Par delà la confrontation liée à une histoire sanglante pour la maîtrise de la guidance de la Umma Islamique face à l’Arabie Saoudite qui nous restera toujours plus proche, il n’y a aucune justification diplomatique sérieuse à maintenir une hostilité avec l’Iran dont, en son temps, le bouillonnant Président Ahmedinejad avait su rendre la politesse à la visite effectuée par le Président Djohar. Même si à cet égard, il y a lieu de mieux clarifier les attentes et recadrer les axes d’une telle coopération bilatérale, avec des impacts à l’international.
Au total, la priorité consisterait en la mise en place d’une véritable démarche proactive de l’intégration sous régionale au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et de la SADC. Bien plus que tout autre regroupement d’Etats, ces deux pôles offrent des bases plus solides de notre sécurité territoriale y compris maritime et alimentaire, ainsi qu’un espace et un potentiel pour l’épanouissement de notre jeunesse tant en termes socio-économiques et commerciaux que sur les plans de l’éducation, des nouvelles technologies pour l’ouverture au monde, tout en demeurant profondément ancrée dans nos racines.
En effet, du fait de notre appartenance à la Francophonie et des actes singuliers qui impliquent notre gratitude, des pays tels que le Maroc et le Sénégal accueillent régulièrement et depuis des années, de forts contingents parmi nos étudiants. Mais, il est évident, par bon sens et réalisme au regard des maigres ressources réelles, ce qu’une famille comorienne dépense difficilement et seulement pour le voyage et l’installation dans ces deux pays, le même investissement permettrait d’assurer avec aisance, au moins 2 années de niveau master dans les pays de la sous-région. Avec en outre, la possibilité pour notre jeunesse de s’approprier deux langues internationales supplémentaires que sont le kiswahili et l’anglais.
Par contre, sans ostracisme outre mesure, il n’y a aucune urgence à prioriser une intégration dans les Accords d’Abraham qui n’ont intéressé que quelques membres de la Ligue des États Arabes. D’autant plus que l’un des moments de grande fierté du peuple comorien pour notre histoire diplomatique, ce fut lorsque le Président Ahmed Abdallah reçut officiellement Yasser Arafat, malgré la présence des mercenaires, et permit que le magnifique hymne du « Msomo wa Nyumeni » en hommage au peuple palestinien, fut chanté avec brio pour son accueil. C’est que depuis le Cheikh Abdallah Darouèche revint de St-Jean d’Acre avec les dhikrs de la Tariqat shadhuliyya, notre peuple se sent en harmonie spirituelle avec les peuples de cette région, aussi bien dans l’évocation de la chaine mystique de la branche des Al-Yachroutu que dans les empreintes liées au don de soi prodiguées par St-François d’Assises.
Autant noter que pour conférer de l’âme et des valeurs à notre diplomatie, l’indispensable œcuménisme entre les trois monothéismes pour la paix en ce monde ne saurait diluer l’attachement au respect absolu de l’Esplanade des Mosquées et à la défense d’Al-Aqsa. Indéniablement, ce troisième haut lieu de la sainteté participe de l’imaginaire populaire et constitutif de notre identité musulmane. Avec une traduction politique et sociale portée notamment par l’ancien Président de l’Assemblée Nationale, l’honorable Abdallah Halifa, malgré des élites intellectuelles parfois transculturées, confondant à dessein intérêts nationaux, business et realpolitik. Il n’empêche qu’entre autres, la diplomatie c’est la confrontation aussi pacifique que possible des identités culturelles et cultuelles pour mieux se reconnaître mutuellement, face à l’hégémonie des puissances en quête d’un monde marchand unidimensionnel.
Ainsi, à titre d’exemple, le Maroc garde bien à raison, dans l’esprit et dans sa pratique religieuse diplomatique et touristique évidemment, aussi bien son africanité que le titre royal de Commandeur des Croyants depuis la première génération d’Idriss le fondateur venu de l’Arabie à la fois conquérante et en proie aux convulsions de la succession du Prophète (SAW). Ce qui confère à ce royaume ami un rôle spécifique pour l’enseignement de l’islam en Afrique francophone et auprès de nos diasporas. Tout en prenant en compte, naturellement, la place de la forte communauté juive dans sa démarche diplomatique, au vu des empreintes vivaces et des va-et-vient récurrents notamment dans les médinas et les investissements, ainsi que la proximité géographique avec l’Europe et l’appartenance à la Méditerranée.
Le rôle de tout Etat dans le concert des nations ne consiste donc point en une sorte de mimétisme des options belliqueuses, amicales ou médiatrices de paix, mais plutôt de veiller à un environnement qui puisse être favorable à l’épanouissement de son peuple, à travers une coopération qui apporterait satisfaction aux partenaires, sans relever ni de la soumission, ni de la mendicité à l’échelle bi ou multilatérale.
Il en est ainsi à titre encore d’exemple de l’enseignement de l’espagnol dans nos collèges et lycées, alors que le portugais nous aurait probablement rapproché au moins du Mozambique et permettrait d’autres accords mieux en adéquation avec nos réalités historiques, géographiques, démographiques et socio-économiques, dans une intégration régionale, à terme plus fructueuse pour un peuple de migrants comme le nôtre.
