Les élections du 14 janvier ont été marquées par une fraude massive de la part du pouvoir en place, comme en 2019, sauf que cette fois de nombreuses vidéos et audios circulent depuis dimanche sur de nombreux cas de bourrages d’urnes, y compris par des autorités. Malgré les fraudes, un vote de rejet du chef de l’État actuel a conforté les résultats de quasiment tous les autres candidats.
Par MiB
Le double scrutin qui a eu lieu aux Comores ce dimanche 14 janvier a été marqué par la désorganisation presque totale. Les Comoriens votaient pour le président de l’Union et pour les Gouverneurs des îles. La Commission électorale nationale et indépendante (CENI) n’a pas été à la hauteur de sa mission, elle a même participé à l’organisation du désordre et de la fraude constatée partout. Sous d’autres cieux, son président comme beaucoup de présidents de bureau de vote serait aujourd’hui devant un juge et ne serait certainement pas maintenu à son poste.
L’organisation du désordre
Dans de nombreuses régions, le scrutin a commencé très tard, les urnes ont mis beaucoup de temps à arriver et les présidents des bureaux de vote, qui dans leur quasi-majorité sont issus du parti au pouvoir ont refusé d’accepter les assesseurs des autres candidats, maintenus à l’extérieur des bureaux par les gendarmes. Dans l’un des bureaux de Vanamboini (Grande-Comore), où le président désigné depuis longtemps n’était pas du pouvoir, la CENI s’est appuyée sur les militaires pour essayer de l’évincer. La population présente a refusé un nouveau président de bureau qui n’avait aucune accréditation.
Le scrutin du 14 janvier a été marqué par une fraude massive et dont personne ne pouvait prévoir l’ampleur. En 2018, pendant le référendum constitutionnel et en 2019 pendant la présidentielle, les bourrages d’urnes ont aussi été nombreux, mais il n’y avait pas de vidéos, pas d’images et pas de sons. Cette fois, au fur et à mesure que la journée de vote se déroulait de nombreuses vidéos dans lesquelles on voit des personnalités en train de frauder ont envahi les réseaux sociaux provoquant émoi et colère à l’égard de la CENI et du gouvernement Azali.
Une fraude massive
C’est d’abord, le témoignage d’un assesseur du bureau de vote de Ouellah 1 (Mitsamihuli) qui nous apprend que le Vice-président de l’Assemblée de l’Union, l’avocat Me Baco Mohamed a été hué par la foule après son vote, car il a été surpris en train d’introduire deux bulletins pour Azali et deux pour Ibrahim Mze (candidat gouverneur soutenu par la CRC). Le président du Bureau a refusé de noter l’incident, et Baco est reparti, sous les quolibets, sans faire de commentaire.
Le maire de Fomboni, Abdoul Mouhaimine Abdallah, proche du pouvoir CRC a été surpris en train de tenter d’introduire plusieurs bulletins dans l’urne, arrêté par un assesseur, il a tout de même forcé et est allé au bout de son geste sans aucun scrupule, devant les membres du bureau, ignorant sans doute qu’il était filmé. Il a été bousculé par d’autres électeurs et il a dû être encadré par plusieurs militaires pour sortir du bureau de vote sous les huées de ses concitoyens.
Dans un bureau d’Ongojou (Anjouan), on voit également une jeune femme, introduire plusieurs bulletins de vote dans l’urne et le signaler au président. Et cela avec la complicité des membres du bureau qui sont certainement tous du pouvoir comme l’a souhaité la CENI dans plusieurs bureaux à Anjouan.
Dans un bureau de Domoni (Mwali), c’est le président du bureau de vote que l’on voit en train de cocher lui-même, pendant plusieurs minutes, plusieurs bulletins de vote. Dans une autre vidéo dans un bureau de Sima (Anjouan), la ville du Président de l’Assemblée de l’Union, Moustadrane Abdou, fidèle du président-candidat, où la CENI a installé des bureaux de vote monocolore, on voit tous les membres du bureau en train d’effectuer toutes les opérations de vote eux-mêmes. Ils n’ont pas besoin d’électeurs. Dans un bureau de Fomboni (Mwali), la ville du maire fraudeur, une autre vidéo montre une femme, seule dans le bureau, tranquillement en train de bourrer l’urne. Dans un autre bureau, le président essaie de cacher une femme qui a avec elle de nombreux bulletins qu’elle introduit soudainement dans l’urne.
Nour El Fath Azali, coordonnateur de la fraude
L’élément qui montre qu’il s’agit d’un plan général et concerté au sein du parti au pouvoir, c’est l’audio dans lequel on entend le fils du chef de l’État, Nour El Fath Azali en train de donner des instructions pour bourrer les urnes. Depuis sa diffusion dimanche en début d’après-midi et jusqu’à ce lundi, il n’a pas démenti qu’il ne s’agissait pas de lui. Dans cet audio, on l’entend dire : « si la possibilité existe, il faut le faire, s’il n’y a pas de possibilité, ne le faites pas, car on ne veut pas de troubles, mais ne dites pas qu’il faut attendre midi (…) ». En 2018 et en 2019, c’est à partir de midi que les urnes ont commencé à être remplies par les membres des bureaux de vote.
