J’ai découvert « Kosa » de Dini Nassur (Edilivre, 2014), il y a un an et j’étais époustouflée par ce roman. Ce qui m’a plu dans « Kosa » c’est le fait que l’auteur ait choisi une femme pour être l’héroïne. L’histoire et le parcours de cette jeune femme m’a épaté. Je n’aurai jamais pensé qu’à l’époque où se déroule l’histoire, les femmes avaient ce caractère de leadership.
Par Nenmati Ibrahim. Correspondante de Masiwa à Anjouan
« Kosa », le roman de Dini Nassur, est une magnifique épopée qui nous fait voyager dans différents horizons en commençant par nos traditions. Le roman retrace bien nos us et coutumes, en particulier celles de Ngazidja. Mwana-Huri, le personnage principal incarne si bien la jeune fille comorienne, celle qui vient du village et qui n’a pas encore subi les effets de l’occidentalisation. Mwana-Huri porte si fièrement son fagot de bois à la tête, ce qui est selon moi une marque d’ingénuité puisqu’elle vit encore loin des réalités de la ville, dans son village les traditions ne se heurtent pas encore à la modernisation. Mwana-Huri qui signifie selon l’auteur « femme libre » est une jeune fille très bien éduquée qui respecte ses parents, ses aînés et ses semblables. De sa candeur, elle se familiarise avec tout le monde, faisant d’elle une jeune femme très appréciée dans son village, que même les garçons la voient comme une amie et cela sans arrière pensée. Elle n’a pas peur de se mêler aux hommes pourtant dans notre société comorienne, cela est mal vu. Mwana-Huri ose et cela ne dérange pas dans son village. Néanmoins, un évènement malheureux va faire basculer la vie de la jeune femme et Mwana-Huri va se retrouver face aux préjugés.
Lorsque survient soudainement la mort de son père, Mwana-Huri va s’opposer aux pratiques coutumières réservées aux défunts. Elle va ainsi commettre la faute en défiant sa société, un acte qu’elle entreprend avec raison et courage, car elle ne cessera pas de donner son avis. Une décision qui lui portera préjudice, mais qu’elle maintiendra avec le doux soutien de sa maman. Cette faute qu’on peut traduire par « kosa » en comorien donne son titre de cette épopée littéraire. C’est une œuvre qui mérite d’être connue du jeune public comorien parce qu’elle n’est pas seulement une œuvre littéraire, mais aussi une œuvre historique qui nous fait revivre les élans culturels et politiques de notre société.
De sa révolte Mwana-Huri va s’inspirer d’un homme qui est un autre personnage très important de ce roman de Dini Nassur. Il s’agit de Aliyi, un agronome et un homme politique qui va défier les us et coutumes jusqu’à déclencher une révolution pour changer les mentalités. Près d’Aliyi, Mwana-Huri nous fait voyager dans un autre horizon qui est celui de la politique. Avec Mwana-Huri, nous découvrons les aléas de notre système politique : les coups d’État, la corruption et le mercenariat.
De ce passage de l’innocence à la rébellion, Mwana-Huri incarne l’image d’une femme qui se révolte contre les idées toutes faites sur la condition féminine. Cela fait d’elle une révolutionnaire, mais aussi une féministe engagée. De cette révolte est née une autre femme plus courageuse, mais qui garde en elle sa candeur et sa droiture.
Kosa m’a fait découvrir que la femme comorienne a toujours eu un caractère très fort, en plus d’être dotée d’une intelligence et d’une pudeur particulières. Cependant, la société comorienne très patriarcale a toujours eu du mal à accepter une certaine liberté de la part de ses femmes et elle ne lui fait jamais d’éloges. Au contraire, elle préfère les fustiger. Mwana-Huri, par son courage et avec l’aide d’Aliyi, ouvre des portes aux femmes comoriennes pour sortir de la prison dorée que leur réservent les hommes, faisant d’elles des « wana wazidakani », sans réel droit. Ces femmes soumises, obligées à porter les bwiyi-bwiyi en se couvrant le visage, vont se révolter en suivant la voix de Mwana-Huri.
En tant que lectrice de ce magnifique roman, je ne saurais juger les idées de Mwana-Huri et celles d’Aliyi, notamment sur le choix de porter ou non le bwi-bwiyi. Mais, la culture ou la religion sont bien appliquées quand il y a la liberté et non dans la contrainte.
« Kosa » nous fait revivre les évènements importants qui sont au fondement de la société actuelle, l’indépendance mal acquise puis la révolution, qui ont toutes les deux bousculé la société comorienne en laissant des séquelles et des traces indélébiles, faisant de nous des aliénés de notre histoire. Le personnage d’Aliyi incarne en réalité le président Ali Soilihi, cet homme politique qui avait bousculé les tendances dans un pays où les traditions sont ancrées dans la vie de tous les jours. À cause de cette lutte dangereuse contre les coutumes, Aliyi ou Ali Soilihi passe comme une étoile filante puisqu’il sera assassiné deux ans après son accession au pouvoir par des mercenaires français, laissant derrière lui joie et regret. Même si ceux qui s’opposaient à Ali Soilihi ont été soulagés par sa disparition, les générations d’après regrettent la politique de cet agronome qui ne cherchait qu’à défendre les intérêts de tout un chacun, en luttant contre la division, les discriminations et la sorcellerie.
En voulant libérer la femme comorienne Aliyi a été traité de mécréant, car il avait, selon ses détracteurs, dénudé la femme comorienne ce qui va à l’encontre des traditions et de la religion musulmane. Cela va ternir la réputation d’Aliyi qui ne cherchait tout simplement qu’à mettre en lumière une société traditionaliste inconsciente du danger de rester dans l’inaction.
Mwana-Huri et Aliyi sont l’image d’une génération incomprise dans un pays où les mœurs s’entremêlent avec la politique rendant la société défaillante. Les us et coutumes qui ont toujours été facteur de division sont restés jusqu’à lors un frein pour le développement avec le « Mwana Hatru » et le « Anda na Mila ».
Dini Nassur n’est pas seulement écrivain et poète, il est aussi un homme politique comorien qui a été ministre. Il a connu l’indépendance et a vécu la révolution puisqu’il était lui-même militant dans la jeunesse révolutionnaire durant le régime d’Ali Soilihi. C’est pour cela qu’il témoignage si bien sur cette époque dans son œuvre. Il fait partie des organisateurs des manifestations de 2019 de la diaspora contre la dictature du régime d’Azali Assoumani.