Proclamé vainqueur par la CENI le 16 janvier avec 16,3% de participation et 33.209 électeurs, Azali Assoumani a finalement été désigné par la Cour Suprême comme élu avec un taux de participation de 56,44% et plus de 99 541 votants. Comment un joueur qui a choisi tous les arbitres peut-il perdre un match ?
En 2019, la Cour Suprême dont tous les juges ont été nommés par le candidat Azali Assoumani avait réussi la performance de déclarer ce dernier élu à 59 %, alors que la plupart des urnes entreposées à l’Assemblée nationale n’avaient pas été ouvertes et que de nombreuses autres avaient été détruites. Cette fois, la même Cour dont la présidente a été remerciée par le candidat-président après le début du processus électoral, a réussi a déclaré Azali Assoumani, vainqueur à 57,02%, sans tenir compte des Procès-Verbaux qui ont consigné le comptage des voix et qui portent les signatures des membres des bureaux et assesseurs des candidats. Sans tenir compte des nombreuses irrégularités et bourrages d’urnes filmés et vus par le monde entier.
Des chiffres qui prêtent à confusion
Les Comoriens et la communauté internationale ont été choqués de voir en image, le président de la Commission Électorale Nationale et Indépendante (CENI), Saïd Idrissa, découvrir avec étonnement le chiffre de 16,30% de participation au moment même où ils lisaient en direct son discours de proclamation des résultats. Les 16,30% représentent 55.258 personnes sur les 338.940 Comoriens inscrits sur les listes électorales. La CENI accordait ainsi au vainqueur, Azali Assoumani 33.209 voix, soit environ 10%.
On aurait pu penser qu’après avoir examiné de plus près le discours qu’on lui a donné à lire, Saïd Idrissa reconnaisse ses erreurs et les rectifie, ce qui n’est pas légalement possible, mais aurait un peu sauvé l’image désastreuse que la CENI continue à cultiver depuis le fameux « 104 » (qui était en réalité le fait de la CEII de Ngazidja). Mais, le président de la CENI a confirmé les mêmes chiffres, y compris les chiffres des trois bureaux de la ville de Tsinimoipanga où l’élection n’a pas eu lieu (fait constaté par le candidat Mohamed Daoudou et par la Cour Suprême) et les a déposés à la Cour Suprême.
Théoriquement, comme l’indique le Code électoral, la Cour Suprême reçoit en même temps que la CENI et le ministère de l’Intérieur, les mêmes PV signés des membres des bureaux. Elle devrait donc parvenir aux mêmes résultats que la CENI et ensuite vérifier juste les réclamations des candidats et faire quelques réglages à la marge. La variation entre les chiffres de la CENI et ceux auxquels parvient la Cour Suprême n’est généralement pas très importante. Mais, cette fois, la Cour Suprême est allée très loin donnant des chiffres complètement différents de ceux de la CENI, sans expliquer d’où ils les sortent.
Les chiffres mystères de la Cour Suprême
On peut noter tout d’abord que les juges, tous nommés par le candidat Azali Assoumani, ont annulé un nombre important de bureaux de vote. Pour la plupart d’entre eux, le bourrage était trop évident (nombre de votants supérieur au nombre figurant sur la liste électorale). Pourtant, elle va trouver un nombre de votants de 191.297, soit près de quatre fois plus que le chiffre de la CENI (55.258), ce qui lui permet d’arriver à 56,44% de participation. Les juges de la Cour Suprême accordent au président qui les a désignés 99.541 électeurs, soit trois fois plus que les voix données par la CENI. Une telle différence entre les chiffres de la CENI et ceux de la Cour Suprême, c’est du jamais vu dans l’histoire électorale des Comores ou d’un autre pays. On peut dire que la Cour Suprême a joué le rôle du ministère de l’Intérieur et de la CENI en ne tenant pas compte de leur comptage, alors que ces trois instances sont censées avoir eu les mêmes PV. C’est un terrible désaveu de la CENI et le président de cette institution, Saïd Idrissa qui se vantait pourtant d’être un juriste et d’être en mesure d’organiser des élections irréprochables. Il devrait lui-même se poser la question de son maintien à la tête de la CENI, au vu de toutes ces « erreurs ».
