, les dépenses inutiles, liées à l’abattage de bœufs et le gaspillage des ressources, continuent de peser lourdement sur les épaules des deux belles-familles. À cela s’ajoute le « vao » (les vêtements) que la famille de la mariée doit absolument envoyer à leur gendre ainsi que l’organisation du « madjilis » qui nécessite des sommes colossales ou bien l’or et le « djosamindu » (la dot) que l’homme doit à son tour envoyer le dimanche à son épouse. En vérité, le « anda » dans son ensemble nécessite plusieurs années de travail acharné avant de pouvoir le réaliser et atteindre enfin au statut d’homme complet ! L’homme a deux choix : soit il fait fi de la coutume pour s’occuper valablement de l’éducation de ses enfants et leur préparer un avenir radieux, soit il oriente ses économies vers la réalisation du « anda » au risque de s‘engluer éternellement dans des dettes qui, le plus souvent, suivent le faiseur de « anda » dans la tombe !
Le développement communautaire
Pour le groupe soutenant que c’est grâce au « anda » que le développement communautaire s’opère dans le pays, n’y a-t-il pas de développement dans les autres pays où le « anda » n’existe pas ? N’est-il pas temps de trouver une autre voie conduisant au développement communautaire outre que les cérémonies en lien avec le mariage coutumier ?
Ainsi, la question de sa réforme mérite d’être posée avec acuité dans une société de consommation effrénée : factures de téléphone, d’eau et d’électricité ; écolages des enfants de la maternelle à l’université, entretien du véhicule, achats de vêtement, de médicaments et d’appareils électroménagers, sans évoquer l’achat au quotidien d’aliments pour subvenir aux besoins familiaux ! Le « anda » est devenu donc une pratique désuète qui mérite une réforme profonde et intelligente. Il s’agit de revenir à la source de la pratique par exemple faire en sorte que ce soit l’ainé de la famille qui le réalise ou supprimer les étapes liées à l’abattage des bœufs et d’autres cérémonies inutiles qui gaspillent à la fois notre temps et nos faibles économies.
Déjà, le toirab est tombé en désuétude dans plusieurs localités, ce qui est en soi une bonne chose du point de vue des diminutions des dépenses !
En effet, la réforme du « anda » pourrait passer par la résurrection du groupe des daroueches qui réalisaient un « anda intelligent et respectueux des valeurs islamiques ». Cette forme de « anda » commence à recueillir l’adhésion de nombreux intellectuels comoriens, assoiffés aujourd’hui d’authenticité et de sobriétés. Les darwesh ou les adeptes du soufisme se mariaient en une journée sans dépenses ostentatoires.
La culture immatérielle
À part les lauriers et les honneurs dont bénéficient les faiseurs de « anda » dans la société traditionnelle comorienne, le grand-mariage est une vraie assiette de collection d’impôts locaux ! Les Comoriens devraient, dans leur volonté de réformer le « anda », s’en tenir strictement aux subsides destinés à l’alimentation des caisses locales et supprimer les nombreuses activités coutumières dépensières et inutiles : « idjabou », « djeleo », « mbe zakaramou », « nkoroi », « mkatrahirimu », « ushahidi », « fwambumbu », « mawulida » « mambizo », « madumbuso », « zimaya », « harusi », « tahalili », etc. La suppression d’une partie de ces festivités n’enlèverait d’ailleurs en rien le caractère solennel du grand-mariage ! Au contraire, le « madjilis » qui demeure aujourd’hui l’évènement officiel du grand-mariage dans l’archipel réussit seul à donner de l’étoffe au « anda » et c’est grâce à son caractère protocolaire indéniable.
Dans cette réforme, on doit nécessairement ressusciter les activités à caractère culturelle et traditionnelle notamment, le tari « landzia » ou bien le « shigoma sha laasuri », le « sambe » ou le « lelemama ». Ces danses folkloriques demeurent un répertoire important de notre patrimoine culturel immatériel à préserver.
Le « anda » n’est donc pas seulement un monstre budgétivore, il demeure aussi une pratique consommatrice de notre temps ; comme si ce dernier n’était pas important aux yeux des Comoriens ! Du « djeleo » au « madumbuso », les évènements liés au grand-mariage peuvent prendre plus de deux semaines, voire un mois. Du coup, la réforme du « anda » doit prendre en compte la dimension temporelle du phénomène en essayant de ramener l’ensemble des festivités en deux, voire trois jours afin de permettre aux Comoriens de consacrer le maximum de leur temps à des activités génératrices de revenus. L’État a tous les atouts devant aboutir à cette réforme : une population jeune, avertie, instruite dans sa majorité et qui est aussi assoiffée de progrès. À ce propos, les autorités coutumières devraient impliquer toutes les couches sociales dans cette dynamique réformatrice du « anda » à travers des ateliers d’échanges et des panels de discussion. Ces échanges devraient aussi avoir lieu, non seulement aux Comores, mais encore en France où se trouve une diaspora importante. Ces expatriés comoriens en France devraient avoir l’occasion de pouvoir dire ce qu’ils pensent quant à l’avenir de leurs enfants et aux relations qu’ils pensent entretenir avec la terre mère.