La plateforme numérique « 50MAS» s’installe aux Comores. Naila Abbas Thabit, présidente de Femcom, explique qu’elle donnera plus de visibilité aux entrepreneures, pour peu que les concernées, surtout dans l’informel, soient formées à l’utilisation de ces outils de communication. Mais il y a d’autres défis à relever avant de conquérir des parts de marché à l’extérieur : les normes et certifications.
Masiwa : « 50 millions de femmes africaines prennent la parole, la plateforme nationale sera bientôt installée, qu’est ce que cela va apporter à la femme entrepreneur comorienne ?
Naila Abbas Thabit : Ce projet, «50MAS», nous apportera plus de visibilité car la plateforme numérique qui sera créée permettra à toutes les femmes entrepreneures de mettre en avant leurs produits, communiquer sur leurs activités, et leur permettre d’avoir accès à un vaste marché de 38 pays (réunis dans les 3 Communautés Économiques régionales, COMESA/EAC/CEDEAO). La plateforme nous permettra également de faire des affaires en ligne.
Masiwa : On parle beaucoup de l’entrepreunariat au féminin, ces derniers temps, dans notre pays. Combien d’entreprises créées par des femmes les Comores disposent aujourd’hui et dans quels secteurs investissent-elles ?
N.A.T : Le problème est que nous n’avons pas de statistiques dans notre pays. A notre niveau, nous pouvons évaluer le nombre d’entreprises féminines à travers les membres des organisations de femmes entrepreneures. Les associations de femmes entrepreneures comptent en moyenne entre 50 à 100 membres. C’est d’ailleurs le travail que nous réalisons en collaboration avec le COMESA, qui est d’identifier les femmes entrepreneures dans chaque secteur et élaborer une base de données. La femme comorienne est très active, malheureusement, beaucoup évoluent dans le secteur informel. Par ailleurs, je suis convaincue que la majorité des TPME aux Comores est détenue par des femmes.
Une grande part des femmes évoluent dans le secteur agricole et le commerce. Ces dernières années, nous constatons la création de nombreuses entreprises dans la transformation des produits locaux comme le moringa, le coco, les feuilles de manioc, l’ylang, etc… Ces entreprises sont dirigées par des jeunes femmes très compétentes, qui veulent valoriser les produits locaux.
Masiwa : Qu’est ce qui manque aujourd’hui à la femme entrepreneur comorienne pour sa visibilité ?
N.A.T : Comme je l’ai dit, beaucoup de femmes évoluent dans le secteur informel. Et pourtant, elles contribuent dans l’économie du pays. C’est pour cela que nos associations sont là pour les aider à se formaliser. Nous avons d’autres contraintes, liées au manque de structuration des filières. Au niveau de la production par exemple il faudrait se structurer, par exemple en s’organisant en coopératives. Nous faisons face à d’autres contraintes financières, matérielles, notamment les problèmes liés au conditionnement des produits et à l’emballage. Nous œuvrons actuellement pour changer la donne et pouvoir commercialiser un produit fini de qualité. Au niveau régional et international, nos produits ne sont pas suffisamment présents sur les marchés car nous ne pouvons pas les exporter faute de laboratoires, et d’organes de certification. Nos produits doivent être mis aux normes, et cela coûte très cher.
Masiwa : Il y a déjà deux ans, un programme de coaching a été lancé avec les femmes entrepreneures australiennes par l’ambassadrice Susan Cool, quel est l’apport de cette coopération? ET où en est la relation aujourd’hui ?
N.A.T : Le programme n’a pas pu être mis en œuvre, mais on espère le relancer très prochainement.
Masiwa : quelles peuvent être les obstacles à l’exploitation de les difficultés que cette plateforme ?
