Géographe spécialiste des littoraux sédimentaires et Docteur en géographie, Kamardine Sinane a soutenu en 2013 une thèse sur les littoraux des Comores à travers l’exemple de celui d’Anjouan à l’IRD (Institut de Recherches pour le développement) et à l’Université de La Réunion. Alors que ces derniers temps on assiste à une érosion récurrente sur la route reliant Mutsamudu à la région ouest de Ndzuani, nous avons recueilli son avis sur la situation des littoraux des Comores notamment sur les façades maritimes nord-ouest et sud-ouest de l’île de Ndzuani entre Mutsamudu et Moya, régulièrement affectée par l’érosion. Propos recueillis par Faïssoili Abdou
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Masiwa – Pour la nième fois la population de l’Ouest de Ndzuani est affectée par l’érosion d’une partie de la route reliant cette région à Mutsamudu, chef-lieu de l’île. Comment expliquez-vous ce phénomène qui devient récurrent ? Quelles en sont les causes, selon vous ?
Kamardine Sinane – La première chose consiste d’abord à comprendre le fonctionnement des littoraux où sont aménagées les infrastructures routières affectées par l’érosion. Ce sont des zones d’accumulation sédimentaire caractérisées saisonnièrement par des périodes d’engraissement et des périodes de démaigrissement. Il y a engraissement quand les sédiments de l’avant-plage migrent vers l’estran et démaigrissement quand les sédiments de l’estran migrent vers l’avant-plage. Donc lorsque le stock sédimentaire est déstabilisé l’érosion n’est pas saisonnière. Elle s’aggrave dans le temps et devient problématique.
Masiwa – L’extraction du sable marin par certains habitants de cette côte est particulièrement indexée comme étant la première cause de cette érosion, d’autres pensent aussi que la construction des routes sur cette zone ne respecte pas les normes d’où cette fragilité. Qu’en pensez-vous ?
Kamardine Sinane – Les extractions sédimentaires sur les rivières limitent les apports sur les stocks sédimentaires des côtes et celles qui y sont effectuées directement les réduisent. Par conséquent, les volumes de sable extraits peuvent expliquer à eux seuls l’érosion. Mais l’érosion côtière observée à Ndzuani, à Mwali et à Ngazidja ne peut pas être imputée seulement aux extractions de sable. Certains ouvrages de types digues verticales construites pour protéger les routes aménagées imprudemment près du trait de côte accentuent aussi le départ du sable du stock sédimentaire et favorisent l’érosion. Les digues verticales favorisent l’action de la houle qui finit par les fragiliser ou les déchausser dans le temps en accentuant par conséquent l’érosion. C’est la combinaison de ces facteurs qui explique l’érosion qui touche les infrastructures routières littorales et cela dans un contexte de changement climatique global et d’élévation du niveau de la mer.
Masiwa – Maintenant quelles sont les mesures que les autorités doivent mettre en place pour remédier à ces problèmes ?
Kamardine Sinane – Chaque portion du littoral affectée par l’érosion a son fonctionnement propre. Donc il faut agir au cas par cas. Pour les côtes où les routes sont menacées par l’érosion, il faut effectivement agir mais en ne répétant pas les mêmes erreurs. C’est-à-dire, s’il est possible de reculer une partie de la route érodée d’une centaine de mètre du trait de côte, il faut le faire. Ensuite, il faudrait éviter les digues de types verticales quand il n’y a pas une possibilité de reculer le tracé routier. La construction des ouvrages de protections avec des pentes épousant les déferlements de la houle et réduisant leur force me parait importante. L’exemple qui me vient en tête et qui me parait plus approprié, car moins onéreux et facilement réalisable, est l’enrochement stabilisé aménagé au petit port de Moroni par les Turques même si celui-ci n’était pas fait pour protéger une route menacée par l’érosion. Mais, la recherche de la solution doit aller au-delà des causes et des solutions que je viens d’énumérer. La première question que les autorités doivent se poser s’agissant du problème de l’érosion côtière est celle-ci : quelle est la place des littoraux sur le devenir économique du pays ? C’est dans ce contexte que les décideurs, les usagers des littoraux et les ingénieurs qui les aménagent peuvent contribuer à leur préservation en commençant par comprendre comment fonctionnent les littoraux sédimentaires.
Masiwa – Justement qu’est-ce qu’on pourrait faire pour stopper l’extraction du sable marin quand on sait que certains n’ont parfois que cette activité comme seule ressource financière ?
Kamardine Sinane – Ma réponse n’est pas toujours en adéquation avec ce que j’ai entendu jusqu’à aujourd’hui. En effet, l’extraction du sable est une activité qui implique plusieurs acteurs au-delà de ceux qu’on observe sur les côtes. Les extracteurs essayent de répondre à un besoin de l’ensemble de la population, celui de matériaux de construction. Cette activité leur procure des revenus souvent complémentaires. On comprend par-là que, c’est donc ce besoin de matériaux de construction qui a créé ces usagers et non ces usagers qui ont créé ce besoin.
Et comme la plupart des côtes sédimentaires n’ont jamais été valorisées autrement, cette activité d’extraction du sable s’est imposée sur le modèle d’une économie de cueillette avec pour corolaire ses nombreuses conséquences environnementales. Le bon sens voudrait ainsi dire que la recherche au préalable en dehors des côtes d’autres matériaux de construction va atténuer cette pratique. Mais trouver une solution durable est aussi une question de perception et de valorisation. C’est la raison pour laquelle, j’ai dit plus haut que la préservation des côtes ne peut se faire que quand les autorités vont clairement définir leur place sur l’avenir économique du pays. Si les autorités élaborent une bonne politique de valorisation du littoral, les activités nocives comme l’extraction du sable s’estompera d’elle-même sur cet espace et sera remplacée par d’autres activités qui seront relativement en adéquation avec leur préservation. C’est cette voie là qui doit être suivie comme dans les autres territoires insulaires qui ont eu à se confronter à cette pratique avec comme résultats la réduction de la pauvreté des usagers des côtes et d’une grande partie de la population.
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