Par Mib
Depuis mercredi 12 octobre 2022, l’AND mène plusieurs opérations dans la ville de Mbeni, connue pour son opposition au gouvernement d’Azali Assoumani. La raison avancée est le fait que les habitants ont voulu célébrer un maulida à 15 heures au lieu de 19 heures comme le préconise un arrêté gouvernemental. Plus cette opération dure et plus la volonté de vengeance contre la population apparait : l’armée agit comme ferait une armée étrangère en guerre.
Dimanche 16 octobre, les opérations de l’Armée nationale de Développement (AND) n’ont toujours pas pris fin dans la ville de Mbéni, au nord-est de la Grande-Comore. Cette fois les militaires ont pénétré dans la forêt régionale et les environs de la ville à la recherche des habitants, notamment les jeunes qui ont fui les exactions de l’armée qui durent maintenant depuis cinq jours.
Un maulida l’après-midi
Dans l’après-midi du 12 octobre, l’AND a reçu l’ordre d’intervenir dans la ville pour interrompre une cérémonie religieuse de maulida qui devait avoir lieu l’après-midi, comme chaque année, alors qu’un arrêté du gouvernement datant de deux semaines interdisait ce genre de prière, en ce mois de naissance du prophète, avant 19 heures. Le Procureur Djounaid a expliqué aux journalistes que l’arrêté signé par le ministre des Finances Mze Abdou Mohamed Chanfiou, lui-même originaire de Mbeni (en l’absence du ministre de la Justice) n’a pas été respecté par la ville. Il a laissé entendre qu’il s’agit d’un défi lancé aux autorités et que cela justifiait l’intervention de l’armée pour stopper ces prières. Dans son intervention, il s’est contenté de dire que les militaires ont lancé des grenades lacrymogènes pour disperser la foule, et a sciemment omis de dire que l’armée a aussi fait usage d’armes létales usant même de balles réelles, comme l’ont confirmé des professionnels de la Santé qui se sont occupés des blessés à l’hôpital de Mbeni. Cela vaut d’ailleurs à certains à trois d’entre eux d’être enfermés à la Brigade de Recherche. Tous les blessés graves actuellement à l’hôpital (environ 25 personnes) ont été atteints par des balles. Dès mercredi, des vidéos montraient des balles réelles incrustées dans les murs intérieurs des maisons et des douilles sur les lits. Les douilles étaient dispersées partout, et même les enfants en conservent, « pour l’histoire », dit une adolescente dans les rues de Mbeni.
Des blessés à balles réelles
D’après, les dires du porte-parole du gouvernement, Houmed Msaidié, les militaires n’ont tiré sur les jeunes qu’avec des balles à blanc et une fois qu’ils n’avaient plus de grenades lacrymogènes et seulement dans l’intention de se dégager et pouvoir quitter la ville. Seulement, après le départ de l’armée, les jeunes ont évacué les nombreux blessés par balles à l’hôpital de Mbeni et ensuite ont décidé de régler leurs comptes avec les partisans du gouvernement dans la ville. Ils ont donc mis le feu à des voitures, des magasins et des maisons, notamment celle du ministre Mze Abdou Mohamed Chanfiou.
Pendant toute la journée de jeudi, la ville a subi un blocus pendant lequel aucun véhicule ne pouvait entrer ou sortir, sauf les véhicules de secours qui transportaient ceux qui avaient été blessés la veille par les tirs des soldats. Même les journalistes avaient interdiction d’y entrer. Pourtant, dans les réseaux sociaux circulaient depuis le 12 octobre des vidéos des dégâts causés par l’intervention de l’armée.
Après le blocus, l’assaut
Le temps de faire converger les effectifs nécessaires, l’armée a donc donné l’assaut. Très tôt dans la matinée, plusieurs colonnes de soldats ont traversé la ville de Mbeni, vendredi 14 octobre, jour de prière et de recueillement.
Pour avoir une idée de ce qui s’est passé lors de cette intervention, il n’y a que quelques vidéos postés par des habitants apeurés derrière leurs fenêtres. Elles montrent surtout les dégâts commis par les soldats. La ville est devenue comme un champ de bataille sur lequel une armée étrangère aurait décidé de mener une vaste opération de représailles contre des civils. Les soldats de la bien nommée Armée nationale de Développement ont tout cassé sur leur passage : les vitres des fenêtres, les voitures sur leur passage, les meubles à l’intérieur des maisons, du moins celles qui n’avaient pas encore subi ces dégradations lors de la première descente de l’armée deux jours auparavant.