N.A.T : La première difficulté est l’accès à cette plateforme numérique par une grande majorité de femmes quand on sait que le niveau d’instruction des femmes entrepreneures est inégal. Certaines femmes très actives surtout dans l’artisanat et l’agriculture ne seront pas en mesure d’en bénéficier sans avoir eu des formations au préalable, notamment dans l’utilisation des outils tels que portables, tablettes, ordinateurs. Une initiation à l’informatique et au numérique sera nécessaire. Le deuxième défi est la collecte des données. Une équipe pays a été mise en place composée d’institutions publiques et privées et de la société civile afin de mettre en œuvre ce projet et notamment collecter les données et élaborer les contenus de cette plateforme régionale. La communication sera essentielle pour toucher le maximum de femmes. Le rôle des médias sera donc important afin d’assurer le relais de l’information dans les régions et les îles.
Masiwa : vous êtes la présidente de FEMCOM, c’est quoi exactement ?
N.A.T : FEMCOM est une Institution du Comesa qui regroupe les associations nationales de Femmes Entrepreneures des 21 pays du COMESA. Dans chaque Etat-membre, FEMCOM a une antenne nationale qui met en œuvre les programmes en faveur de l’autonomisation des femmes. Aux Comores, elle a été créée en novembre 2015 et regroupe des associations de femmes entrepreneures dans 5 secteurs : l’agriculture, la pêche, l’artisanat, le commerce et les services et l’aviculture.
Ces associations sont regroupées au sein du Réseau National des Femmes Entrepreneures (RESNAFE). Depuis 2016, nous travaillons sur la mise en place et la structuration du réseau. Nous avons mis en place des comités sectoriels par île et élaboré un plan d’action à partir des besoins identifiés dans chaque secteur, que nous mettrons en œuvre avec l’appui du COMESA. Nous voulons avoir une base de données et une «cartographie» des femmes entrepreneures. L’activité principale sera de mettre en place des formations afin d’améliorer les compétences des femmes et la qualité de nos produits et services. Par exemple, dans l’agriculture : améliorer les techniques culturales, en artisanat : former sur la vannerie, le design, etc… En plus de ces formations sectorielles, nous aurons des formations transversales (marketing, anglais de base et des affaires, comptabilité, gestion).
Dans ce projet 50MAS, le FEMCOM aura une part active dans la mise en œuvre de la plateforme. Nous comptons sur une participation active des femmes entrepreneures comoriennes.
Masiwa : On parle beaucoup d’accompagnement, pour les femmes, d’autonomisation des femmes, que ce soit le gouvernement, le Comesa, la Banque Mondiale ou encore la Banque africaine du développement. Malgré tout, les femmes entrepreneures comoriennes ont du mal à décoller, selon vous, quels sont les freins ?
N.A.T : C’est vrai que nous avons beaucoup de partenaires au développement, il faudrait peut être mieux orienter ces aides en tenant compte des besoins réels de ces femmes entrepreneures. Financer davantage de formations, appuyer davantage les unités de production en équipements, au lieu de financer des ateliers par exemple. Améliorer la connectivité maritime et aérienne si on veut réellement développer les échanges régionaux et internationaux. Par exemple, en diminuant les tarifs du fret maritime et aérien dans la région. Il est très coûteux et compliqué d’importer ou exporter des marchandises même dans les pays de la région Océan Indien. Aujourd’hui, nous voulons des résultats concrets. Et c’est à nous de mieux orienter les appuis des bailleurs. Il faut aussi que l’Etat comorien s’engage davantage dans l’accompagnement de l’entrepreunariat au féminin.
Masiwa : Dans son allocution d’ouverture, la ministre Ladaenti Houmadi, a insisté sur la volonté du Président de l’Union de lutter contre les inégalités hommes-femmes, quel est votre avis ?
N.A.T: En tant que femme d’affaires, j’ai tendance à mesurer les résultats par des actes concrets et non par les discours. Il est vrai que dans les textes il y a eu des avancées en matière de genre. Mais ça ne suffit pas.
Le Commissariat au Genre a tenu à abriter le Point Focal de ce projet 50MAS, montrant ainsi son engagement dans ce projet en faveur de l’Entrepreunariat féminin. C’est encourageant pour la suite.
Propos recueillis par Hayatte Abdou