Samedi 27 mai, une réunion contre l’opération Wuambushu, organisée par l’opposition et autorisée par le régime en place, à Moroni, s’est transformée en un meeting contre le gouvernement Azali. Un avant-goût de la campagne électorale de 2024 ?
Par MiB
Tout semblait réuni pour que l’opposition fasse une démonstration de force. Plusieurs mouvements et partis politiques avaient joint leurs forces. Et ils avaient obtenu du pouvoir en place de pouvoir se réunir au Foyer des Femmes à Moroni dans la matinée.
La crainte du gouvernement
Pourtant, de bon matin, le gouvernement Azali qui, visiblement, craint toujours le soulèvement populaire, a quadrillé la capitale et posté des éléments de l’armée à plusieurs endroits de l’île pour arrêter les convois de voitures et bus des partisans de l’opposition qui souhaitaient se rendre à Moroni à partir des régions de Washili, Domba, Hamahame et autres. Les voitures des particuliers et les bus de transport en commun ont été réquisitionnés, gardés en lieux sûrs, notamment au camp militaire d’Itsoundzou, tandis que les militaires invitaient les occupants à poursuivre leur voyage vers la capitale à pied. Une nouvelle forme de torture qui ne laisse pas de traces. Certains, y compris des femmes et des vieillards, ont relevé le défi et se sont mis en route, décidés à parcourir plus de 15 km pour se rendre à Moroni à pied. Il y avait parmi eux des femmes et des vieillards. La marche s’est donc transformée en manifestation, de village en village.
Sur le parcours, les marcheurs ont interpellé et vilipendé plusieurs responsables gouvernementaux, à commencer par le chef de l’État, Azali Assoumani et son fils Fatihou, présenté ces derniers temps comme le successeur désigné de son père. Le Porte-Parole du gouvernement, Houmed Msaidié, ainsi que le Chargé de la Défense, Mohamed Youssouffa Belou ont également été insultés à plusieurs reprises par les marcheurs.
Une salle pleine à craquer
Ibrahim Abdourazak Razida, le chef d’orchestre du meeting a tenté d’entrer en contact avec un interlocuteur à la gendarmerie pour rappeler aux forces de l’ordre l’engagement pris par le commandant de la gendarmerie de laisser les gens se réunir, après l’autorisation obtenu du gouvernement. Selon les propos rapportés par l’opposant pendant le meeting, une cellule de crise était mise en place avec le chef d’état-major et personne n’a accepté de le recevoir. Les militaires ont donc continué à bloquer les voitures et les bus qui souhaitaient se rendre à Moroni.
Ce revirement de dernier moment de la part du gouvernement n’a pas empêché l’opposition de remplir le Foyer des Femmes. Ce n’est pas la première fois que l’armée empêche les voitures et bus des manifestants d’entrer dans Moroni. Aussi, certains opposants avaient-ils dormi dans la capitale, en prévision de cette éventualité. Le Foyer des Femmes fut donc plein à craquer. La réunion a regroupé des représentants des principaux partis des Comores, dont la plupart des dirigeants sont en exil depuis la répression qui a suivi les élections fraudées en 2019. De nombreux leaders ont défilé à la tribune et le sujet des discours fut rarement la situation à Mayotte. Ils ont pris à parti le chef de l’État et son gouvernement.
Chacun a pu remarquer l’absence de Mouigni Baraka et de Fahmi Saïd Ibrahim lors de ce meeting.
La surprise a été la diffusion d’une ancienne lettre-vidéo de l’ex président Sambi, détenu à vie, après un procès qui n’a respecté aucune procédure et n’a accordé aucun droit à la défense. Bien que la vidéo soit ancienne, la lettre dans laquelle Mohamed Sambi clame son innocence, a résonné comme si c’était un message d’aujourd’hui, en direct. Les nombreux partisans de l’ancien président présents dans la salle ont également exprimé leur joie lors de la diffusion d’un extrait de son discours pendant ce fameux procès.
