Le nouveau gouvernement Azali est perçu comme un gouvernement de jeunes, composé d’hommes neufs et capables de relever le pays. Les premiers signes montrent que ces « jeunes » n’ont nullement l’intention d’agir autrement que ceux qui les ont précédés.
MiB
Le chef de l’État, Azali Assoumani a nommé son premier gouvernement pour le début de son quatrième mandat à la tête de l’État. Il semble avoir suivi les demandes insistantes de son fils, son ancien conseiller privé Nour el Fath Azali, nommé pour l’occasion Secrétaire général du gouvernement. S’il reprend le rôle qu’avait occupé le neveu du même chef de l’État, Idarousse Hamadi, il devrait être une sorte de coordonnateur de l’action gouvernementale et coiffer la plupart des ministres. On se rappelle qu’avant de tomber malade et d’être évacué, Idarousse Hamadi dirigeait les ministres, leur donnait des ordres et se permettait même de leur attribuer des notes. Il reste à savoir comment le fils Azali va se comporter face à des ministres novices dont on dit qu’il a choisi la plupart d’entre eux avant de les proposer à son père.
À l’essai
En effet, ces derniers mois, Nour el Fath Azali a fait le tour des régions pour rencontrer les membres du parti CRC et partout, il a plaidé pour que des responsabilités soient attribuées aux jeunes qui attendent dans les couloirs du parti. Il a d’ailleurs remercié son père sur le réseau X pour l’avoir désigné au poste de Secrétaire général, mais aussi pour « avoir donné une place importante à la jeunesse et aux femmes dans le nouveau Gouvernement ».
Après la prise en main du parti présidentiel dont il est depuis quelques mois le véritable chef, il semble que le père a cédé également aux caprices du fils et lui a laissé les manettes du gouvernement au moins jusqu’aux prochaines législatives prévues en 2025. Il y a cette vague impression que le chef de l’État a cédé à la tradition de faire un gouvernement après une élection présidentielle, mais comme dans quelques mois, après les législatives, il faudra un autre gouvernement, il préfère laisser la jeunesse, et particulièrement son fils, s’amuser en attendant, avec le défi de faire mieux que leurs prédécesseurs, mais sans avoir réellement le même poids.
De jeunes ministres
Les partisans du régime, même ceux qui espéraient être dans ce gouvernement, se réjouissent de la nomination de jeunes en tant que ministres. On peut s’interroger sur l’opportunité de la nomination de jeunes s’ils ne peuvent pas mener une politique différente ni meilleure que les anciens qui avaient les places et qui entendent les récupérer après les législatives.
En réalité, les prétendus novices qui ont été nommés sont, pour la plupart, des relativement « jeunes » qui soutiennent la politique du chef de l’État depuis plusieurs années. Certains d’entre eux ont fait leurs preuves dans l’administration de l’État ou même dans les sociétés publiques. Personne ne les a jamais entendus se plaindre des nombreux dysfonctionnements de l’administration ni de la corruption qui s’est amplifiée depuis la suppression par le chef de l’État de la Commission anticorruption. La corruption a atteint un tel niveau que récemment Azali Assoumani a été contraint par les institutions internationales de remettre cette institution en place, huit ans après.
S’il est un ministre qui est emblématique de ces jeunes, novices, neufs, etc., c’est Aboudou Miroidi, Directeur général de l’ONICOR, la société qui importe le riz ordinaire. Cela fait cinq ans presque jour pour jour qu’il dirige d’une manière chaotique cette société d’État (après avoir été Directeur régional de la Société des Hydrocarbures à Anjouan). Son bilan à la tête de cette entreprise d’État depuis 2019, ce sont des pertes d’argent, des pénuries provoquant des affrontements, particulièrement à Anjouan et des sacs de riz périmés régulièrement brûlés. Aboudou Miroidi dirigeait une société en situation de quasi-monopole sur un produit phare aux Comores et il a réussi, régulièrement, à la mettre en faillite. Mais, il est récompensé en accédant au ministère de l’Aménagement du territoire et surtout on nous promet que ce « jeune » obtiendra de meilleurs résultats que son « vieux » prédécesseur.
