Le Front commun élargi contre la Dictature a décidé de partir en chasse contre le plan français de renvoi forcé de Comoriens vivant sur l’île de Mayotte en violation de la Convention de Genève de 1951. Il a convoqué ce jeudi 13 avril 2023 plusieurs médias pour échanger sur les tenants et les aboutissants de cette affaire qui défraie la chronique aux Comores.
Par Hachim Mohamed
Étaient présents dans l’assistance : maître Ibrahim Ali Mzimba, Ibrahim Abdourazak alias Razida, porte-parole de l’opposition, qui a modéré les prises de parole, Ahmed Hassane El Barwane, secrétaire exécutif du Front commun élargi contre la Dictature, Djaffar Abbas, Mohamed Adamo, vieux routier de la politique et de nombreux militants.
Le credo politique de la principale coalition de l’opposition semble limpide : haro sur l’accord qui a été signé le 29 juillet 2019 par Mohamed El-Amine Souef, alors ministre des Affaires étrangères et son homologue français Jean Yves Le Drian.
Les hostilités à ce que le Front commun élargi qualifie de « vente d’une partie de Comores à la France » ont commencé par son secrétaire exécutif, Ahmed Hassane Barwane, qui a livré l’historique du principe de l’intangibilité des frontières de l’État comorien, comprenant quatre îles, dont Mayotte. Selon ce cacique de la politique comorienne, au départ il y avait en 1973, un grand rassemblement au stade Baumer de Moroni, dont le principal initiateur avait été feu l’ex-président Ahmed Abdallah Abderemane, avec l’appui du futur Mufti Saïd Mohamed Abdourahmane et des ténors de la classe politique du pays.
C’était une opportunité à l’époque de réfléchir et chercher les voies et les moyens par lequel on pouvait conquérir la souveraineté nationale du pays. Sur ce chapitre, il est à noter que d’autres personnalités ont marqué le combat pour la conquête de la souveraineté des Comores. Ahmed Hassane Barwane a fait état entre autres de Saïd Mohamed Djaffar, qui allait prononcer par la suite le discours sur notre indépendance à la tribune des Nations Unies en 1975, de Mouzawar Abdallah, alors ministre des Affaires étrangères, qui avait été dépêché aussi à l’ONU par feu l’ex-président Ali Soilihi Mtsachiwa lors de la même mission.
Tous les anciens Présidents ont rejeté la cession de l’île de Mayotte sauf Assoumani Azali
Le secrétaire exécutif Ahmed Hassane El Barwane a repris les faits en remontant jusqu’à la genèse du projet de cession de l’île de Mayotte et ses objectifs.De ce projet allait naître un processus de développement aléatoire et chaotique pour le pays. Tour à tour, le projet de cession de l’île à la France a buté sur les présidents. Ces vaillants patriotes et nationalistes ont farouchement rejeté l’offre française, qu’ils estimaient scabreuse et contre le respect du principe de l’intangibilité des frontières de l’État comorien, a-t-il expliqué.
Sur la genèse de la signature de l’Accord-cadre, maître Ibrahim Ali Mzimba est allé plus loin, en racontant ce qui s’est passé sous la présidence de Saïd Mohamed Djohar, ce dernier ayant eu un mémorable entretien dans son bureau avec l’ambassadeur de France sous l’œil d’Abdallah Halifa, alors président de l’Assemblée fédérale. Toujours à en croire, Maître Ibrahim Ali Mzimba, alors jeune Conseiller spécial à la Présidence de la République, lorsque l’ambassadeur de France a présenté le projet de la cession de l’île de Mayotte au président Saïd Mohamed Djohar, la réaction de ce dernier avait été de lui dire qu’il avait besoin de son avion pour survoler à bord ensemble les quatre îles de l’archipel des Comores : « Vous voyez ! Quand on regarde mon pays de haut à bord de cet avion, il n’y a que trois ou quatre belles maisons. C’est pour vous dire que nous avons un pays pauvre, mais aussi notre fierté, notre nationalisme et notre dignité, qui n’ont pas de prix. Pour rien au monde, on ne peut les vendre », avait déclaré ouvertement le président Saïd Mohamed Djohar sur la cession de l’île de Mayotte.
