L’Assemblée de l’Union des Comores a adopté de nouvelles dispositions électorales le 22 décembre 2022 concernant les conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle. La nouveauté porte sur l’exclusion des binationaux de la course à l’élection présidentielle de l’Union des Comores.
Quelle mouche a piqué le législateur comorien ? Qu’est-ce qui a justifié une loi fratricide contre les Comoriens de la diaspora ? Pourquoi le bannissement de la diaspora comorienne dans la gestion des affaires du pays ? Comment en est-on arrivé à ce stade de rejet de la diaspora par l’exécutif, porteur du projet de loi ?
N’est-ce pas la diaspora comorienne installée en France qui permet aux commerçants de notre pays de régler les échanges internationaux avec les devises annuelles, grâce aux transferts d’argent à leurs familles ou pour les affaires bon an, mal an ? Le dernier rapport de la Banque centrale des Comores (BCC), celui de 2021 indique que les entrées de devises captées par le système bancaire sont de 125 milliards francs comoriens (KMF), alors que les sorties en devises pour le règlement des transactions internationales et pour les étudiants comoriens à l’étranger sont de 38,2 milliards de KMF.
Qu’est-ce qui explique, cette amnésie sélective des parlementaires comoriens, qui les a poussés, d’un trait de plume, à gommer la joie et la frénésie populaire provoquées par les jeunes talentueux de la diaspora comorienne de France, cinq mois après avoir hissé le football comorien presque sur le toit du football continental ?
Au-delà de ces questions sans réponse à ce jour, la loi d’exclusion de la communauté comorienne de France, parce qu’en réalité, c’est elle qui est visée, est mal faite.
Sur les contradictions évidentes,
Tel qu’il ressort des dispositions de l’article 6 de la loi du 22 Décembre 2022, « peut être candidat, le Comorien issu d’une autre île, mais qui a vécu d’une manière effective dans l’île où échoit la tournante durant au moins, les dix années précédant l’élection ». Et, dans le même temps, l’article 7 de la même loi dispose que : « Les candidats à l’élection présidentielle doivent avoir résidé de manière permanente sur le territoire national au cours des douze mois précédant l’élection ».
Ainsi, l’une des questions de Droit qui se pose est-elle celle de savoir si les deux dispositions sont cumulatives ou exclusives. À la lecture de ces deux alinéas de ces deux articles, ils ne peuvent pas se compléter car ils se contredisent sur la période, alors qu’ils ont la même finalité, à savoir la résidence permanente. Il sera évidemment difficile d’expliquer que « vivre de manière effective » selon l’article 6 de la loi est différente de « résider de manière permanente » sur le territoire national suivant l’article 7 de ladite loi. Les deux groupes de mots ont la même signification.
Et même en forçant le trait pour dire que le candidat doit plutôt présenter deux attestations pour chacune des deux dispositions législatives, une pour avoir vécu dix années dans l’île où échoit la tournante et une deuxième pour avoir vécu de manière permanente, les douze derniers mois précédant l’élection, cette deuxième disposition apparaîtrait redondante. En effet, le candidat qui réside de manière effective sur l’île à laquelle échoit la présidence tournante durant les dix années précédant l’élection présidentielle l’est tout autant pour la période de douze mois sur le territoire national. Il n’a donc pas besoin d’une preuve supplémentaire qu’il a vécu les douze derniers mois précédant l’élection présidentielle de manière permanente sur le territoire national, comme l’exige l’article 7 alinéa de la loi du 22 décembre 2022.
Ainsi, les dispositions des articles 6 et 7 de la loi du 22 décembre 2022 se contredisent-elles car elles sont exclusives. Le législateur ne pouvait valablement retenir les deux dispositions dans le même texte.
Par ailleurs, on remarque que le législateur comorien rend le travail d’interprétation de la loi encore plus compliquée. Il y a, sans doute, une disposition de trop dans la loi du 22 décembre 2022. Si les représentants de la nation étaient attentifs au moment des débats parlementaires, ils auraient compris que le projet de loi de l’exécutif était bancal. Comment se fait-il que sur un texte aussi court, il y ait autant de problèmes évidents sur le fond concernant la disposition applicable ?
Manifestement, le législateur a mis dans l’embarras les juristes et la section constitutionnelle de la Cour suprême de notre pays, en ce sens qu’aucune des deux dispositions n’est supérieure à l’autre.
