Les gendarmes du Peleton d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (PIGN) sont venus déposer à Vouvouni, dimanche 26 février, le corps enveloppé dans un drap et des sacs plastiques d’Aymane Nourdine, mort après des heures de tortures au camp militaire de Mdé, au sud de Moroni. Cette scène a rappelé aux Comoriens la période sombre des mercenaires d’Ahmed Abdallah qui avaient l’habitude de rapporter les corps des jeunes morts pendant les « interrogatoires » à leurs familles dans un sac plastique.
Par MiB
Aymane Nourdine avait 24 ans. Il laisse une femme et deux enfants. Soupçonné d’avoir fait partie d’une bande qui aurait volé 2 kg d’or à une femme, il a été interpellé par le tristement célèbre PIGN dans un véhicule le dimanche 26 février. Son corps est ramené par les mêmes militaires dans son village dans la nuit et a été enterré le matin. Entre-temps, il est passé à la Santé Militaire, sans doute pour constater sa mort.
Un corps mutilé
Les militaires ont affirmé à la famille que le jeune homme avait eu un malaise pendant les interrogatoires. Les photos du corps fournies par les gens de la ville au journaliste Oubeidillah Mchangama ne laissent aucun doute sur les tortures subies par Aymane Nourdine et sur la cause de sa mort. Les militaires ont été si surpris par la publication de ces photos qu’ils ont envisagé d’arrêter le journaliste, avant de se raviser.
Les stigmates que porte le corps du jeune Ayman Nourdine nous parlent. Et il faut les écouter pour percevoir la singularité de sa souffrance et ne pas la ranger parmi les tortures commises par l’armée depuis l’existence de l’État comorien ou sous la colonisation. Pour ne pas banaliser ce nouveau crime de l’Armée Nationale de Développement et en faire un fait divers, une bavure de plus, un accident causé par la société.
Il faut imaginer les heures de souffrance pendant lesquelles des hommes en treillis, tels des esclavagistes des temps modernes ont frappé et frappé avec leurs gros ceinturons incrustés de fer le dos, les bras, les jambes et la tête d’Aymane et l’ont lacéré de partout faisant ressortir la chair rouge sur divers endroits de sa peau déchirée. Il faut imaginer le sadisme particulier qui a permis à ces militaires de faire de s’amuser pendant des heures à faire surgir le sang de partout sur le corps de ce jeune homme, jusque sous les ongles. Il faut imaginer les coups qui lui ont été fatals, des coups sur la tête et qui ont probablement provoqué un traumatisme crânien. D’où le sang qui sort par les oreilles.
Comment des hommes censés avoir appris à protéger les citoyens ont-ils pu faire autant de dégâts sur un corps en à peine une journée ? C’est une des questions que les Comoriens de bonne foi devront se poser après la disparition de la dictature qui règne actuellement à Moroni.
La défense du régime
À quel moment de son calvaire a-t-il eu la permission d’appeler quelqu’un ? Est-ce que les gendarmes qui le torturaient lui ont donné un téléphone pour exaucer sa dernière volonté avant de se laisser aller au repos éternel ? Est-ce que les médecins de la Santé Militaire constatant qu’ils ne pouvaient plus rien pour lui ont accédé à sa volonté de faire un dernier appel ? Ce ne sont que des hypothèses pour essayer de comprendre ce témoignage livré par un de ses amis à Oubeidillah Mchangama. Aymane Nourdine l’aurait appelé, mourant, et l’aurait supplié de l’aider à réciter sa dernière prière (la shahada).
Mais, pour les tenants du régime, ceux qui deviennent de plus en plus les idéologues du régime, pour qui, il faut protéger le système et surtout celui qui est au sommet de ce système, il s’agit uniquement d’une bavure, une déviance dont seuls sont responsables les gendarmes qui ont donné les coups.
Pour l’ancien imam Mohamed Kassim Badjrafele (ou Bajrafil), nommé Ambassadeur de l’UNESCO l’année dernière, et qui considère le chef d’état-major, le Général Youssouf Idjihadi comme son oncle, cet assassinat n’est que le reflet d’une violence qui monte de plus en plus dans la société et non un crime qu’on peut relier à l’armée ou à l’État. Pour Ahmed-Hachim Saïd Hassane, fils de l’ancien ministre et opposant du colonel Azali, qui a décidé, depuis peu, de rejoindre le camp gouvernemental, le chef de l’État n’est en rien responsable de ce crime et n’avait aucun intérêt à cet assassinat. L’ancien Rédacteur en Chef de l’ORTC, aujourd’hui Correspondant Francophonie aux Affaires étrangères, Abdoulatuf Bacar, affirme quant à lui que « les enjeux sont doubles » : « ne jamais donner raison aux délinquants » et « dire stop aux violences policières » et lorsqu’un internaute l’interroge sur ce terme de « délinquants » alors qu’Aymane Nourdine n’a pas été jugé, il affirme qu’il a été « accusé de vol ».
