Depuis une décennie, chaque fin d’année scolaire, la proclamation des résultats du Bac éclate, avec un bruit assourdissant. Nos têtes pensantes sortent toujours leurs plumes d’or et d’argent pour faire écho de leurs mécontentements circonstanciels, de leur indignation passagère. Suite aux résultats chaotiques des examens nationaux, chacun s’érige en consultant de l’Éducation, des spécialistes malgré eux de l’enseignement aux Comores. Ces masters-chefs, ou ces Piaget nous servent les recettes les plus pédagogiques, les plus didactiques, les plus sociologiques et peu de solutions en guise de dessert.
Par Abdel Djawad
Il y a une urgence à réformer le système éducatif comorien, à promouvoir et à renforcer l’enseignement de la langue française qui se trouve dans une situation critique malgré son statut de langue officielle et d’enseignement.
Un diagnostic partagé ?
Cela est rendu visible par un faible taux de réussite répétitif dans les examens nationaux, depuis une décennie. Ce faible taux de réussite, ne dépassant jamais les 4% sans rachat de points, est accompagné d’un socle linguistique très insuffisant. C’est un témoin de la chute du niveau de français, langue d’enseignement et objet d’enseignement. Nous voulons dire par là que la gravité de la maîtrise du français oral et écrit est pour certains un problème majeur, source de l’effondrement du système éducatif, même s’il est évident qu’à lui seul, le français ne constitue pas la raison suffisante de l’ébranlement de notre système éducatif si système existe.
L’absence de formation et de recyclage des enseignants est un facteur aggravant. Ce constat dénonce implicitement un corps enseignant livré à lui-même, armé d’une craie et d’un tableau noir, et dont l’unité didactique est basée uniquement sur la description de la langue, des théories, des formules et des théorèmes : on enseigne comme on a été enseigné, sans progression, sans séquences et sans objectifs bien définis par séance.
Pour mieux se défendre et indexer les décideurs qui ne décident rien, le « pilier indéfectible, dévoué et concerné de l’éducation » pour paraphraser une des plumes d’or indignées, crie haut et fort sur l’absence de supports et matériels pédagogiques, l’absence de textes officiels adaptés à la réalité comorienne, des programmes ambitieux sans mesures d’accompagnement ou d’appropriation, des conditions d’exercices dignes d’un mineur, des formateurs fraîchement formés et qui ne forment personne… Et la guerre est déclarée.
Reste la dernière explication de la chute vertigineuse du niveau scolaire et des résultats. Guillotineur du système éducatif orphelin de père pour les uns, accélérateur de la chute du niveau pour les autres, l’enseignement privé est pointé du doigt. Réclamer sa disparation relève de la facilité, de la simplicité et de la caricature. Cet enseignement a fait ses preuves. D’abord réplique de la passivité étatique, l’école privée a repris le rôle de la maison de l’éducation « omni-défaillante ». En outre, les 25 premières places du palmarès des examens nationaux de ces sept dernières années (excepté la cession 2019) sont occupées par des écoles privées « qui poussent comme des champignons », et les établissements publics restent à la traîne. Ces constats sont partagés par tous et partout hormis les acteurs des l’éducation. Le syndicat des enseignants réclame une « lune morte et tombante », les parents d’élèves sont une institution de luxe pour notre archipel, un collectif des apprenants est un leurre. Trois institutions sans voix pour la voie de la réussite et laissant la voix aux autres pour une guerre de mots décrivant les maux rongeant la société comorienne dépourvue d’une éducation seine.
Une guerre sémantique pour rien ?
Le secteur éducatif est, depuis l’indépendance, le parent pauvre d’un archipel qui se cherche. Il n’a jamais été la priorité ni l’outil d’évaluation de nos gouvernements. Pire, nos quotients locaux, nos blogues, le parlement accordent peu de place à l’Éducation. Comme les raisins et les fruits tropicaux, elle est saisonnière. Elle raisonne en nous en fin d’année, quand les résultats tombent ou lors d’un bras de fer entre le syndicat et le gouvernement : c’est la haute saison.
Voilà pourquoi, n’ayant pas l’habitude de parler d’enseignement et d’orientation, la fin d’année, nos érudits se livrent à une guerre de mot quant à l’analyse de la situation innommable que traverse l’éducation. Les journalistes emploient l’expression « résultats catastrophiques », alors que les sociologues ajoutent l’idée de « crise de l’école » pour ratisser plus large. Nos pédagogues de bureau nous imposent un langage trop technique : « chute vertigineuse du niveau » et souvent avec des euphémismes pour atténuer la réalité des « objectifs non atteints », « socle commun des compétences inférieur à la moyenne », « analphabétisme fonctionnel »… Les amateurs de la boxe vont droit au but et qualifient la situation de l’enseignement aux Comores de « chaotique », une éducation baissant ses gardes dont les acteurs et partenaires ont jeté l’éponge.
Pour suivre la masse sans être de la masse, son excellence, le président élu par défaut, pour ne pas dire usurpateur, rejette tous ces vocables, les considérant comme des barbarismes linguistiques. Il dépoussière ses notes de « stratégie de la guerre », révise la terminologie militaire pour trouver le terme approprié désignant le mieux l’état des lieux de l’Éducation nationale. Parce que le constat est alarmant, parce que les symptômes de l’échec parlent en eux même, parce que le diagnostic est partagé, parce que les 4% de taux de réussite persistent, il a conclu qu’il s’agit de la guerre dans l’éducation : on est en guerre !
Et comme les conséquences de la guerre sont visibles par un nombre très élevé (96% des candidats) notre militaire de président préfère contribuer à cette guerre sémantique, en nous proposant l’expression de « drôle de guerre dans le système éducatif comorien ». Rien de si étonnant donc, si après diagnostic, il écarte un liseur de Platon avec ses séminaires et ses réformettes ne traitant en rien la santé précaire de l’éducation menacée d’une pandémie faute d’une prévention accrue.
Qui de mieux pour lire et interpréter un diagnostic posé par un militaire que ses hommes de confiance, nommés ici et là, accidentellement ministres, directeur de l’enseignement, des examens, des proviseurs par copinage ? La prévention et le traitement de cette épidémie sont assurés dans le sens où la maison d’éducation est sous l’autorité des copains, des médecins malgré eux, spécialistes de la santé éducative. Vaccins, quelques formules chimiques et une veille sanitaire stricte et voilà la maladie rongeant notre éducation surveillée et limitée. Une guerre des mots pour rien, le président et ses copains ne nous promettent rien quant à la nécessité de renverser la tendance. Mais, le locataire de Beit-Salama nos sert la même recette que pendant son premier mandat : l’inertie et désigner l’Éducation comme le parent pauvre ; point de voix ne doit s’élever : silence on copine ! D’ailleurs, sans résultats, il sera l’égal de ses prédécesseurs et de lui-même.