L’opération Wuambushu que la France s’apprête à mettre en œuvre dès le 22 avril prochain, consiste à purger Mayotte, la quatrième île des Comores, occupée par la France, de sa population sans papiers français, venue des trois autres îles sœurs, vers Anjouan. Cette opération met l’île d’Anjouan dans la tourmente, et le sujet occupe le devant de l’actualité, les esprits et les débats de rue au quotidien, occultant ainsi les autres sujets majeurs de préoccupations insulaires, propres à l’île ou nationaux, comme la précarité généralisée, l’inflation, la centralisation exagérée et irréfléchie du pouvoir exécutif à Moroni, le rationnement de l’énergie électrique…
Par M. Bacar
Anjouan, l’île la plus concernée par le projet wuambushu, semble ignorer les tenants et aboutissants de cette opération, à l’image des déclarations récentes du gouverneur de l’île, Anissi Chamsidine dans La Gazette des Comores. Il a jeté la responsabilité de la gestion et des retombées négatives et dangereuses prévisibles, au gouvernement de l’Union des Comores et à la France : « La France défend son intérêt, nous avons oublié de défendre le nôtre (…) Que l’on veuille ou non, Maore et les autres îles sont liées. Le malheur d’une rive ne peut que nourrir l’instabilité de l’ensemble. Le partenaire français, quant à lui, ne peut pas donner l’impression de vouloir se débarrasser d’un problème qu’il a lui-même contribué à faire naître d’un geste aussi brutal que l’opération qui se prépare. Je ne peux accepter le déni et le mensonge. Je ne peux que condamner ce qui menace d’arriver. »
À Mutsamudu, en plus des mouvements de troupes en formation, le plus souvent dirigés par des instructeurs français venus de Mayotte, il faut également rappeler les fréquentations beaucoup plus visibles et dissuasives des vedettes de la police des frontières françaises dans les eaux territoriales des Comores indépendantes et au port de Mutsamudu. Il convient également de rappeler que c’est la France qui dote en carburant, pièces de rechange, et techniciens de maintenance les vedettes des garde-côtes comoriennes opérant entre Mayotte et Anjouan. Selon plusieurs témoignages recueillis et recoupés auprès des pêcheurs anjouanais, depuis plusieurs mois déjà, il n’est pas rare de voir des « wazungu » à bord des vedettes des garde-côtes comoriennes.
Les pêcheurs ont d’ailleurs reçu comme consigne de ne plus être que deux dans une embarcation. Pour la petite anecdote, le gouverneur Anissi Chamsidine, passionné de pêche sportive, connu, s’est retrouvé dernièrement dans le collimateur des garde-côtes pour la simple raison qu’ils étaient trois dans sa vedette de pêche, au lieu de deux, comme recommandé par cette nouvelle loi concoctée unilatéralement par les garde-côtes et leurs instructeurs et méconnue de tous, et dont le gouverneur, son garde de corps et son compagnon de pêche ignoraient l’existence.
L’hebdomadaire Masiwa constate également qu’une équipe technique de la gendarmerie française est en permanence affectée à Anjouan pour assurer la formation et la maintenance des vedettes de patrouille des gardes-côtes comoriennes. Selon plusieurs témoignages, le gouvernement pourra communiquer tardivement sur ce sujet en rappelant que « Mayotte est une île comorienne maintenue sous administration française depuis l’indépendance du pays en 1975 » et que « les Comoriens sont chez eux à Mayotte », mais force est de constater qu’Azali Assoumani et son administration se plient toujours en quatre devant les désirs d’une France généreuse qui ne porte aucune menace apparente sur sa légitimité au pouvoir, qu’elle soit justifiée ou non.
Il n’est un secret pour personne qu’il n’y a qu’une seule voix audible capable de faire revenir la France à sa décision ou de la suspendre, à savoir la suspension de toutes les liaisons maritimes entre les Comores indépendantes et Mayotte, dont seul l’armateur français basé à Mayotte (SGTM) détient l’exclusivité. C’est d’ailleurs autour de cet armateur et de sa flotte que la France envisage d’expulser près de 20 000 Comoriens en deux mois, soit 300 Comoriens sans papiers français et étrangers par jour, au lieu de 70 habituellement. Selon des indiscrétions auprès d’un agent de la SGTM à Mutsamudu : « notre société a les moyens d’assurer même plus de 500 expulsions par jour si la préfecture de Mayotte le demandait », précise-t-il.
La très lucrative opération Wumbushu, qui aurait théoriquement rapporté à l’État comorien 150 millions d’euros sur trois ans après la signature de l’accord-cadre franco-comorien en 2019, n’a rien apporté de particulier en ce qui concerne les mesures d’accompagnement qui devaient être mises en œuvre pour Anjouan conformément à cet accord.