Alors que le gouvernement d’Azali Assoumani continue d’affirmer qu’il n’y a pas de prisonniers politiques aux Comores et poursuit les préparations d’un Dialogue national qui promet de coûter au moins aussi cher que les Assises de 2018, un groupe dénommé Coordination anjouanaise de la Résistance a publié le 5 février dernier un rapport sur les prisonniers politiques d’origine anjouanaise, encore en détention. Par MiB
Quand le président Azali Assoumani s’adresse à la communauté internationale, il affirme qu’il n’y a pas de prisonniers politiques aux Comores. Suite à la visite d’une commission dirigée par le Commissaire aux Affaires Politiques, à la Paix et à la Sécurité, Bankole Adeoye, l’Union africaine avait quelque peu surpris les observateurs de la politique comorienne en s’éloignant des affirmations du gouvernement comorien en demandant, dans un communiqué publié le 29 octobre 2021, la libération des prisonniers politiques.
Le rapport publié par la Coordination de la Résistance anjouanaise le 5 février dernier, le « Rapport sur les prisonniers politiques originaires de l’île d’Anjouan détenus sur la base de fausses accusations et en violation de la loi » vient apporter les preuves de l’existence de nombreux prisonniers politiques anjouanais, enfermés à Anjouan ou à la Grande-Comore.
C’est un rapport succinct de sept pages et trois parties. Les rédacteurs n’ont pas pris le temps d’approfondir l’analyse des données recueillies, mais ils affirment que c’est une base qui doit être enrichie régulièrement. La première partie (cinq pages) est une liste de 65 noms de prisonniers politiques indiquant les lieux de détention, les dates et les circonstances de leurs arrestations. La deuxième partie (une page) traite des conditions de détention dans la prison de Koki à Anjouan, sur les hauteurs de Ouani. Vingt-neuf des 63 prisonniers politiques d’origine anjouanaise sont enfermés dans cette sinistre prison. La troisième partie du rapport constitue la conclusion.
Un ancien président et un ancien gouverneur toujours en prison
À la tête de cette liste de 65 personnes dont on nous dit en conclusion qu’elle n’est pas exhaustive, il y a les deux hommes politiques anjouanaises les plus populaires et les plus influents avant leurs arrestations. L’un, l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, a été arrêté le 19 mai 2018, mis en résidence surveillée dans un premier temps dans sa résidence de Voidjou (Ngazidja) sur ordre du secrétaire général du ministère de l’Intérieur, Saïd Abdou Djaé pour trouble à l’ordre public. Il a ensuite été mis en détention et à l’isolement dans une chambre de sa résidence, devenue une annexe de la prison de Moroni par arrêté du ministre de la Justice, pour « corruption, détournement de deniers publics, complicité de faux et usage de faux et forfaiture » depuis le 20 août 2018.
L’autre est l’ancien gouverneur Salami Abdou arrêté depuis le 21 octobre 2018, alors que son mandat n’était pas encore arrivé à terme, accusé d’« atteinte à l’unité nationale, complicité de meurtre, rébellion, participation à un mouvement insurrectionnel, trouble à la sécurité publique et port illégal d’arme ». Comme Sambi, il s’était opposé à la réforme constitutionnelle qui permettait à Azali Assoumani de prolonger son mandat en repoussant à 2029 la tournante en faveur d’Anjouan. Il est rendu responsable de l’insurrection de rebelles dans la médina de Mutsamudu, une semaine avant son arrestation. Le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Mahamoud Salim Hafi avait même affirmé que le gouvernement détenait une vidéo dans laquelle on pouvait voir le Gouverneur en train de distribuer des armes aux rebelles. Depuis, le même homme a reconnu que cette vidéo n’a jamais existé.
