Il apparaît juste qu’on ne peut pas traiter de toutes les évolutions sociales et démographiques avec la même attention. Il faut reconnaître que certaines occupent une place centrale dans nos conceptions sociale et politique et nos préoccupations, quand d’autres restent aux marges. [ihc-hide-content ihc_mb_type=”show” ihc_mb_who=”2,3,4,5,6,9″ ihc_mb_template=”1″ ]
Mais force est de noter que tout jugement ou appréciation doit se faire en fonction de l’époque, de la période. Dans le Coran, le livre des Musulmans et un des livres sains, il est stipulé que « chaque chose en son temps ». Cela signifie que le Dieu des musulmans a averti que les mœurs changent avec le temps (autres temps, autres mœurs). L’expression « autres temps autres mœurs » désigne bien un principe évolutif « omniprésent » et utile à la survie de l’humanité. De la préhistoire à l’antiquité, l’organisation sociale n’est pas restée statique. Elle a débuté par la mise en commun des hommes et des femmes. Mais selon les lieux et les nécessités, les gens ont commencé à découvrir de nombreuses variantes et des combinaisons possibles qui se développent afin de survivre. Au-delà des unions conçues par la société, les gens ont commencé à observer des liens éphémères, des mariages de groupe, des couples monogames et le plus souvent des partenaires multiples (polyandrie ou polygynie). « La civilisation grecque a permis une large palette de possibilités de vivre sa sexualité, polygamie, monogamie, célibat. Il était socialement normal et habituel de pratiquer la bisexualité et c’est la préférence à un seul sexe moins courante qui était davantage remarquée. Les hommes mariés pouvaient donc courtiser les jeunes hommes et avoir des relations sexuelles avec eux sans que la société n’en soit outragée. Des relations que l’on peut qualifier de pédophile faisaient partie de l’’éducation des adolescents qui étaient confiés à un Maître-éducateur. Les sagesses des écoles philosophiques apportent une recommandation commune sur ce point : prendre garde aux passions, l’opposition entre passion et raison est largement développée et le danger de tomber esclave de ses passions est souvent souligné ». (Gérard VIGNAUX, août 2011). Cette situation va encore évoluer dans le temps. « Dans la Rome antique, en dehors de l’homosexualité très présente et librement acceptée, des règles régissent le couple. L’autorisation du père, puis la célébration des fiançailles sont nécessaires avant le mariage acceptable à partir de l’âge de 12 ans. Mais lorsqu’une femme passe une année entière chez un homme sans s’absenter 3 nuits, elle tombe sous sa coupe, la demeure de l’homme est devenue la demeure conjugale, c’est un mariage tacite sans noces et sans cérémonie. D’une façon assez générale, la femme sans dot est sous la domination de son mari mais celle qui possède une fortune peut tyranniser son époux. Globalement, peu d’interdits limitent la jouissance sexuelle, ainsi nombreuses sont les femmes romaines qui célèbrent des cultes, lesquels donnent lieu à des orgies sexuelles » (Idem). Cependant, la venue de la civilisation judéo-chrétienne a apporté un gros changement vis-à-vis de ces pratiques. Des valeurs nouvelles et des interdits sont apportés sur les façons de vivre sa sexualité et d’organiser la famille et son foyer. Cela n’a pas empêché de nombreux personnages de l’ancien testament de rester polygames mais les Hébreux trouvent leur idéal de vie en pensant à autre chose. Pas seulement à la sexualité. D’ailleurs, il leur était conseillé de travailler beaucoup, d’étudier, de créer et surtout de prier, une manière d’oublier leur envie sexuelle.
Si les Grecs voulaient rester attachés à leurs valeurs ancestrales, la Grèce n’aurait pas évolué et serait comparée aujourd’hui à un pays très sous-développé. Et la chanson d’Alpha Blondy trouve sa place ici quand il chante « tout change, tout évolue, seuls les imbéciles ne changent pas ».
Aux Comores, malgré l’avènement de l’Islam au VIIème siècle, on est resté avec des pratiques désuètes et obsolètes. Le Grand-mariage, malgré les tentatives de le moderniser, ne rime pas avec le développement et la modernité.
