Qu’est-ce qui explique l’intrusion des autorités politiques dans l’espace judiciaire aux Comores ?
Depuis des dizaines d’années, les régimes politiques successifs s’autorisent une pénétration violente dans les affaires judiciaires et administratives en cours.
Par Ahmed Ben Ali, Avocat au barreau de Saint-Pierre (La Réunion)
Certains amis proches du pouvoir donnent des informations normalement protégées par le secret de l’instruction. C’est le cas d’un porte-parole officieux du Secrétaire général du Gouvernement. Des détails sur plusieurs dossiers en cours, dont celui de l’ancien président SAMBI, sont divulgués dans la presse à chacune de ses interventions.
Quelques fois, à la sortie d’un Conseil des ministres, et ce, depuis deux ans, l’ancien ministre de la Justice fait un point de presse et annonce que le procès de SAMBI aura lieu à la fin de l’année.
Le pouvoir exécutif a accès aux dossiers en cours à la Justice
Lors d’une conférence de presse, l’ancien Garde des Sceaux, ministre de la Justice, se présentant avec des pièces de fonds de la procédure pénale de l’ancien Président de la République, SAMBI, pour expliquer entre autres l’état d’avancement de l’instruction.
Lors d’une nième conférence de presse, le même ministre de la Justice déclare que la détention provisoire de l’ancien président est justifiée et sera illimitée tant qu’il n’aura pas versé une somme équivalente au montant des poursuites pénales pour corruptions et détournement de fonds publics.
Quasiment à la fin des conseils de ministres de ce régime, le porte-parole du gouvernement s’autorise des commentaires sur les affaires pénales en cours et évoque des dates prévisibles des prochaines audiences alors que les personnes mises en cause n’ont pas été informées.
La dernière intervention fracassante de l’ancien ministre de l’Économie prévoit que la date d’audience de l’ancien Raïs des Comores aura lien avant la fin de l’année.
Alors la question que l’on peut se pose est de savoir comment les différentes branches du pouvoir exécutif ont pu avoir accès à l’ensemble des dossiers en cours à la Justice ?
L’article 11 du Code de Procédure pénale semble avoir verrouillé le temple de la Justice aux regards indiscrets des politiques et de toutes les personnes qui ne sont pas concernées par la procédure. Ledit article dispose que, sauf disposition contraire et sans préjudice des droits de la défense, « la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète ».
La première explication à cette intrusion dans les affaires pénales des citoyens comoriens est que les magistrats comoriens transmettent une bonne partie des procédures en cours au gouvernement. Il est peu probable que les avocats de la défense collaborent avec l’exécutif en leur communicant leurs dossiers pour se faire torpiller dans des conférences de presse et dans les réseaux sociaux par le gouvernement.
Le Parquet a délégué une partie de ses compétences au gouvernement
Mais l’indignation atteint son paroxysme lorsque l’exécutif annonce la tenue des dates d’audiences correctionnelle, criminelle ou devant la Cour de Sûreté de l’État avant les parties concernées par la procédure.
En raison du caractère secret de l’instruction et de l’enquête pénale, le procureur de la République, seul fixe les calendriers des dates d’audiences si elles ne sont pas imposées par la loi.
Ainsi, seules parties concernées, à savoir les parties civiles ainsi que la défense sont avisés les premiers par le parquet pour la tenue des audiences correctionnelles, criminelles ou celles de la Cour de Sûreté de l’État.
Au regard de la communication du gouvernement, le parquet de Moroni a délégué de fait une partie de ses compétences à l’exécutif en méconnaissance totale du Code de l’organisation judiciaire.
Qu’est-ce qui justifie alors l’abandon des prérogatives constitutionnelles du ministère public au profit de l’exécutif ?
On peut légitimement se poser des questions sur le silence assourdissant des magistrats comoriens. Il n’est prévu nulle part dans le code de procédure comorien une disposition permettant aux autorités politiques de faire un quelconque commentaire sur l’avancement de dossiers en cours.
Et pourtant à plusieurs reprises, le porte-parole du gouvernement ou l’ancien ministre de la Justice se sont permis de donner des avis sur les procédures en cours.
Il est difficile de donner des explications précises à cette absence remarquée des magistrats de sièges et du parquet de leur domaine de compétence. Le Conseil Supérieur de la Magistrature n’a jamais été proche des magistrats comoriens ni défendu l’identité de l’institution judiciaire.
Malheureusement, le constat est sans appel. La porosité de l’institution judiciaire est alimentée par des magistrats qui ne revendiquent pas jalousement leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics. Parfois, certaines situations donnent l’impression qu’il y a une forme de fusion des deux organes institutionnels diamétralement opposés.
Selon toute vraisemblance, les juridictions judiciaires sont devenues des chambres d’enregistrement des décisions de l’exécutif dans la mesure où les calendriers judiciaires peuvent être fixés par le gouvernement.
Dès lors que les juges comoriens ne manifestent aucun intérêt pour leur travail ni pour le respect des dispositions constitutionnelles, ils doivent assumer ce rôle peu glorieux qui consiste à transformer les décisions politiques en décisions judiciaires.
Ainsi, n’étant pas en mesure de défendre l’indépendance de la justice garantie par les constitutions comoriennes successives, les magistrats constituent une simple courroie de transmission des décisions des pouvoirs publics.
L’opinion publique se fait une idée peu reluisante de la justice aux Comores parce qu’il y a une confusion des rôles entre la justice et l’exécutif. Le porte-parole du gouvernement est devenu le chargé de la communication des affaires judiciaires.
Ces sorties médiatiques du gouvernement, en dehors d’un cadre légal dans les affaires judiciaires, auraient conduit à la nullité des procédures concernées ainsi que de tous les procès-verbaux subséquents pour avoir porté atteinte aux droits de la défense. Dans une démocratie qui se respecte.