La Cour Suprême aurait pu chasser les forts soupçons de fraude en fournissant aux candidats et aux citoyens comoriens un tableau récapitulatif des résultats bureau par bureau. Cela aurait permis, en toute transparence, aux candidats de comparer avec les chiffres qui sont sur les PV. Elle n’a pas jugé cela nécessaire et renforce ainsi l’idée que ce sont, comme en 2019, des chiffres fabriqués par l’équipe de campagne du président sortant. Elle n’a que superficiellement examiné les nombreuses fraudes dont les Comoriens ont été témoins directs ou indirects à travers de nombreuses vidéos ou des audios comme celui du fils et conseiller spécial d’Azali, Nour el Fath qui donne des instructions pour bourrer les urnes dès que possible. Il faut dire que dans leur renonciation à examiner les faits, les juges de la Cour Suprême ont été amplement aidés par le manque de sérieux et de rigueur des avocats des candidats qui devaient rapporter chaque infraction, bureau par bureau, avec les preuves correspondantes, et qui se sont contentés de peu pour exiger l’annulation globale du scrutin, ce qui n’a jamais été fait aux Comores depuis que les Comoriens votent en 1945.
La Cour Suprême avait des délégués sur le terrain, elle n’a pas pu ne pas constater ce que tous les Comoriens ont vu. Or la loi électorale lui permet de constater elle-même les fraudes sur le terrain. Elle a tout simplement refusé de les voir.
Les candidats comme les journalistes et les observateurs impartiaux continuent à se demander sur quels PV se basent les décisions de la Cour qui valident une industrie de la fraude mise en place par le clan Azali. Aujourd’hui, aucun Comorien ne peut confirmer matériellement les chiffres inventés par le ministère de l’Intérieur et validés par la Cour Suprême. Les 57,2% s’apparentent à un coup de bluff mis en place par la direction de campagne d’Azali Assoumani. On aurait envie de rire et de dire : « Passons à autre chose », mais le bluff a du mal à passer et il y a, même s’ils ne le reconnaissent pas, de la tristesse et de la déception sur les visages et dans les voix d’une grande majorité des Comoriens, comme si malgré les évidences qui apparaissaient avant la campagne électorale, ils avaient fini par croire qu’ils pouvaient juguler la fraude industrielle qui se préparait au niveau du gouvernement et du président-candidat.
La fraude et après ?
Les partisans de la dictature, du moins une fraction d’entre eux, fêtent leurs victoires dans des hôtels, des twarabs et dans des processions, faites aussi pour narguer les partisans de l’opposition, à l’image du comportement de la première dame, Ambari Darouèche, qui dans ces fêtes à Ngazidja a pris la parole plusieurs fois pour décrocher des flèches venimeuses à ses adversaires, comme pour se libérer elle-même d’une peur qu’elle traine depuis des mois.
La fraude massive, mais surtout l’incompatibilité entre les chiffres présentés par la CENI et ceux officialisés par la Cour Suprême crée un malaise, même parmi lesdits vainqueurs, qui ont porté des réclamations. Encore une fois l’élection d’Azali Assoumani n’est pas crédible et l’ancien colonel putschiste va s’imposer uniquement parce que c’est lui qui contrôle l’armée. Cette incertitude et ce manque de confiance envers un gouvernement qui parait illégitime, c’est ce que vivent les Comoriens depuis 2018. Cela crée la division et enraye toute possibilité de développement du pays.
Sorti de ces élections ratées, conscient de ne pas avoir de majorité, le gouvernement Azali ne peut même pas se mettre au travail pour tenter de relever un pays qui s’enfonce et qui n’arrive toujours pas à satisfaire ses besoins essentiels (eau, électricité, nourriture…). Ce gouvernement va devoir faire face à une crise postélectorale, avec son lot d’arrestations et de libérations en cours, puis pendant plusieurs mois, imaginer diverses stratégies pour donner l’illusion d’avoir remporté les élections législatives et municipales de l’année prochaine.
Quant à l’opposition qui ne fait de politique que pendant les élections, elle va être occupée dans le même faux débat de participer ou ne pas participer aux élections législatives et municipales.
Après les élections, dont l’issue est aisément prévisible au regard de la situation actuelle où les arbitres (CNTDE, CEII, CENI et Cour Suprême) sont contrôlés par les militants du parti au pouvoir ou par le chef de l’État, le pays risque d’entrer dans une nouvelle crise postélectorale. Cela peut durer une année ou deux, puis le chef de l’État qui n’a aucune intention de quitter le pouvoir pourrait engager une réforme de la Constitution pour éliminer d’une manière définitive la tournante. Après cela, il pourra se lancer dans la préparation des élections présidentielles de 2029.
C’est certes un calendrier et des prévisions catastrophiques pour le pays, mais nous y allons tout droit. À moins qu’une solution ne parvienne à mettre fin à la concentration de tous les pouvoirs entre les mains du clan Azali.