Ceci étant, il importe de noter qu’à l’heure où la jeunesse africaine affiche sa détermination à assumer son destin de « continent d’avenir », même en payant le prix fort selon les contextes nationaux, la grande majorité de nos Etats se refusent à juste titre de se mêler de la guerre de l’Ukraine. Pour le ressortissant africain, il va de soi que non seulement l’Europe ne s’émeut guère, outre mesure, de tant de pertes en vies humaines et en infrastructures dans les incessants conflits ayant transformé nos peuples en « damnés de la terre ». Mais, en outre, le monde développé s’efforce principalement d’ériger des barrières ayant transformé la Méditerranée en immense cimetière marin. En conséquence, l’Afrique ne saurait qu’essayer de jouer aux « émissaires de la paix » afin de préserver les pays notamment des famines ainsi que des conséquences des affres et soubresauts liés aux pénuries céréalières et à l’inflation galopante qui déséquilibre des économies déjà suffisamment fragiles. A coup sûr, cette guerre en Ukraine engendre à l’échelle planétaire, une crise a effets multiples qui impactent encore plus négativement les Etats les plus vulnérables et les populations les plus démunies.
Toutefois, pour le cas des Comores, le sort de la Crimée et du Dombas, comparativement à celui de Mayotte, ne peut que mériter une attention particulière, au regard de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale de chaque pays. Or, disons-le, le ministère russe des affaires étrangères ne rate aucune occasion pour le rappeler mieux que nous. Evidemment, pour ses intérêts bien compris, aussi !
Cette distance relative serait-elle un pas géostratégique et structurant de l’Afrique dans le contexte mondial post-Covid, aux menaces climatiques planétaires et à l’émergence des BRICS comme puissance économique supérieure à celle du G7 ?
Une interrogation qui devrait permettre une prise de conscience plus accrue des retards cumulés par notre archipel, notamment à travers une « diplomatie de l’assistanat tous azimuts », alors que les richesses en termes de matières premières et de transition écologique planétaire se présentent à notre porte qui demeure aussi celle d’un portail géostratégique sur ce canal toujours convoité entre l’Europe, l’Arabie, l’Afrique australe et l’Asie. Encore faudrait il que nos élites osent relever le défi comparatif, eu égard aux expériences de développement dans le cadre de l’insularité dans notre sous-région.
Tout comme ailleurs, dans d’autres contrées à l’instar d’Aruba (petite île des Antilles de moins de 120.000 hab.) où les experts estiment qu’avec le tourisme et plus de 80% d’autonomie en énergie écologique, on y vit mieux qu’au grand Venezuela (voisin pétrolier) ou en Scandinavie reconnue pour la priorité au bien-être des habitants. Ou encore à Singapour, une île de quelques sept millions d’habitants et 3 principales communautés ethno-religieuses différentes sur un territoire de quelques 728 km2, plus réduit donc que Ngazidja (1148km2). L’île dispose du troisièmesystème portuaire mondial et sait construire des usines d’eau qu’elle exporte notamment en Chine, en Arabie Saoudite et en Algérie, avec en prime un niveau de vie et d’études supérieur à ceux de Paris. Ce qui met à mal les théories démographiques malthusiennes.
Sans gisements pétroliers ni gaziers et sans avoir jamais ressenti le besoin ni la vanité de « chanter et danser l’Emergence », ces îles modèles osent « défier » les Etats continentaux : l’une en invitant chaque année l’ONU à évaluer ses performances en matière d’innovation dans le développement durable et en faisant mieux que sa métropole coloniale néerlandaise ; l’autre en proposant une coopération globale avec l’Union Africaine, précisant qu’elle serait prête à mettre à disposition des pays intéressés ses réussites technologiques, ses expériences électorales, ses pratiques de coexistence ethnique, linguistique et religieuse ainsi que sa lutte contre la corruption.
Enfin, pour clore ce propos, il ne serait évidemment pas superflu de relever que plus près de nous, Maurice et le Cap Vert pourraient nous inspirer tout autant, en sachant que les publications internationales leur reconnaissent, avant tout, la qualité de sérieux dans la gouvernance. Bien loin de la triple culture vaniteuse du « mkarakara », du « hayyassa » et du tout est «mafitsi » qui nous caractérise, malheureusement, au regard de bien de partenaires au développement. Ces derniers conçoivent la coopération et agissent sur la base de valeurs aussi bien universelles que spécifiques, à partir du vécu, tenant compte des intérêts immédiats et des projections pour les futures générations. Sachant que, dans leurs choix des gouvernants, les peuples gardent à l’esprit une notion fondamentale qu’est l’Ethique qui pourrait se résumer, pour notre pays, par la formule musulmane de « la gouvernance par le Bien et le rejet du Mal ».
Que le « débat doctrinal » se poursuive donc à bon escient… InshAllah !
Ambassadeur SOILIH Mohamed Soilih. Président du Mouvement Démocratique, Alternatif pour l’Innovation et l’Ecologie – MDAIE prononciation mdayi)