Tout d’abord, il est inimaginable qu’au XXIème siècle, le choix des mariages reste l’affaire de familles. Et que le coup de foudre a peu de place. Qu’il appartient aux parents de négocier les mariages sur la base de critères bien définis : lignage, localité de naissance, famille, position des parents, position dans la famille, entre autres. Et que le Grand-mariage le plus réussi est celui dont le choix est opéré par la famille. Certaines régions refusent, par exemple, des mariages entre des autochtones et des étrangers à un moment où on parle de mondialisation. Pour une société juste et apaisante, on ne peut pas faire de l’amour une chose et le mariage une autre. Celui-ci doit être la conséquence du premier : se marier uniquement parce qu’on s’aime, sans considération aucune des mœurs et traditions, sauf si les critères religieux ne le permettent pas.
Ensuite, il est regrettable de noter qu’il y a une pratique à l’heure de la mondialisation qui est préférée à la vie même d’un citoyen. Jusqu’à aujourd’hui, des vies peuvent être sacrifiées au nom du Grand-mariage. Une vie pour sauver l’honneur familial comme à la Mecque au temps de la barbarie. Une femme enceinte, mariée religieusement et juridiquement, par exemple, peut être contrainte d’avorter pour la simple raison que son mariage n’a pas été célébré suivant les rites et les coutumes : Grand-mariage. Mais de même, on note, à Ngazidja surtout, les souffrances d’une personne malade et n’ayant pas accompli le Grand-mariage, préoccupent moins son entourage. Leur peur réside dans le risque de voir leur oncle ou père mourir avant d’accomplir le Grand-mariage. Alors, l’oncle ou le père à l’agonie, on procède à la collecte de fonds, non pour l’aider à se soigner ou à mourir avec moins de douleur, mais pour éviter qu’il meure avant d’accomplir le Grand-mariage. Et au moment de présenter les condoléances, les membres de sa famille disent « au moins, il a réussi à accomplir le Grand-mariage avant de mourir ». La vie et la douleur d’un individu importent moins que la société.
Enfin, comment la société- à l’heure de la modernité- peut tolérer qu’une personne incapable de scolariser ses enfants, de se soigner au besoin, de s’offrir un toit disposant du minimum d’équipement réalise un mariage très coûteux dépassant les quarante mille euros (40 000€) ? Dans les pays développés, le débat tourne autour de la question « comment réduire les dépenses inutiles afin d’être en mesure de faire l’essentiel : santé, éducation, nourriture, vacances…etc.». Cela n’est pas le cas aux Comores. Le Comorien vit dans un univers mental qui est statique ; traditionnellement il vit entouré de rites, de meurs et de coutumes. Il valorise le passé et accorde aux choses matérielles une place secondaire.
A cause du Grand-mariage, les richesses ne constituent pas un moyen de survie ou de progresser mais plutôt un moyen de participer au système des relations symboliques qu’est la société. Cette pratique n’est pas valable en Europe ou dans les pays émergents. Ici, les richesses sont utilisées d’une manière rationnelle. Cela explique le sous-développement des Comores et son refus de décoller malgré les ressources dont elles disposent, en les comparant à celles de ses voisines, Maurice et Seychelles.
Les Comoriens- surtout les instruits- doivent se rendre compte que le Grand-mariage est une pratique désuète et obsolète. En les abandonnant, ils ne seront pas les premiers à déclarer obsolètes certaines pratiques qui constituaient jusque là une fierté de tout un pays. Jusqu’au XVIIIème siècle, les Japonais plaçaient Dieu et la religion au centre de leur réflexion et de leurs activités. Mais ils ont pris conscience que seul l’engagement- surtout intellectuel- aide un pays à se développer. Cela ne signifie pas que les Japonais n’adorent pas leur Dieu, mais ils on réussi à confier à Dieu le spirituel, au pays l’esprit critique et l’effort.
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Mistoihi Abdillah, Ecrivain et Sociologue