L’une des vidéos montre le Cybercafé de Mohamed Bastoi entièrement détruit. Tout le matériel est cassé, les appareils des clients, téléphones et ordinateurs gisent par terre, même le réfrigérateur a été saccagé et les boissons prises.
Les soldats ont forcé les portes, sont entrés dans les maisons, ont interrogé et ont amené plusieurs jeunes, plusieurs femmes et même de vieux notables et de vieilles qu’ils ont jetés comme du bétail dans leurs pick-up. Plusieurs d’entre eux ont été conduits dans le tristement célèbre camp militaire de Mdé où plusieurs civils ont par le passé été torturés dans des interrogatoires musclés. Des méthodes d’interrogatoires pratiquées dans les camps militaires ou dans les gendarmeries qui ont déjà été dénoncées dans un rapport de l’ONU en mars 2020 (Lire : « L’ONU dénonce la pratique de la torture aux Comores », Masiwa n°309, 23 mars 2020). Dans la journée, sur ordre du gouvernement, les adolescentes, les jeunes femmes et les grands-mères ont été relâchées. Comme tous les autres, elles ont été arrêtées sans base juridique précise, mais le Procureur espère qu’après des aveux qui ne peuvent s’obtenir que par la force, les mauvais traitements et les téléphones portables, il aura des noms sur ceux qui ont commis des destructions.
Une justice aux ordres
Quand, la veille de la deuxième intervention, le Procureur Djounaid a lu le papier qu’on pouvait deviner rédigé en haut lieu, il affirmait que tous ceux qui avaient commis des actes illégaux allaient être arrêtés, on pouvait se demander ce qu’il voulait dire par le cas « sera traité par une sévérité particulière » (sic). En réalité, le gouvernement annonçait par l’intermédiaire du Procureur que rien n’allait se faire normalement, qu’aucune procédure judiciaire ne serait respectée pendant les arrestations et les interrogatoires et que cela prendrait la forme d’une expédition punitive contre toute la ville de Mbeni, rebelle au pouvoir autocratique installé par Azali Assoumani depuis 2018.
Ce n’est pas la première fois que la Justice sert d’alibi à des expéditions punitives décidées par le gouvernement et exécutées par l’Armée. Dans un tel cas, normalement, le Procureur fournit aux forces de l’ordre une liste des noms de gens visés par la Justice et que les militaires vont chercher. Mais, comme d’habitude, le gouvernement et les juges ont laissé les soldats se débrouiller sur le terrain. Comme cela s’est passé à plusieurs reprises dans d’autres villes, et récemment à Sangani ou à Ndzaudze, l’armée arrête des gens avec l’espoir d’en faire craquer certains par de mauvais traitements. Une méthode désormais éculée du gouvernement et de la Justice comorienne qui a définitivement perdu toute indépendance.
Une vengeance du gouvernement
Alors certes, l’article 2 de cet arrêté dit que « tout contrevenant sera puni conformément aux lois et règlements en vigueur », mais depuis quand un gouvernement responsable lance l’armée contre une Assemblée de vieux notables assis sur des chaises et qui récitent des prières ? Comment le Porte-parole du gouvernement peut dire qu’il ne s’agit pas d’un usage disproportionné de la force quand on envoie l’armée régler un conflit qui ne met nullement en danger ni les institutions de l’État ni la vie des citoyens, mais l’amour propre d’un chef d’État qui réunit tous les pouvoirs entre ses mains ? Comment on peut reprocher aux jeunes de Mbeni d’avoir lancé des pierres sur des soldats pour protéger leurs pères et leurs grands-pères ? Comment dans ce pays, on en est venu à banaliser l’utilisation d’armes à feu contre des adolescents et la mise à sac régulière des maisons de particuliers ? Comment après avoir validé de telles méthodes de la part des forces de l’ordre, on peut reprocher aux jeunes de recourir aux mêmes procédés ? Un gouvernement sûr de ces institutions n’agit pas ainsi et surtout fait en sorte que chacune de ses actions devient exemplaire pour sa jeunesse.
Mais, le gouvernement ne peut pas exercer la violence la plus extrême contre les éléments les plus fragiles de notre société (vieillards et adolescents), sans véritable justification, permettre aux forces de l’ordre de détruire ou se s’emparer des biens d’autrui et quand la population réagit également par la violence, envoyer le ministre de l’Intérieur, le chargé de la Défense et le Procureur, tous la main sur le cœur, proclamer qu’aucune violence ne peut être tolérée. Il doit assumer jusqu’au bout son rôle d’éducateur et l’avenir qu’il dessine pour cette jeunesse.