« Azali traitre »
Il fut très peu question de l’opération qui se déroule actuellement à Mayotte. Les opposants ont envoyé leurs attaques le plus souvent au chef de l’État et à son gouvernement.
À l’image de Sabikia Ahmed Mze qui a concentré son discours sur les difficultés socio-économiques qui s’abattent sur les citoyens qui n’arrivent pas à se nourrir. « Azali Nalawe ba rilemewa » (« Qu’Azali dégage car nous sommes fatigués »). Elle a dénoncé la corruption qui gangrène le gouvernement et la situation des prisonniers politiques. La leader du mouvement de femmes appelé Wadzadze Wendza Irumbi a aussi décoché ses flèches contre l’ancien Ministre des Affaires étrangères, qu’elle a désigné comme « l’ennemi caché », Amine Soeuf qui a signé l’Accord mixte franco-comorien de 2019, puis a démissionné pour donner l’impression qu’il est un homme bon, selon elle. « Nous, t’avons démasqué Amine Souef » a-t-elle affirmé. De l’avis des militants de l’opposition, l’Accord de 2019 est celui qui a ouvert la porte à l’opération Wuambushu. Sabikia Ahmed Mzé finit son discours en affirmant ; « Demain, qu’ils le veuillent ou non, ils tomberont. Nous les jugerons, avec une vraie justice ».
Me Mahamoud, l’ancien candidat du parti Juwa aux présidentielles de 2019 a lui aussi commencé par accuser Amine Soeuf, puis a montré les incohérences des propos tenus par Azali Assoumani dans les médias français. Il a retenu le fait que ce dernier a annoncé dans le journal « Le Monde » que s’il laisse des gens expulsés de Mayotte revenir, il serait considéré comme un traitre. Il a également retenu que le même Azali a déclaré sur France 24 qu’il était convenu avec les autorités françaises que Wuambushu devait se faire dans la discrétion. Il a rappelé que le chef d’État actuel avait déjà montré sa capacité à trahir lorsqu’il a fui à l’Ambassade de France quand son pays était attaqué par des mercenaires français en 1995. Il a fini par dire qu’Azali n’avait pas de dignité.
L’avocat Ibrahim Mzimba souligne aussi le « comportement indigne » d’Azali Assoumani, avant d’ajouter : « Il fut un temps où nous avons reconnu sa légitimité mais … il ne respecte rien ». Pour l’avocat, « il n’est plus question de demander des autorisations de manifester », c’est un droit reconnu par toutes les constitutions.
La France complice de la dictature d’Azali
Plusieurs intervenants ont lié leurs critiques de la dictature en place à Moroni avec les critiques de la France. Ils ont montré que les enfants que la France veut renvoyer à Anjouan sont nés et ont été élevés à Mayotte et ont appelé celle-ci à prendre ses responsabilités en tant que puissance administrant l’île.
La preuve que le gouvernement français est associé plus que jamais à la dictature qui sévit à Moroni, les organisateurs du meeting ont diffusé à la fin une ancienne chanson dont le refrain dit : « La France est notre premier ennemi ». C’est dire à tel point la population est exaspérée par les relations entre le président français et le chef de l’État comorien.
À la fin du meeting, tandis que les gens se dispersaient à partir de la place de l’Indépendance, les militaires ont commencé à lancer des grenades lacrymogènes, créant la panique dans la foule. Un avant-goût de la campagne électorale annoncée en 2024.
Ce meeting et les discours prononcés par les chefs de l’opposition ont montré s’il en était besoin que la dictature d’Azali Assoumani a extrêmisé la vie politique, aussi bien pour ceux qui ont le pouvoir et qui se servent de l’armée comme de l’instrument de leur survie que pour ceux qui s’y opposent et subissent. Les attaques virulentes dépassent parfois la politique. À Youssouf Mohamed Boina qui demandait au chef de l’État de réunir les Comoriens et de demander pardon, la foule réunie au Foyer des Femmes a répondu comme un seul homme : « Nous ne pardonnerons pas ». Il sera certainement difficile de revenir à une vie politique apaisée après le régime de dictature que connaissent les Comores.