Une des conséquences de l’opération Wuambushu qui se déroule actuellement à Mayotte est la plainte pour haute trahison déposée le 24 mai dernier auprès de la Cour Suprême contre le président des Comores par l’un de ses opposants farouches, Ibrahim Abdourazak alias Razida.
Par Hachim Mohamed
Trois motifs
Ibrahim Abdourazak Razida demande d’abord que l’Accord mixte franco-comorien soit déclaré illégale. Sur ce point, la plainte que Masiwa a pu consulter s’appuie notamment sur l’article 12 de la Constitution qui demande que les traités et accords soient ratifiés par le Parlement. « L’accord signé entre la France et les Comores en 2019 a pris effet dès 2021. Or il n’a été ni ratifié ni approuvé en vertu d’une loi. » La plainte rappelle que le Statut de Rome (ratifié en 2006 aux Comores) interdit les déplacements forcés de populations dans le même pays. Le 8 mai dernier, le président Azali avait lui-même affirmé dans le journal Le Monde que s’il laissait des gens expulsés de Mayotte revenir à Anjouan, il serait accusé de haute trahison.
Ensuite le requérant demande que la Cour Suprême déclare le Président Azali coupable de haute trahison. Enfin, la plainte vise à demander à la Cour de procéder à la destitution du Président Azali. Sur ces deux points, la plainte s’appuie sur le retrait de « la question de l’île comorienne de Mayotte » de l’ONU et la mise en application de l’Accord de 2019.
« Je suis bien content d’avoir déposé ma requête et voir la tenue de cette audience soit 12 jours après ma déposition, mais cela ne signifie pas que j’attends un résultat positif avec le système et la composition de cette haute cour », a commenté Razida après son audience devant la Cour Suprême, le 6 juin.
« Si je ne me trompe pas, c’est la première fois en Afrique Francophone qu’un citoyen ordinaire comme moi a tenu tête à un pouvoir dictatorial comme le nôtre jusqu’à demander la destitution du dictateur, donc c’est un pari gagné déjà. »
« Rapatrier » nos compatriotes contre leur gré est une haute trahison
Pour Me Mahamoudou Ahamada, l’un des avocats venus soutenir Razida, la haute trahison est évidente. Comment ne pourrait-il pas y avoir haute trahison quand la France qui occupe illégalement un territoire ne lui appartenant pas et qui en plus expulse ses habitants, qui sont chez eux, vers les autres iles avec une brutalité inouïe est appuyée par le chef de l’État ?
Le représentant du parquet général près de la Cour Suprême, défenseur du chef de l’État a contesté les habiletés techniques d’Ibrahim Abdourazk et le dépôt de la plainte pour haute trahison dans la mesure où il récuse cette notion juridique. Il se demande sur quels textes la haute juridiction s’appuiera pour statuer sur ce manquement grave du président de la République aux devoirs de sa charge.
Quant à Me Fahmi Saïd Ibrahim, il dit avoir été très clair avec son client Ibrahim Abdourazak à l’occasion de leur première entrevue pour se constituer. « Je plaiderai la partie concernant l’inconstitutionnalité des Accords signés en 2019, mais je ne plaiderai pas pour la destitution. En effet, pour moi, aucune sanction n’est envisageable si elle n’est pas expressément prévue par un texte », lui a t-i-il dit d’emblée.
Pour étayer sa thèse sur la question de la destitution du chef de l’État, Maitre Fahmi revient sur le principe de la légalité de la peine. Pour lui, certes, la notion de haute trahison est évoquée dans la constitution, mais la peine encourue est renvoyée à une loi organique qui n’a jamais été votée. L’avocat constate que jusqu’à aujourd’hui le législateur n’a pas adopté un texte fixant la sanction. La destitution devrait donc être une sanction évidente contre la haute trahison, mais malheureusement elle ne figure nulle part.
Me Fahmi Saïd Ibrahim rappelle que si, à l’époque du procès de Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, les avocats de l’ancien président affirmaient qu’il ne pouvait pas être condamné sur le fondement du crime de haute trahison, c’est parce que « nous, ses avocats, avions estimé qu’aucune sanction n’était prévue ». Sur la base de ce raisonnement, autant l’avocat n’a pas accepté la condamnation de Sambi, autant il ne pouvait pas plaider la destitution d’Azali. En l’état actuel de la loi, le crime de haute trahison prévu par la Constitution n’est pas applicable par ce que la sanction ne figure sur aucun texte.
Le principe du contradictoire dans l’interprétation du droit.
Pour éviter toute équivoque dans la compréhension de la notion de haute trahison, Me Fahmi Ibrahim rappelle qu’il s’agit de tout acte contraire aux intérêts supérieurs d’un pays, commis par les dirigeants de ces pays. Et ce crime est très souvent associé avec celui d’intelligence avec l’ennemi. Mais en droit, renchérit l’avocat, il ne suffit pas d’énoncer le crime, il faut prévoir aussi la sanction.
« Dans le même ordre d’idées, en droit, afin de limiter l’arbitraire, la doctrine et la loi érigent en principe cardinal l’adage « nullum crimen, nulla poena sine lege » qui énonce qu’il n’y a ni infraction ni peine sans loi.
Dans cette affaire le procureur a donné son interprétation du droit et des faits. C’est le principe du contradictoire. Et il a affirmé la position du gouvernement : la haute trahison ne peut pas être évoquée.
Le président de la République n’est pas au-dessus de la loi.
Pour revenir à celui qui a introduit la plainte auprès de la Cour Suprême, Ibrahim Abdourazak est formel quand il dit que le pays nous appartient à tous et que la loi est impersonnelle et générale. La plainte n’a pas été déposée par intérêt personnel, elle se veut plutôt objective et a pour but de de veiller à la crédibilité et à la souveraineté de notre pays. Et un Président n’est pas au-dessus de la loi et il peut être poursuivi, aussi bien quand il est aux affaires que quand il ne l’est plus.
Le verdict de cette affaire de la plainte pour haute trahison est prévu pour le 15 juin 2023.