Rien n’est encore venu ébranler l’idée que les élections qui doivent se tenir en 2024 aux Comores sont déjà jouées. Azali les a déjà gagnées depuis plusieurs mois. Il contrôle tout le processus électoral, pourtant chaque jour il multiplie les forfaitures.
par MiB
Le souhait, annoncé à ses partisans dès 2015, de ne pas refaire « l’erreur » qui a consisté à céder le pouvoir en 2006 après sa défaite électorale a fait comprendre à Azali Assoumani qu’il fallait contrôler les listes électorales. Aussi, dès le début des manœuvres pour se maintenir au pouvoir au-delà de l’année 2021, Azali Assoumani place Mohamed Aboudou Hamadi à la tête du CNTDE, le Centre national de Traitement des Données électorales, en avril 2018. L’homme vient de l’agriculture, mais c’est surtout un fidèle militant de la Convention pour le Renouveau des Comores (CRC), le parti du chef de l’État comorien.
Le contrôle des listes électorales
Cette précaution a permis à ses hommes de contrôler et effectuer, avec la bienveillance du ministère de l’Intérieur, toutes les manipulations possibles des listes et des bureaux de vote lors des dernières élections présidentielles et législatives : laisser des morts qu’on fera voter selon les besoins, ne pas trop inscrire de nouveaux électeurs dans les fiefs connus comme ceux de l’opposition, créer un nombre de bureaux plus important dans les villes et villages acquis ou sous contrôle du gouvernement, créer même des bureaux fantômes dans les maisons de certains particuliers comme ce fut le cas lors des élections de 2019 dans la capitale…
Azali Assoumani n’a pas oublié qu’à l’autre bout du processus électoral, c’était la Cour constitutionnelle, avec sa composition équilibrée, qui prononçait la victoire d’un candidat. Il la supprime en avril 2018 et transfère ses compétences à une chambre constitutionnelle et électorale dont il nomme, seul, tous les membres. Il choisit donc, soigneusement, les magistrats qui sont chargés de valider ses futures victoires, sans même tenir compte des votes, comme ce fut le cas en 2019, puisqu’on n’a même pas pris la peine d’ouvrir les urnes. Harmia Ahmed, présidente de cette chambre, est celle qui va incarner le pouvoir dictatorial au sein de la Cour Suprême.
Le contrôle des listes électorales et des juges de la Chambre constitutionnelle et électorale a permis au pouvoir en place de confectionner les résultats qu’il voulait à chaque élection depuis 2018. C’est ce que laisse comprendre l’Union Africaine dans un « Rapport de la mission d’observation » après les élections législatives de 2020. Les observateurs de l’organisation notent que « le taux de participation a atteint 35 % au premier tour et beaucoup moins au second tour dans les bureaux de vote visités par la Mission bien que sur le plan national la CENI indique un taux de participation de 61,48% au premier tour et celui de 70% au second tour. »
Une nécessaire présence de l’opposition
Azali Assoumani est aujourd’hui président de l’Union africaine. Il s’est permis, malgré la dictature qu’il a installée dans son propre pays, de faire la morale à certains dirigeants africains. Il ne suffit plus pour lui de faire avaliser des résultats fantaisistes à des magistrats qu’il a lui-même désignés. Il l’a fait en 2002, en 2018, en 2019 et en 2020. Il fallait tout d’abord s’assurer qu’il y aurait des candidats de l’opposition dans la course, ce qui n’était pas évident, vu les déclarations des différents leaders des partis de l’opposition depuis un an.
Durant la première moitié de l’année 2023, Azali Assoumani s’est employé personnellement à favoriser le dialogue avec les membres de l’opposition. Il a fait une pause dans les arrestations et la terreur de la gendarmerie (même si l’AND a encore abattu un jeu, Fahad Moindze), surtout à Anjouan. Il a « vidé » les enquêtes juridiques, même celles qui étaient entachées par des irrégularités criantes. Il a relâché sans jugements de nombreux Wangazidja et a même permis le départ en France pour des soins de Mohamed Ali Soilihi Mamadou. Par contre, il a stratégiquement gardé en prison Mohamed Abdallah Ahmed Sambi et Abdou Salami qui pouvaient mobiliser les Anjouanais contre lui pendant les élections.
Il a promis à l’opposition que les leaders wangazidja qui avaient fui les procès politiques et qui étaient en France pouvaient rentrer sans problème. Dans le « cadre de concertation », il a laissé l’opposition croire que ceux qui avaient une double nationalité pouvaient se présenter comme candidats malgré la loi qu’il venait de faire voter. Il a fait croire aux potentiels candidats venant de la diaspora qu’ils pourraient se présenter même s’ils n’avaient pas les 12 mois de résidence permanente exigés par la Constitution. Il a même rassuré que l’armée resterait dans les casernes. Et certains y ont cru. Une fois qu’il a acquis la certitude qu’il y aurait suffisamment de candidats de l’opposition, il n’a tenu aucun compte de ces promesses. Il s’est même servi de la section électorale de la Cour Suprême pour éliminer tous les candidats venus de la diaspora, puis ceux qui dans l’opposition pouvaient gêner ses candidats aux élections des gouverneurs.
Aujourd’hui, on peut affirmer qu’Azali Assoumani contrôle tout le processus électoral. Il est à la fois juge et partie. Il n’a rien laissé au hasard ou au scrutin.
Juge et partie
À la tête du contrôle des listes électorales se trouve un militant de son parti la CRC, comme nous l’avons vu. À la présidence de la CENI, chargée de compiler les résultats, il a placé un autre militant de longue date de la CRC, Saïd Idrissa et un autre militant du même parti, Me Abderemane comme Porte-parole de l’institution. C’est le même Saïd Idrissa que l’on a vu, il y a quelques jours, intervenir dans un débat sur Facebook pour défendre, d’une manière maladroite d’ailleurs, son candidat et chef de parti, en ayant complètement oublié qu’il était le président de la CENI et qu’il ne devait pas prendre part aux débats.
Quant à la Chambre constitutionnelle et électorale de la Cour Suprême dont Azali Assoumani s’est accordé le privilège de nommer tous les membres, il s’en est servi pour se donner le droit d’aller à l’encontre du code électoral qui demande à tous les élus, y compris le chef de l’État, de quitter leurs fonctions, une fois que la liste des candidats à la présidence est affichée. Ensuite, à quelques jours du début de la campagne électorale, il a renvoyé la présidente de cette Chambre constitutionnelle pour placer un autre magistrat, ayant sans doute senti que Harmia Ahmed en avait marre d’aller à l’encontre de la loi et de son serment sur le Coran.
Ces dernières actions du candidat Azali Assoumani montrent qu’il cherche, comme il l’a souvent fait pendant les élections, à amener ses adversaires à la lassitude et à faire en sorte qu’ils abandonnent la campagne. Comme leurs candidatures ont été déjà enregistrées, ils obtiendraient quand même des résultats ridicules. Dans tous les cas, le moins que l’on puisse dire c’est qu’Azali Assoumani garde le contrôle sur tout le processus électoral, il est à la fois juge et partie.