Les chiffres très controversés présentés par la CENI ont allumé la colère de nombreux jeunes comoriens, qui dans la capitale pendant deux jours ont affronté les militaires d’Azali. Malheureusement, un de ces jeunes, Mouslim Mkoufoundi a été abattu d’une balle dans le crâne.
Par Mib
Après les nombreuses fraudes filmées ou interceptées par les candidats de l’opposition ou leurs représentants, les Comoriens s’attendaient à un coup du président de la CENI, Saïd Idrissa, militant du parti gouvernemental, chargé de faire passer le « gwadzima » (victoire en un tour) répété tout au long de la campagne par les partisans d’Azali Assoumani.
16% de participation aux présidentielles
Saïd Idrissa a bien déclaré victorieux dès le premier tour le président d’honneur de son parti avec près de 62% des suffrages, mais d’une manière inattendue, il s’est emmêlé dans les chiffres et a créé des contradictions incompréhensibles. En effet, le soir du 16 janvier, tous les Comoriens ont retenu pour l’histoire le chiffre de 16% de participation aux présidentielles et celui des 10% du corps électoral qui auraient voté pour Azali Assoumani. Un résultat peu glorieux pour un candidat qui, à coups de millions distribués à des quidams, a voulu démontrer qu’il était populaire en faisant venir beaucoup de Comoriens dans ses meetings. Le plus gênant pour la CENI et son président c’est la différence trop importante de la participation à l’élection du président et à l’élection des gouverneurs des îles. Deux élections qui ont eu lieu au même moment, au même endroit. Au total, selon les chiffres fournis par la CENI, près de 190.000 personnes sont allées voter, mais parmi eux 135.000 n’ont voté que pour les gouverneurs respectifs et ont refusé de voter pour le président. Aberrant. Pourtant, même après le dépôt d’un recours par les représentants du candidat Azali (après avoir fêté la victoire) pour rectifier le taux de participation, la CENI a osé confirmer ses chiffres auprès de la Cour Suprême.
Ces contradictions ont renforcé l’idée qui était apparue dès dimanche, au fur et à mesure de l’avancement du vote, d’une organisation d’une fraude industrielle et de la volonté, à tout prix, de faire passer le chef de l’État comme vainqueur dès le premier tour, alors que dans tout le pays, il est le mal-aimé (« Gozibi », le surnom qu’il s’est lui-même donné).
Des routes bloquées
Dès le 17 janvier, au matin, le gouvernement constate que plusieurs routes de la Grande-Comore sont bloquées par de grosses pierres, des pneus, des carcasses de voitures, des troncs… aussi bien dans la capitale que dans les régions éloignées. Sur certains points, les manifestants avaient même mis le feu.
Si les routes sont juste bloquées dans les régions, à Moroni, la police et les militaires doivent faire face à une véritable guérilla urbaine. Les jeunes manifestants barrent les routes, l’armée intervient pour enlever les entraves, ils fuient, puis reviennent tout remettre en place. Le moment le plus critique de ce 17 janvier a été quand les manifestants ont pris d’assaut le poste de police central de la capitale. Les policiers ont demandé du renfort aux militaires, en vain. Et les habitants de la capitale ont assisté à cette scène de policiers sans armes fuyant devant les pierres lancées par les jeunes. Mais, la prise du poste de police n’a été que de courte durée, l’armée intervenant assez rapidement.
Balles réelles
Le lendemain, les militaires, sans doute à court de gaz lacrymogène, ont commencé à tirer à balles réelles sur les jeunes manifestants. Assez rapidement, plusieurs de ces manifestants se retrouvent à l’hôpital Al-Maaruf atteints par des tirs de l’armée. L’un d’eux, Mouslim Mkoufoundi, originaire de Midjihari dans la région du Hamahame, y trouve la mort, après avoir reçu une balle dans le crâne.
Ce 18 janvier, la pluie a calmé les affrontements, et c’est précisément à ce moment-là que l’armée décide d’entrer dans les quartiers populaires et d’arrêter de nombreux jeunes, dont des préadolescents et adolescents. Les arrestations s’amplifient le 19 janvier. Des enfants sont enfermés dans des conteneurs et affamés, avant d’être envoyés dans des camps militaires, comme le tristement célèbre camp de Mdé où plusieurs personnes ont été torturées par le passé. Ce n’est que le matin du 22 janvier que le Procureur de la République a annoncé la libération des mineurs et des femmes, sans qu’aucune procédure judiciaire ne soit ouverte, et sans qu’on puisse s’assurer que tous les mineurs enlevés dans les quartiers de Moroni ont été réellement libérés.
Des arrestations arbitraires
Les arrestations qui ont principalement eu lieu entre le 19 et le 21 janvier n’ont pas découragé les actions de barrage des routes en dehors de Moroni. Mais, la manifestation prévue par l’opposition après la prière du vendredi n’a pas été très suivie. Les gens ont manifesté plus ou moins violemment tout en restant dans leurs villes respectives. Dans la ville de Mkazi, les jeunes ont manifesté aux cris de « Libérez Daoud », Daoud Halifa, directeur de campagne du candidat Bourhane, arrêté dès le déclenchement de l’insurrection et dont personne n’a de nouvelles, comme le dirigeant du HURY, Achmet Saïd Mohamed, arrêté une semaine avant les élections et accusé d’avoir voulu mener des actions terroristes.
Avant ces manifestations, l’Union africaine (UA) et l’Organisation de la Francophonie (OIF) s’étaient exprimées avec la langue de bois habituel destinée à soutenir tous les dictateurs pendant des élections en Afrique. Pour les deux organisations, tout s’était bien déroulé malgré quelques erreurs.
Réactions diverses de la communauté internationale
Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’homme avait, dès le début de l’insurrection, invité les Comoriens à ouvrir un nouveau « chapitre fondé sur le pluralisme, la liberté d’expression, la justice et la responsabilité ». Une adresse au gouvernement comorien sur lequel il avait rédigé plusieurs rapports dénonçant les arrestations arbitraires et les tortures, en vain.
L’Union européenne et l’Ambassade des États-Unis se sont exprimées après les événements graves de la Grande-Comore, et avec plus de nuance que l’UA ou l’OIF. Ils demandent en somme à la CENI de rendre compréhensibles les chiffres fournis avant que les documents ne partent. Les opposants y ont vu un soutien dans la mesure où les chiffres de Saïd Idrissa ont été remis en cause.
La situation à la Grande-Comore, et dans le reste du pays est tendue. Plusieurs candidats ont annoncé que si la Chambre électorale de la Cour Suprême, dont tous les juges ont été nommés par le candidat Azali et dont le président a été désigné alors que le processus électoral était déjà enclenché, confirme les chiffres de la CENI, ils descendront dans les rues avec leurs partisans. Le pays semble paralysé, les routes des grandes villes de la Grande-Comore sont toujours bloquées. Chacun attend la décision de la Chambre électorale, sous pression du gouvernement dont le porte-parole et directeur de campagne, continue d’affirmer qu’ils ont gagné dès le premier tour. Aucun Comorien ne peut à présent croire qu’Azali a pu avoir plus de 50% dès le premier tour, après tant d’opérations de fraudes dévoilées, les contradictions des chiffres de la CENI et ce vaste mouvement de jeunes décidés à déloger la dictature.