Moroni, la capitale des Comores, est un territoire qui concentre une part considérable de la population. Pourtant, ni la démographie galopante ni la dégradation de l’habitat ne préoccupent les pouvoirs publics, alors que ces facteurs sont révélateurs des inégalités que favorise l’étalement urbain ces dernières années.
Par Nezif-Hadji Ibrahim
Moroni subit depuis plusieurs décennies l’exode rural et insulaire. Parce que la capitale concentre les services administratifs de l’État, les sièges des institutions internationales et régionales, elle attire les personnes actives du pays. Cela fait de Moroni un pôle économique, mais surtout un espace politique autonome.
Ni Moroniens, ni citadins, pourtant résident de la capitale
Cette population active présente dans la capitale favorise un circuit économique dynamique dû à la métropolisation. Autrement dit, cette population est actrice dans la politique économique de la ville. Elle doit naturellement être associée à la gouvernance de la ville-métropole.
La capitale draine les populations des villes et villages de tout le territoire des Comores, de par les opportunités qui s’y déploient et les besoins en termes de services. Cependant, à Moroni comme dans beaucoup de localités des Comores, être reconnu comme habitant avec les droits et devoirs qui s’y attachent est un processus complexe. Ce qui n’est pas commode à l’heure de la mondialisation, et surtout de la métropolisation. Pour Salec Halidi Abderemane, doctorant en sociologie urbaine à l’Université de Bordeaux, ce problème s’explique par le fait que la ville est devenue un territoire et non un lieu. « Car le territoire signifie un espace enclos dans lequel le plus souvent s’exprime une revendication identitaire, sociale et politico-ethnique. Ces revendications déclenchent une exclusion de tous ceux qui sont perçus comme étrangers ». Cela exclut les « étrangers » de la gouvernance de la ville et favorise la bidonvilisation de l’espace.
La ville est l’objet d’enjeux, de stratégies, de luttes, d’expériences de pouvoirs, toute personne vivant dans l’espace géométré de la ville et exerçant une activité quelconque engendrant un revenu doit automatiquement bénéficier du droit à la ville. Ce qui n’est pas le cas à Moroni, d’où son panorama se composant de quartiers bidonvillisés : Madjadjou, Ribatu, Djomani, Caltex, Mdjivurizé, Ndridini, Câble de Lyon, Zilmadju, Hamramba, Mbweni, Dawedju, Dashe, Buzini, Cambodge, Maanhadi, Porini, Sahara, Garaji Mrikau, Kavoukaïvo.
Précarité et difficultés à la résidence
Comme dans tout territoire, l’accès aux ressources détermine le rapport de force qui y existe et distribue les influences et les poids pour distinguer les catégories de personnes. À Moroni, comme ailleurs, la ressource qui marque les relations des habitants est le foncier. Cette ressource naturelle est la plus souvent nommée la propriété du foncier. Elle s’hérite, s’achète et se loue. Lorsqu’elle est mise en valeur, elle produit une rente. Celui qui la détient et la met en valeur est un acteur influant selon la législation en cours dans la gouvernance de la ville-métropole. À Moroni, cette ressource est détenue en grande partie par des individus, des Moroniens de souche et une petite partie par une institution publique.
Pour Salec Halidi Abderemane, le foncier dans la capitale et métropole ne découle pas « d’une défaillance dans la législation, mais plutôt d’une absence de législation dans plusieurs espaces de la ville métropole ». Et il poursuit : « À Moroni, par faute de lois qui encadrent les locations, les populations « étrangères », privées d’urbanité, louant les terrains des « Moroniens » peuvent être invitées à quitter les lieux sans préavis ; d’où les cabanes mal arrangées, facilement démontables. Le droit à la ville, n’est pas seulement un droit d’habitation, ici mis en cause au regard des conditions de vie, c’est tout aussi un droit d’usage. Les « étrangers » à Moroni sont privés de certains usages, par exemple le droit d’organiser des mariages sur les places publiques de Moroni intra-muros, ou le droit de se présenter à des élections municipales, c’est-à-dire devenir maire de la ville.
Moroni, une capitale pour tous ?
Ce qui est le plus remarquable c’est la situation de cette population issue de l’exode rural intra et extra-insulaire, renvoyée dans cette périphérie sans infrastructures urbaines de base (eau, électricité, voiries, assainissement). Cette catégorie de personnes est composée dans sa majorité de vendeurs des deux marchés importants de Moroni, de commerçants, de chauffeurs de taxi. Elle est une véritable ressource en termes économiques, cependant elle est considérée par les autorités publiques comme relevant de « l’informel », alors qu’elle paie des taxes journalières, mensuelles et annuelles. En un mot, elle entretient la métropolisation voire l’attractivité sociale, économique et politique de la ville sans bénéficier d’aucune loi, d’aucun droit, sauf le droit d’aller voter une personne qui ne le représentera pas.
Dans la capitale des Comores, la reconnaissance de la résidence, juridiquement parlant, s’avère difficile. Pour Salec Halidi Abderemane, le refus de reconnaître le principe de résidence, qui placerait chaque habitant de la capitale sur le même pied d’égalité, en droit et en devoir, est lié à « une appropriation de la ville par un groupe, « Moroniens de souche », qui se réclame d’une Moroni originelle ».
La Constitution désigne Moroni comme la capitale des Comores, elle en fait aussi le chef-lieu des décisions politiques de l’île de Ngazidja. Ces deux statuts font théoriquement de la ville une métropole. Pourtant beaucoup de ceux que l’exode rural et insulaire a amenés dans la ville évoluent dans l’informel en raison des activités auxquelles ils s’adonnent. Leurs activités, bien que sources de revenus ne leur permettent pas de devenir pleinement citoyens de la ville.