En l’état, les candidats issus de la diaspora comorienne opteront probablement pour l’alinéa 5 de l’article 7 qui dispose qu’il suffit de démontrer « avoir vécu de manière permanente sur le territoire national au cours des douze derniers mois précédant l’élection ». Il s’agira d’une période plus ou moins raisonnable par rapport à la disposition qui exige dix ans de résidence permanente dans l’île où échoit la tournante.
Sur la perplexité des certificats médicaux
L’article 12 de la loi du 22 décembre 2022 prévoit en son alinéa 7 que le candidat à l’élection présidentielle doit présenter « un certificat médical attestant un bon état de santé dûment constaté par trois médecins agréés par l’Ordre des Médecins comoriens ». Cette disposition rend le travail d’interprétation et d’application de cette loi encore plus compliquée.
Le certificat médical attestant du bon état de santé du patient-candidat créera sans doute un malaise dans la communauté des médecins, car l’expression « bon état de santé » est vague et, en plus, ni le Code de la Santé publique du 2 Juillet 2020, ni la loi organique du 22 décembre 2022 n’ont défini le contenu exact de « bon état de santé » pour permettre aux trois médecins agréés de s’y référer.
Et, de toutes les façons, exiger des certificats médicaux établis « par trois médecins agréés par l’Ordre des Médecins comoriens » n’est pas une garantie d’impartialité. Le Conseil national des Médecins pourrait être manipulé pour désigner ceux, parmi les confrères, qui pourraient délivrer un certificat médical au titre de témoignage à charge ou à décharge contre tel candidat.
Par ailleurs, un autre problème de droit se pose. Est-ce que le candidat doit présenter deux certificats médicaux suivant les deux articles cités plus haut, ou un seul suffira comme il est indiqué pour le dépôt du dossier de candidature ? Il est fort probable que parmi les Députés comoriens présents à l’Assemblée de l’Union, il n’y avait ni médecins, ni professionnels de santé pour leur faire comprendre que l’on ne peut pas exiger du médecin une attestation de bon état de santé pour être président de la République, ni un certificat médical constatant les facultés intellectuelles et mentales.
En effet, selon l’article 7 alinéa 3 portant sur les conditions d’exigibilité de la loi organique n°22-016 relative à l’élection présidentielle, « les candidats à l’élection présidentielle doivent jouir […] de leurs facultés intellectuelles et mentales ».
La production d’un certificat médical sur les facultés intellectuelles et mentales du patient-candidat à l’élection présidentielle est une hérésie médicale et sujet à débat. Et surtout, on ne peut pas donner pouvoir à des médecins le droit de dire que tel candidat a un quotient intellectuel et les facultés mentales suffisants pour diriger le pays. Il y aura un risque de voir dans les dossiers candidature de certificats médicaux de pure complaisance pour éliminer tels candidats gênants pour le pouvoir.
Et enfin, malheureusement, le Code de la Santé publique du 2 Juillet 2020 en vigueur aux Comores n’a pas défini les contours de l’exercice médical. Cette loi s’est contentée de parler de l’organisation et du fonctionnement de la Santé publique. Elle n’a même pas consacré un chapitre sur les règles communes à l’exercice de la médecine.
Sur les difficultés de définition du périmètre de la jouissance des droits civiques et politiques
La loi organique du 22 décembre 2022 en son article 7 pose des conditions particulières pour être candidat à l’élection présidentielle, à savoir la jouissance des droits civiques et politiques. Il est plutôt aisé de rapporter la preuve factuelle de la jouissance des droits politiques, car il lui suffira, sur la foi du casier judiciaire, de démontrer qu’il n’y a pas d’interdiction d’exercer un mandat politique. Suivant l’arrêt de la Cour de Sureté de l’État du 28 novembre 2022, l’ancien président de la République, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi ne pourra pas être candidat à l’élection présidentielle, même si, curieusement, cette Cour a outrepassé ses compétences en prononçant une peine qui n’existe nulle part dans le corpus juridique comorien pour l’infraction de « haute trahison ».