Un crime systémique
Ce crime est donc banalisé et réduit en un fait divers par les partisans du régime autocratique à Moroni. Pourtant, le caractère systémique des tortures a été évoqué à plusieurs reprises par les journalistes, et particulièrement ceux de Masiwa. Il a surtout été décrit dans un rapport de l’ONU (mars 2020), suite à la visite aux Comores de Nils Melzer, Rapporteur Spécial sur les Tortures du 12 au 15 juin 2019. Le fonctionnaire de l’ONU a rapporté que les prisonniers, particulièrement les prisonniers politiques, sont systématiquement torturés au cours des interrogatoires. Le rapport du Département d’État américain (2021) reprend les mêmes conclusions.
La mort d’Aymane n’est donc pas un hasard, il a été tué par un système dictatorial qui a donné carte blanche à l’armée pour pratiquer la torture afin d’obtenir des informations rapidement, qu’elles soient politiques ou banales. Les policiers, les gendarmes et les soldats savent que, quel que soit le crime qu’ils peuvent commettre, ils ne seront jamais jugés. Le système autocratique les protège. Les exemples sont légion : Ahamada Gazon abattu à Iconi d’une balle tirée par un militaire, le commandant Faissoil Abdoussalam, le gendarme Nacer Abdourazak et un civil, Salim Nassor, ont été tués au camp militaire de Kandani au cours d’une fusillade, le major Hakim Bapale tué après avoir été longuement torturé et enterré à la hâte sans lavement et sans prières, de nombreux corps retrouvés à la Grande-Comore et à Anjouan… Le point commun de tous ces morts, c’est qu’il n’y a jamais eu d’enquêtes ni de condamnations. Et l’on ne parle presque jamais de ceux qui sont sortis de ces tortures estropiés physiquement ou mentalement. Le pouvoir exécutif a toujours couvert. Pourtant, pour chaque cas, le gouvernement et à sa suite la présidente de la Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés, Sittou Raghadat Mohamed, annoncent une enquête pour calmer les esprits.
Plusieurs enquêtes seraient ouvertes
Le 2 mars lors d’une conférence de presse sur la présidence de l’Union africaine, le ministre de la Justice, Djaé Ahamada a annoncé laconiquement l’ouverture de trois enquêtes : sur le vol de l’or, sur la mort d’Aymane Nordine qu’il a désigné à plusieurs reprises comme « mwana wahatru » (« notre enfant ») et enfin une enquête de commandement pour déterminer les responsabilités au sein de l’armée. Le porte-parole du gouvernement, Houmed Msaidié, qui avait annoncé l’ouverture d’une enquête après l’assassinat de du major Hakim Bapale a préféré se taire cette fois. Par contre, le chargé de la Défense, Youssoufa Mohamed Ali (Belou) qui avait affirmé que la mort de Bapale était due à un malaise a affirmé cette fois que certains militaires étaient déjà en prison et que l’enquête sera bouclée le 10 mars et les résultats rendus publics.
Suite à cette conférence, la présidente de la CNDHL a annoncé dans un communiqué daté du 3 mars, mais rendu public le 4 qu’avant de se prononcer sur le meurtre d’Aymane Nourdine, elle allait mener une enquête. Il est à noter qu’après la mort du major Bapale, elle avait dit la même chose et jusqu’aujourd’hui, la CNDHL n’a toujours pas dénoncé ce meurtre.
Il est difficile de ne pas dire que l’État, que le chef de l’État, président en exercice de l’Union Africaine, que le gouvernement, que l’armée et la Justice ne sont pas responsables de la torture dans un camp militaire d’un jeune homme de 24 ans et de sa mort suite à ces violentes tortures. Le caractère systémique des tortures et l’inaction ou plutôt le blocage de toute enquête et le maintien dans l’armée des tortionnaires est d’abord de la responsabilité du chef de l’État, ancien militaire, conscient qu’il ne doit son maintien au pouvoir qu’au soutien de l’armée qui depuis 2018 réprime les manifestations et couvre les fraudes électorales au vu et au su de tous.