L’insécurité publique dans la société comorienne
Les actes criminels se sont intensifiés depuis quelques années aux Comores. Entre les viols, les meurtres, les assassinats, le pays est confronté à des faits d’insécurité.
Ce 9 septembre 2021, un homme a été découvert égorgé sur son lieu de travail à Domoni, sur l’île de Ndzuani. Le 27 juin 2022, les Comores se réveillent avec une nouvelle macabre. La femme de l’opérateur économique Abdoulghafar Manfou Kassim, Sitty Hafsoit a été tuée par coups de couteaux au cours d’un cambriolage qui a mal tourné.
À Moroni, le 16 juin, les autorités annoncent l’arrestation de 12 suspects dans l’affaire des coupeurs de routes. Quelques jours plus tard, l’ancien journaliste Ali Oubeidillah dit Yazid, accompagné de sa femme, est victime de ce phénomène sur la route de Nyumadzaha. Ces actes sont les symptômes d’un pays en pleine crise sécuritaire. Pourtant le gouvernement, au premier plan duquel Azali Assoumani ne cesse de répéter dès que l’occasion se présente que « la plus grande richesse » de notre pays c’est la paix.
Un ordre social nouveau prévaut
Surtout observé à Mayotte, le phénomène des coupeurs de routes apparait à Ngazidja. L’opération consiste pour les délinquants à stopper des véhicules pour soutirer de l’argent aux passagers sous la menace d’armes blanches. C’est ce qui est arrivé au chauffeur Ali Youssouf, originaire de Mvouni Bambao. Au micro de la RCM 13, il raconte qu’après avoir raccompagné son client à Moroni, il est surpris par la présence d’un barrage sur la route. Il s’arrête, des individus en cagoule se rapprochent du véhicule avec des armes blanches. Avec un ton menaçant, ils ont demandé de l’argent en échange de sa vie et de l’intégrité du véhicule. Après des hésitations de sa part, les brigands ont pu lui prendre son argent. Sauf qu’au moment de laisser partir le chauffeur avec sa cliente, ils ont brisé les vitres. il est allé à la gendarmerie pour expliquer ce qui lui était arrivé et la situation sur la route de Zilimadju. Sur les lieux, les hommes en treillis ont trouvé une femme retenue prisonnière, toujours selon Ali Youssouf, et ils ont permis de la libérer sans arriver à attraper un des coupeurs.
Ali Youssouf a rappelé qu’au début du mois de juin, un de ses confrères, victime des coupeurs de routes, avait été tabassé.
Dans la soirée du 25 juin, Ali Oubeidillah Yazid a vécu lui aussi le même scénario alors qu’il rentrait d’une soirée avec sa femme. Cette fois l’un des malfrats avait « le visage découvert ». Il a raconté les faits sur son compte Facebook. Il affirme avoir vécu un « choc » qui a traumatisé sa femme.
Le gouvernement a été surpris par les évènements
Gouverner c’est prévoir, pourtant les autorités ne semblent pas prendre en compte ce principe vieux de plusieurs siècles. Répétant à tue-tête que la plus grande richesse des Comores c’est la paix, le gouvernement Azali n’est pas encore en phase avec la réalité. Pour Ali Oubeidillah, il est évident que les autorités de l’État portent une responsabilité dans l’insécurité grandissante dans le pays. Bien des raisons peuvent expliquer cela, « d’abord il faut rappeler que bon nombre de jeunes comoriens sont délaissés et souvent ce sont ces concitoyens qui deviennent des délinquants. Ensuite, bien que je ne pense pas que c’est une cause majeure, il y a l’abus de stupéfiants, la grande majorité de ces jeunes ne font cela que pour pouvoir s’en procurer. On peut aussi citer le manque de sécurité et de surveillance sur l’ensemble du territoire. Si tout cela peut être considéré comme les principales causes alors il faut rappeler que le seul responsable c’est l’appareil étatique. »
La misère sociale grandissant devait avertir les autorités sur les agissements que connaît le pays actuellement.