Mais, visiblement, notre législateur a décidé de compliquer les choses là où il aurait pu faire simple. Le terme de « droits civiques » est un concept juridique vaste qui comprend la vie privée, le droit à la liberté et à la sureté, le droit d’aller et venir…
On se pose alors la question de savoir si c’est une démarche volontaire de l’exécutif pour rendre plus difficiles les conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle, ou c’est une expression glissée malencontreusement dans ce texte. Prévoir uniquement la jouissance des droits politiques, un concept précis et clair, comme condition d’éligibilité, aurait suffi pour faciliter le travail de la Section constitutionnelle de la Cour suprême.
Sur l’interdiction des binationaux à la course à l’élection présidentielle
Dans cette loi du 22 décembre 2022, le Parlement comorien a restreint les conditions d’éligibilité à la magistrature suprême. Le pouvoir législatif comorien a surpris tout le monde. Alors que des ministres, députés, cadres administratifs, magistrats, avocats, politiciens, Directeurs de cabinets même des ministères régaliens ont deux nationalités, l’Assemblée de l’Union a fait le choix d’exclure la diaspora comorienne de tout mandat présidentiel. Jusqu’à il y a peu, cette de situation de fait n’a jamais fait débat au sein de la classe politique, d’abord en raison de l’existence d’une forte communauté comorienne en France. Pour certains, la nationalité française est juste une formalité administrative permettant d’acquérir des avantages en France et à l’étranger, en leur qualité de citoyens français. Et pour d’autres, même si l’acquisition de la nationalité française est une adhésion aux valeurs de la République française, la double nationalité n’est pas incompatible avec la conduite des affaires du pays. Dans tous les cas, il n’est jamais prouvé que les binationaux étaient dangereux pour la stabilité des institutions de l’État comorien.
Mais, alors, qu’est-ce qui a été à l’origine de ce séisme politique dans un pays francophone où la majorité de la population rêve et respire français ? Les débats parlementaires et les travaux préparatoires, au cas où ils existeraient, n’ont pas permis d’y voir plus clair.
Or, en règle générale, le Parlement légifère pour répondre à une demande de la société. Ce qui n’était pas le cas ici. Avant l’adoption de cette loi organique, il n’y avait pas de mouvement d’humeur de la société aux Comores contre les binationaux.
Et puis, on légifère en réaction à un problème immédiat qui met en péril les fondamentaux de la nation ou pour combler un vide juridique. Jusqu’à preuve du contraire, il n’a pas été révélé que des Comoriens ayant la double nationalité, française et comorienne, ont agi contre les intérêts de la nation ; si une telle action s’était produite, elle aurait pu justifier l’absolue nécessité de préserver ces intérêts vitaux, en excluant les binationaux de certains postes à responsabilité.
Enfin, l’Assemblée de l’Union n’a pas adopté le texte en cause, en prévision de politiques publiques à moyen et long terme pour renforcer les capacités d’un secteur quelconque du pays. Au contraire, la diaspora comorienne est à plusieurs égards un atout pour le pays. Mieux, ceux qui ont attenté à la stabilité et à l’intégrité territoriale du pays n’avaient pas la double nationalité et pour ne pas le citer, le 28 septembre 1995, l’actuel président de la République, alors chef d’État-major de l’Armée, en plein coup d’État contre le président Saïd Mohamed Djohar, avait abandonné les soldats pour se réfugier à l’ambassade de France, laissant le pays entre les mains de mercenaires français.
Les parlementaires comoriens ont acté la loi de discorde nationale en exigeant que « si un candidat est titulaire d’une ou de plusieurs nationalités autre que la nationalité comorienne, il doit renoncer définitivement à sa ou à ses autres nationalités étrangères » lors du dépôt de sa candidature.
De fait, la loi organique du 22 décembre 2022 contient des contradictions et approximations qui nécessitent un dépoussiérage en profondeur afin de la purger de toutes ses imperfections.
Que ferait par exemple la Section constitutionnelle de la Cour suprême en cas de candidature d’un Comorien Français de l’île Mayotte, installé dans l’île où échoit la tournante et qui remplit toutes les conditions exigées par la loi électorale, sauf celle portant sur l’exigence de l’unique nationalité comorienne ? Serait-elle prête à sceller la partition de Mayotte de l’ensemble de l’Union des Comores ?
Faute d’un toilettage massif au peigne fin, cette loi provoquera beaucoup de contestations sur les conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle de l’Union des Comores.
Maître Ben Ali Ahmed. Docteur en Droit. Avocat au Barreau de Saint Pierre de la Réunion. Avocat au Barreau de Moroni, Union des Comores