Comme elle était confrontée à ces vaillants patriotes, la France avait manœuvré politiquement pour les évincer par coups d’État, a ajouté maître Ibrahim Ali Mzimba qui, dans la foulée de ces révélations, n’a pas oublié de rappeler le visa Balladur, un scandale qui empêche les Comoriens de circuler librement chez eux entre les quatre îles de l’archipel.
Tous les présidents des Comores ont rejeté la cession de l’île de Mayotte sauf Assoumani Azali.
Aux Comores, sur 100 personnes, il y en a 80 qui vivotent
Le secrétaire exécutif a fait aussi un tir de barrage sur les 150 millions d’euros décaissées dans le cadre de transactions pour la cession de l’île de Mayotte à la France : « Comment on peut brader une partie du territoire de Comores pour une telle somme, loin du produit intérieur brut, ne représentant que le budget annuel de l’État comorien ? », a-t-il crié, indigné. S’appuyant sur les statistiques fournies par une étude qui mesure le bonheur des pays de la Planète, maître Ibrahim Ali Mzimba a mis l’accent aussi sur la situation économique de Comores, notamment sur la paupérisation croissante d’une frange de plus en plus importante de la population comorienne : sur 10 Comoriens, 5 ne parviennent pas à manger à leur faim. Sur 5 Comoriens, 3 souffrent pour survivre. Au total, sur 10 Comoriens, il n’en y a que 2 qui ont une vie décente. Aux Comores, sur un total de 100 personnes, 80 vivotent. Autant dire que selon Maître Ibrahim Ali Mzimba, aux Comores, les gens vivent au jour le jour, étant incapables de prévoir et de planifier la gestion du lendemain. Pour lui, les Comoriens sont, sans forcer le trait, « ces indigents malheureux qui ont grandi sans feu ni lieu, errants et vagabonds, vivotant au jour le jour ! ».
Le régime politique en place a signé un pacte scabreux
La manière dont le titre foncier de l’île de Mayotte a été vendu et transformé en « propriété de la France » dérange. Maître Ibrahim Ali Mzimba s’est arrêté sur la stratégie française qui lui a permis, pour reprendre son expression de « baiser notre pays » sur ce dossier en litige et contestation de la légalité de la France à Mayotte. Pour cet avocat, la signature de l’Accord-cadre de coopération de 2019 entre la France et les Comores permet à l’ancien pays colonisateur de se ménager une porte de sortie en cas d’aggravation du litige ou de contestation de ses agissements, au regard des termes de l’accord.
En lisant les clauses du document qui ont trait au plan de l’opération Wuambushu, les Comoriens seront expulsés de Mayotte et déportés selon leur lieu de naissance, mais pas en tant que personnes qui seraient partout chez elles aux Comores, y compris à Mayotte !
On y retrouve de l’humiliation par l’insulte et le mépris de nos compatriotes. C’est comme si les Comores n’ont pas un État et que chaque île est tout juste un espace géographique occupé par des habitants !
Face à cette situation, il n’y a pas d’alternative pour le Front commun élargi contre la Dictature et les organisations de la société civile des Comores, si ce n’est de tirer à boulets rouges sur ce pacte scabreux.
Un protocole paraphé par les deux parties sans passer par une loi de ratification
Cet accord suicidaire signé le 29 juillet 2019 dépossède notre pays d’une partie importante de son territoire, selon le communiqué remis aux journalistes. Pour Maître Ibrahim Ali Mzimba, il n’y a nulle part ailleurs ou dans la Constitution une disposition qui donne au président ou à un ministre un pouvoir discrétionnaire lui permettant de vendre d’une manière aussi cavalière une partie du territoire national, même avec l’accord du Parlement ou par référendum. Or, cet accord a été conclu sans donner lieu par la suite à une ratification par le Parlement.
Il est donc demandé à l’unanimité une déclaration officielle par laquelle Dhoihir Dhoulkamal, ministre des Affaires étrangères, devra dénoncer et récuser ouvertement et publiquement l’Accord-cadre pour son caractère dangereux, a précisé Ibrahim Ali Mzimba, au nom de la principale coalition de l’opposition. Il devra annoncer le retrait pur et simple de cet accord dangereux, au nom de l’unité des Comores.