La terreur s’installe
Que ce soit à Moroni ou à Mutsamudu, la peur s’installe. À Moroni rouler la nuit est une prise de risques tandis qu’à Mutsamudu le maire vient d’interdire l’organisation de Tari à 20 heures, même si la décision en question est juridiquement sans force exécutoire. L’autorité municipale devait réagir sauf qu’ici il est question de l’exercice de libertés publiques de ses administrés. Pour changer leur ordonnancement, un acte légal est nécessaire.
Personne ne peut pas nier qu’un climat de peur balaie les rues du chef-lieu de Ndzuani. « Depuis le matin du lundi 27 juin, c’est un vent de peur qui souffle à Mutsamudu. Cette histoire est dans toutes les bouches. En ce qui me concerne, je ne dors plus sans avoir vérifié si les portes de la maison sont bien fermées. La terreur gagne les citadins de ne plus se savoir en sécurité chez eux », témoigne Dhoulkarnaine Youssouf, journaliste à l’ORTC et originaire de la ville.
Un État défaillant
Globalement la situation sécuritaire du pays s’est nettement détériorée. Les faits criminels se succèdent de façon récurrente. Dans un communiqué publié le lendemain de la nuit du cambriolage qui a mené au décès de Sitty Hafsoit Dhoiffir à Mutsamudu, le mouvement Daula Ya Haki « constate une recrudescence de la violence qui résulte d’une justice vidée de sa rigueur par l’exécutif, permettant ainsi à la délinquance et aux bandits de gagner en confiance ». Cette complaisance de l’État explique une négligence dans sa mission de protéger la population et ses biens en mettant en œuvre, par les moyens que le peuple lui a conférés, des politiques publiques dont l’objectif est de prévenir tout acte jugé nuisible vis-à-vis de la tranquillité publique.
Dans une autre mesure, on ne peut pas omettre le fait que ces jeunes criminels sont la conséquence de la gestion de l’État. Comme l’a relevé l’ancien journaliste Ali Oubeidillah Yazid, ces jeunes ont été « délaissés » alors que le pays connait le diktat qu’impose la société de consommation. L’argent est maître. À Moroni comme à Mutsamudu, ce sont des jeunes entre 19 et 35 ans qui sont arrêtés par la gendarmerie et dans les deux cas ce sont des motifs pécuniaires qui les ont guidés.
Il apparait comme une évidence que les valeurs véhiculées à travers le shungu ou les hirimu ne sont plus suffisantes pour garder les liens sociaux. La société de consommation favorise l’individualisation.
Des valeurs qui s’effondrent
Il n’y a pas longtemps la société comorienne se vantait de la solidarité qui liait les habitants des villes et villages. Le partage ou la peur de décevoir les membres du groupe social pesait sur chaque individu. Ce communautarisme n’est plus aussi décisif qu’avant. Peut-être que le pouvoir traditionnel tente tant bien que mal de garder le statu quo, seulement les évènements le rattrapent.
Certes le pays a toujours connu des crimes dont certains étaient couverts par le principe traditionnel du sitara, mais de nos jours les réalités sont autres.
« Pour ce qui est de nos valeurs comoriennes, il est sans nul doute que nous avons perdu cette richesse. Nous étions connus comme un pays de paix, une paix qui n’existe plus de nos jours. », explique Ali Oubeidillah. Il rajoute que « nous avons perdu toute valeur, toute tradition. Quand un homme est capable de tuer pour l’argent, cela ne nous ressemble pas du tout. Quand deux hommes, sans juger leur orientation sexuelle, osent filmer leurs ébats sexuels, ça nous pousse à nous poser beaucoup de questions et j’en passe. Seulement je me demande à qui incombe la responsabilité de tout cela. L’appareil étatique (politique) seul ? Les ulemas ? Les notables ? Les parents ? Où se situe la responsabilité de chacun ? »