Il est également difficile de considérer Daniel Ali Bandar, le ministre de l’Agriculture, comme un novice en politique alors que cela fait plusieurs années qu’il est Secrétaire général du gouvernement et qu’il a activement participé aux campagnes des dernières élections. Ils sont nombreux ainsi, ayant passé de nombreuses années à vivoter à Beit-Salam ou dans les ministères et qu’on nous présente aujourd’hui comme des « cracks » qui vont changer la manière de gouverner et apporter des résultats au-delà des nombreuses cérémonies de signatures de contrats particulièrement appréciés de Nour el Fath ou de pose de la première pierre.
Un gouvernement de techniciens
Azali Assoumani et son fils auraient aussi voulu faire un gouvernement de techniciens ou même de technocrates (le terme est péjoratif partout dans le monde, sauf aux Comores). Mais, quand on parle de technocrates, on désigne des gens hautement qualifiés, sortis de grandes écoles et qui ont fait leurs preuves dans certains domaines, notamment dans l’administration d’état ou des organisations régionales ou mondiales. Le terme pourrait à la limite s’appliquer à Oumouri Madi Hassani, l’ancien député du Hamanvou, le 11e de la liste, qui en plus est nommé dans son domaine de prédilection. Mais, chacun sait qu’il n’est pas dans ce gouvernement à cause de ses compétences en informatique, mais uniquement parce qu’il est une prise de guerre, débauché chez Mouigni Baraka dont il a été pendant longtemps un fidèle partisan. C’était le temps où il jurait qu’il ne pourrait jamais trahir Mouigni Baraka qui l’a introduit en politique et a fait ce qu’il était devenu. Comme d’autres, il n’a pas su résister aux sollicitations de la dictature.
Ce gouvernement compte deux femmes, au lieu d’une dans le précédent. Le compte n’y est toujours pas, car ce sont deux femmes sur seize ministres, si l’on compte le chargé de la Défense. Ce qui est nouveau et intéressant, c’est la place protocolaire de l’une d’elles, Inayati Sidi, en troisième position. Il s’agit de la coordonnatrice du parti présidentiel dans la ville d’Ouani, à Anjouan. Elle est à la tête d’un ministère fourre-tout et dont on ne perçoit pas pour le moment la logique : Jeunesse, Emploi, Travail, Sports, Arts et Culture.
La deuxième femme, Fatima Ahamada, 10e de la liste, occupe aussi un ministère dont les attributions paraissent n’avoir aucune correspondance : Promotion du genre, Solidarité et Information. Et l’on apprend que c’est ancienne monteuse vidéo puis présentatrice à la télévision nationale. C’est peut-être pour cela qu’elle a aussi été nommée porte-parole du gouvernement.
Ce gouvernement est bien une plaisanterie, une grande plaisanterie. Mais, le chef de l’État n’a pas pu pousser la plaisanterie jusqu’à nommer un ami du fils ni à l’Intérieur ni à la Défense. Les titulaires de ces postes stratégiques qui servent depuis 2018 à réprimer et à torturer dans les camps militaires, parfois jusqu’à la mort restent en place : Fakri Mradabi à l’Intérieur et Youssouf Mohamed Belou à la Défense. Ce dernier a retrouvé en plus le Cabinet du chef de l’État. Pour les autres postes ministériels, Azali est prêt à donner satisfaction aux caprices de son fils, mais par sur la sécurité de l’État.
On peut se permettre de douter de la capacité de cette équipe à relever un pays en crise économique et politique, divisé, surtout après les nombreuses fraudes constatées lors des dernières élections. Tous ces « jeunes » ont participé à la campagne de ces fraudes. Le fils du chef de l’État, Nour el Fath, lui-même, a été enregistré le 14 janvier en train de donner les instructions à ses « jeunes » pour ne pas attendre midi pour commencer les bourrages d’urnes.
Ces « jeunes » ne sont sans doute pas ceux qui vont amorcer un changement dans la manière de gouvernement, ils se sont placés sur le sillage de ceux qui les ont précédés. Il n’y a pas de meilleure façon pour Azali Assoumani de montrer la continuité de sa politique après la nomination de ces « jeunes » que ce conseil des ministres et cette première photo du gouvernement réunissant les anciens et les nouveaux ministres. Une première. Comme la conférence de presse de l’ancien porte-parole en compagnie de la nouvelle. Le flambeau est transmis, mais les anciens ne sont pas loin, prêts à le reprendre.