Le démantèlement du parti Juwa
Deux personnalités présentes sur cette liste, l’ex-Vice-président d’Ikililou Dhoinine (lui-même assigné à résidence à Mwali), Nourdine Bourhane et l’ancien ministre de l’ex-président Mohamed Abdallah Ahmed Sambi (en détention) et d’Azali Assoumani, Mohamed Bacar Dossar, ne sont pas à proprement parler en prison, mais sont privés de leur liberté de circuler (liberté inscrite dans la Constitution), assignés à résidence dans l’île de Ngazidja depuis octobre 2018. Et de fait privé de parole publique, sans jugement depuis plus de trois ans. Ils sont tous les deux associés aux accusations qui ont permis de mettre en prison sans jugement l’ancien président Mohamed Sambi.
La plupart des prisonniers sont membres du parti Juwa, le parti qui avait le plus d’adhérents dans le pays avant le début de la répression et ils étaient proches de Mohamed Sambi et Salami Abdou.
Plusieurs Anjouanais avaient été arrêtés après le complot supposé destiné à tuer le vice-président Moustadrane Abdou (18 balles auraient été tirées sur sa voiture sans toucher l’un des trois occupants) et après l’affaire de la Médina de Mutsamudu pendant laquelle quelques rebelles armés ont tenu tête à l’armée comorienne pendant une semaine avant de disparaître dans la nature. Ces deux affaires avaient permis d’arrêter plusieurs opposants politiques sans vraiment établir le lien entre ceux-ci et les événements. La plupart ont été libérés ou graciés et celui qui a été désigné comme l’organisateur du complot contre le Vice-Président est devenu un proche du régime avant d’être arrêté récemment avec d’autres dans l’affaire des lingots d’or trouvés à l’aéroport de Hahaya. Sur ces deux affaires, il ne reste plus que quatre prisonniers politiques. Mais, les cadres du parti Juwa ont compris la leçon et n’osent plus parler, encore moins organiser des rencontres politiques ou des manifestations.
Les affaires pour lesquelles il y a encore de nombreux prisonniers politiques anjouanais en détention sont « l’affaire du colis piégé » (24 prisonniers) et « l’affaire des mines » (15). Dans la première affaire, des militants de l’opposition ont été arrêtés, car un homme, Inssa Mohamed alias Bouboucha aurait préparé une bombe qu’un autre homme aurait tenté d’introduire dans un avion qui transportait le président Azali. L’affaire des mines implique des hommes qui auraient posé des mines explosives sur des routes et même à l’aéroport d’Ouani. Tout cela dans un contexte où à Anjouan, toute activité politique est interdite et que des leaders du principal parti du pays ont été arrêtés, puis condamnés à six mois de prison pour avoir appelé à une manifestation.
Koki et Hombo, principaux lieux de détention
La liste montre également que la plupart des prisonniers politiques sont détenus soit à Koki (29) soit à la gendarmerie de Hombo sur les hauteurs de Mutsamudu (). Un rapport de l’ONU a déjà évoqué des tortures au sein des gendarmeries des Comores lors des interrogatoires, et le gouvernement avait interdit l’accès de cette gendarmerie de Hombo au Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Nils Melzer.
Quant à la prison de Koki, le Rapport de la Coordination de la Résistance anjouanaise indique qu’elle contient environ 140 prisonniers de tous genres qui dorment à même le sol sur un matelas ou pas et qui comptent sur les repas amenés par la famille..
C’est une prison où ces derniers temps des prisonniers ont été tués et où l’administration a juste dit qu’ils ont tenté de s’évader sans la moindre enquête.
Il est à noter que parmi les prisonniers politiques figurant sur cette liste cinq d’entre eux avaient demandé l’asile politique à Mayotte, l’île sous administration française. Ils ont été expulsés vers Anjouan avec le risque de subir des tortures ou d’être tués comme le major Bapale. Pire, selon ce rapport, un des prisonniers, Fayad Halidi, avait une carte de réfugié à Mayotte et malgré cela, il aurait été « enlevé par la police française et le GIPN depuis Mamoudzou » le 14 septembre 2020 et renvoyé Anjouan. Il a d’abord été enfermé au camp militaire de Sangani, puis à la gendarmerie de Hombo.
À lire également : Extrait du Rapport sur les prisonniers politiques originaires de l’île d’Anjouan (Masiwa n°366 du lundi 14 février 2022)