Il est rappelé que le président de la CENI, comme le porte-parole et quasiment l’ensemble de cette commission sont membres du parti au pouvoir, parti dont le fils du chef de l’État est Vice-Président. Or la CENI a délivré des accréditations facilement à des membres des bureaux de vote du parti CRC et a omis d’en délivrer aux assesseurs des candidats opposés à Azali Assoumani. Il s’est trouvé que dans plusieurs bureaux à Anjouan et à Mohéli, parfois aussi à Ngazidja, l’ensemble des membres d’un bureau avait sa carte de la CRC. C’est pourquoi nous avons aujourd’hui de nombreuses vidéos qui montrent des membres de bureau ou des électeurs qui bourrent les urnes devant le président du bureau.
La responsabilité de la CENI engagée
Le fait que certains bureaux de vote soient sans assesseurs des autres candidats va à l’encontre de la loi électorale et des principes démocratiques, cela devrait constituer un motif d’annulation des résultats de ces bureaux. Pourtant le président de la CENI, Saïd Idrissa, qui se vantait d’avoir fait du droit (master de droit à Madagascar) et de savoir ce qu’il faisait, celui qui disait aux candidats et à leurs représentants que l’organisation de ces élections serait irréprochable n’a pas tenu compte de la loi en constituant les bureaux de vote. Pire, la CENI a permis aux militaires d’entrer dans les bureaux de vote, de sortir des assesseurs et dès 14 heures de s’emparer des urnes. Pourtant, la loi est claire et précise sur ce point : toutes les urnes devaient être ouvertes dans les bureaux respectifs et les bulletins comptés devant tout le monde, comme il est de tradition dans toute démocratie. Les bulletins de ces urnes, si on tient compte du code électoral, ne peuvent plus être comptés, or il est probable que le pouvoir en place, dans sa quête de voix, soit pour maintenir Azali Assoumani au deuxième tour, soit pour faire croire qu’il a gagné dès le premier tour, serait tenté de prendre en compte des urnes qui ont probablement étaient manipulées par les militaires qui ont reçu l’ordre de s’en emparer.
Mohamed Daoudou Kiki face à la fraude
Le candidat Mohamed Daoudou a bien montré devant un camion de militaires qui s’étaient emparés des urnes dans la région du Nyumakele (Anjouan) qu’il n’y avait eu aucun incident pendant les opérations électorales. Les militaires n’avaient pu lui justifier le fait qu’ils partaient avec les urnes, ils ont tenté de les ramener plus tard, mais les bureaux étaient fermés.
Le même Mohamed Daoudou, aidé de quelques jeunes, avait pu empêcher que l’armée s’empare des urnes dans la ville d’Ouani.
Il a également exposé devant les caméras de nombreux bulletins de vote qu’il a saisis et sur lesquels le nom d’Azali Assoumani et celui de son candidat au gouvernorat dans l’île d’Anjouan avaient déjà été cochés.
Malgré toutes ces manipulations et ces fraudes organisées par la CENI et le parti au pouvoir, les procès-verbaux qui nous parviennent depuis dimanche montrent que chaque candidat a pu faire le plein dans son fief, en surveillant au mieux les opérations de vote. On voit, d’autre part, que les militants Juwa se sont mobilisés pour faire gagner leurs candidats. Et les endroits où la CRC a pu bourrer les urnes apparaissent clairement puisque dans ces bureaux, par exemple ceux de la ville de Mkazi où des habitants de la ville avaient pu empêcher un meeting d’Azali Assoumani, les membres de ces bureaux n’ont laissé que quelques voix à l’opposition. Ainsi à Mkazi ou à Itsinkoudi, comme dans quelques villages du Nyumakelé ou de Mwali, Azali Assoumani rafle tous les suffrages, atteignant parfois 500 ou 600 voix alors que dans d’autres il peine à se maintenir à la deuxième position.
Gwadzima impossible
Malgré tout cela, les électeurs ont pu constater dès dimanche soir qu’il sera difficile de convaincre les Comoriens et la Communauté internationale qu’Azali a pu avoir dans l’ensemble du pays plus de voix que ses cinq adversaires et le proclamer vainqueur dès le premier tour, alors qu’en réalité, malgré les fraudes de ses partisans, il est difficilement au deuxième tour.
Pourtant, les stratèges d’Azali Assoumani, comme son directeur de campagne Houmed Msaidié, continuent la chanson du « Gwadzima » (un seul tour) qu’ils ont chanté pendant toute la campagne. Ils ont compris qu’un deuxième tour leur sera fatal, car il se transformera en un référendum pour ou contre le maintien du clan Azali au pouvoir et surtout, l’opposition ayant compris comment la CRC fraude, sait à présent comment contrer cette fraude au niveau national.
Il est presque certain que dans le clan au pouvoir, la question d’un autre putsch est posée pour se maintenir au pouvoir. L’armée a de nouveau démontré sa fidélité au colonel Azali en participant activement à la fraude et en aidant les militants de la CRC sur le terrain.