L’Ambassadeur Hamada hué
Bressuire est une petite ville de l’ouest de la France, quasiment à équidistance entre Nantes et Poitiers. Elle compte environ 20.000 habitants, dont de nombreux Comoriens. C’est dans cette commune de la France profonde que vendredi 8 juillet, cinq Comoriens sont morts brûlés dans l’incendie de l’immeuble où ils vivaient. L’incendie s’est déclaré vers 4 heures du matin, soit vers 5 heures aux Comores.
Par MiB
Saïd Larifou au chevet des Comoriens de Bressuire
L’immeuble avait quatre appartements, y compris les combles aménagés, tous occupés par des Comoriens. La nouvelle de ce drame a bouleversé la communauté comorienne de Bressuire et toute la diaspora.
Le feu a été maitrisé par les pompiers dans la matinée. Vers 15 heures, Saïd Larifou, le président du parti RIDJA, en exil en France, est dans le train en direction de Bressuire et il poste sur son mur Facebook un message : « je suis dans le TGV en direction de Bressuire pour exprimer ma solidarité et mon soutien à nos compatriotes victimes d’un incendie meurtrier ».
Interrogé par Masiwa, l’homme politique explique simplement l’objectif de sa présence à Bressuire dès le jour du drame : « Je suis venu pour aider nos compatriotes ». Concrètement, il assiste les familles dans leurs dépositions à la gendarmerie et dans le travail d’identification des corps. Il les aide également à entamer des démarches pour que des familles puissent venir pour assister aux opérations à l’identification des corps.
Réaction du gouvernement
Son post sur Facebook semble avoir provoqué un électro-choc au sein des services de l’État. Geste rare pour être souligné, l’ambassade des Comores à Paris publie un communiqué dans lequel elle présente ses condoléances et donne des éléments sur les victimes. Il s’agit « d’une femme et son enfant originaire du village de Héroumbili-Hamahamet, 3 hommes respectivement des villages de Bandadaweni-Domba, Ouzio-Mitsamihuli, Ivoini-Mitsamihuli. », affirme le communiqué. Saïd Larifou a réagi contre le fait de donner ces informations maintenant, alors que l’enquête débute à peine. « Il est impensable, voire irresponsable, de donner des informations sur l’identité des victimes alors qu’aucune identification n’a été faite officiellement par les autorités chargées de l’enquête judiciaire ».
La présidence des Comores a également publié un communiqué par lequel le chef de l’État présente ses condoléances aux familles. Le ministère des Affaires étrangères s’est contenté de reprendre le communiqué de la présidence.
Le gouvernement cherchait sans doute à ne pas laisser le terrain libre à l’opposant Saïd Larifou. Mais, ce dernier avait de l’avance. Il affirme être venu en tant que responsable politique, mais aussi en tant que responsable de l’ONG Waraba d’Afrique pour apporter son soutien « aux familles des victimes et à la communauté comorienne de Bressuire. » Dès son arrivée sur place, il a pris contact avec les enquêteurs. Il note les « les efforts déployés par les autorités municipales et la préfecture pour le relogement des familles demeurant dans l’immeuble ».
L’Ambassadeur Hamadi hué
L’Ambassadeur des Comores à Paris, Ahamada Hamadi, a décidé de ne pas laisser le terrain au seul Saïd Larifou. Une fois n’est pas coutume, il avait décidé que l’État devait être présent lors de ce moment de deuil dans la diaspora. Pour Mouigni Abdou, le Conseiller politique chargé des Affaires consulaires à l’ambassade des Comores, qui faisait partie de la délégation, il s’agissait d’aller « s’informer sur place, de rassurer la communauté et présenter les condoléances du chef de l’État ». L’Ambassadeur et ses collaborateurs arrivent sur place vers 11 heures 30. Ils sont accueillis à la mairie par la préfète, Emmanuelle Dubée, par la maire de la ville, Emmanuelle Ménard et par le colonel de la gendarmerie des Deux-Sèvres. L’Ambassadeur et sa délégation ont décidé d’accompagner ces autorités pour aller sur le lieu de l’incendie, à pied. Mais, les Comoriens de la ville ne l’entendent pas de cette oreille et l’Ambassadeur est hué tout le long du trajet. L’Ambassadeur reste imperturbable. Il a mesuré la gravité de la situation (le deuil) et le nombre de personnes hostiles à sa venue dans la ville. À Bressuire comme à Paris, les opposants sont en force. Les membres des familles des victimes ne réussissent pas à stopper ni le téléphone qui enregistre la scène ni les « Non à la dictature ». On les entend demander que la manifestation se fasse après le deuil.
Pour Mouigni Abdou, l’instigateur de cette manifestation contre l’Ambassadeur et contre le gouvernement comorien est tout désigné : Saïd Larifou. « Ces quelques individus préparés et encadrés par maître Larifou qui était avec eux ont par leurs huées craché sur la mémoire des victimes. Ils ont souillé le deuil des familles. Dans une tragédie la politique n’a pas sa place ».
Pourtant, Saïd Larifou affirme que « la présence des autorités comoriennes à Bressuire est une démarche salutaire et normale, car il s’agit d’un événement qui endeuille tous les Comoriens ». Il ajoute : « Par respect à nos morts , je n’entends pas répondre à la polémique stérile provoquée par les circonstances et les raisons de la colère des Comoriens à l’endroit de la délégation des autorités comoriennes. »
La scène rappelle une autre scène qui avait lieu à Mbeni lors de l’enterrement de l’ancien ministre Mohamed Nassur, le 28 septembre 2020. Ce jour-là, le chef de l’État, Azali Assoumani, avait tenu à diriger la prière et la quasi-totalité de la ville ne souhaitait pas sa venue. Il avait été sérieusement chahuté jusqu’à son départ de la ville.
Enquêtes ouvertes
À Bressuire, l’Ambassadeur avait même prévu une rencontre avec la diaspora. Mais, la virulence des Comoriens à l’égard du régime de Moroni a contraint la préfète à l’annuler.
La délégation de l’ambassade des Comores, comme Saïd Larifou, sont d’accord au moins sur une chose : le gouvernement français met tous les moyens pour récupérer les corps, puis les identifier.
L’enquête porte également sur l’incendie et sur l’insalubrité supposée du logement. Sur le début de l’incendie, il est pour le moment impossible de savoir s’il s’agit d’un acte criminel ou d’un accident. Les gendarmes y travaillent.
Quant à l’insalubrité du bâtiment, plusieurs témoins l’indiquent. La maire de la ville affirme que les logements n’ont jamais été signalés comme insalubres. Mais, des témoins sont catégoriques : des fils électriques trainaient à même le sol et l’ancienne équipe de la mairie avait été saisie dans ce sens, sans agir.
Au-delà du deuil, le drame de Bressuire vient montrer que la « guerre » entre la diaspora et le gouvernement est encore loin de s’apaiser. Même lorsqu’il y a des morts et que l’ambassadeur veut présenter les condoléances du gouvernement, les Comoriens de l’extérieur les refusent. Et il s’agit ici d’une petite ville de la France profonde. Alors que le mouvement contre le gouvernement est plus développé dans les grandes villes en France, à Paris, à Marseille et à Lyon.