En janvier prochain, les électeurs comoriens sont appelés aux urnes pour renouveler les membres de l’Assemblée nationale et les conseillers municipaux. Pourtant, il règne une atmosphère d’indifférence dans le pays, bien loin de l’effervescence qui accompagne traditionnellement un processus électoral. Et pour cause : ces élections semblent jouées d’avance.
Par Mwengariye
Dans moins de deux mois devraient se tenir les élections législatives et communales. Pourtant, l’effervescence habituelle à l’approche de ce genre d’échéance a disparu. Les Comoriens estiment que les jeux sont déjà faits. Comme en 2020, le parti au pouvoir, la Convention pour le Renouveau des Comores (CRC), devrait récupérer la totalité des sièges à l’Assemblée, laissant l’opposition et la population dans une posture de spectateurs impuissants.
Une opposition marginalisée
Depuis plusieurs mois, les partis d’opposition ont exprimé leur scepticisme quant à l’organisation de ce scrutin. Après les élections présidentielles de janvier dernier qui ont été fraudées au vu de toute la communauté nationale et internationale, ces formations politiques ont réclamé des garanties pour assurer des élections transparentes et équitables, mais leurs demandes ont été ignorées par le pouvoir en place. En l’absence de réponse satisfaisante, les figures de l’opposition ont décidé de boycotter les élections, même si beaucoup pensent qu’elles soutiennent des candidats indépendants dans leurs circonscriptions.
Ce climat politique tendu trouve son paroxysme dans la perception populaire : pour de nombreux Comoriens, les consultations internes du parti au pouvoir, destinées à choisir leurs candidats, étaient déjà les élections. Dans ce contexte, le candidat investi par la CRC est considéré comme le député élu. Cette absence de compétition réelle soulève une question majeure : pourquoi ce désir de contrôle absolu du pouvoir ?
Une Assemblée nationale dépouillée de ses prérogatives
Théoriquement, l’Assemblée nationale est l’institution législative représentant la volonté populaire et censée contrôler l’action du gouvernement. Mais dans les faits, elle est devenue une simple extension du pouvoir exécutif. Depuis le retour d’Azali Assoumani, le parlement n’a joué qu’un rôle marginal dans les grandes décisions nationales. Un épisode marquant illustre bien cette situation : durant la crise sanitaire liée à la Covid-19, l’état d’urgence a été déclaré directement par le président, sans consultation des députés qui lui étaient tous acquis. Cette marginalisation transforme l’Assemblée nationale en une chambre dépourvue de pouvoirs réels.
Des députés, payés par l’argent du contribuable, ne roulent pas pour ce dernier, mais pour un homme. Les privilèges alloués aux parlementaires apparaissent de plus en plus injustifiés aux yeux d’une population confrontée à des difficultés économiques et sociales croissantes. Dans un pays où l’eau du robinet ne coule pas, où le riz ordinaire est en pénurie chronique. Pour ne citer que ces deux-là. Dans ces conditions, la tenue des élections législatives prévues en janvier ne suscite aucun engouement, surtout qu’elles auront seulement comme objectif de conforter un pouvoir central déjà omniprésent.
Une stratégie politique pensée en amont
Le contrôle total du régime sur le processus électoral n’est pas un hasard. Lors de la nomination du gouvernement actuel, de nombreux observateurs ont souligné une étrange stratégie : plusieurs ministres nommés à des postes-clés, de grands inconnus du grand public, des intérimaires, ne semblaient destinés qu’à se préparer pour les élections législatives. En effet, ces ministres « temporaires », en fonction depuis seulement quelques mois, auraient été choisis pour renforcer leur crédibilité avant de briguer des sièges au Parlement.
Cette manière de « préparer le terrain » semble indiquer que le régime d’Azali redoutait une participation active de l’opposition. Bien que cette dernière ait finalement choisi de boycotter le scrutin, la stratégie du pouvoir témoigne d’une certaine crainte : contrairement à une élection présidentielle, où les fraudes électorales peuvent être plus centralisées, les élections législatives nécessitent un contrôle rigoureux des circonscriptions. Chaque candidat ayant une influence directe sur sa région, il est plus difficile pour le pouvoir de manipuler les résultats à grande échelle.
Un avenir politique incertain
Cette situation soulève des interrogations sur l’avenir politique des Comores. Alors que le pays aurait besoin d’institutions fortes et d’un véritable pluralisme politique pour relever des défis majeurs notamment économiques et sociaux, le pouvoir semble privilégier la concentration de toutes les décisions entre les mains d’un seul homme.
Cette centralisation excessive pourrait toutefois se retourner contre le régime. Si les élections ne suscitent aucune adhésion populaire, les défis du quotidien pourraient exacerber la colère des citoyens. D’autant plus que le paysage politique, verrouillé, prive la population d’un espace légitime pour exprimer ses frustrations. N’oublions pas les événements de janvier 2024 qui ont failli, avec une spontanéité hors norme, mettre fin de façon expéditive au régime du colonel Azali.
Les élections comme symptôme d’une profonde crise démocratique
Au-delà de ces élections, c’est bien la question de la démocratie comorienne qu’on continue à piétiner qui est posée. Une Assemblée nationale représentative est essentielle pour garantir l’équilibre des pouvoirs et offrir une voix à toutes les sensibilités. Montesquieu disait : “Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, Il faut que, dans la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir”. Dans notre cas de figure, le législatif va encore une fois, pour cinq ans de plus, rejoindre le judiciaire pour se soumettre à l’exécutif. Rien n’arrêtera donc le pouvoir !