En cette année 2022, les Comores fêtent, comme depuis 47 ans, l’accession à l’indépendance, une énième fois sous Azali Assoumani. Les Comores n’ont pas changé de cap, au contraire depuis six ans, le pays vogue sous la même tempête dont les coups s’abattent violemment sur le quotidien des Comoriens.
Par Nezif-Hadj IBRAHIM
Misère sociale, l’hôpital public en ruine, l’école publique en déliquescence, la sécurité publique plus que préoccupante, la majorité des Comoriens vit difficilement. Cette fête a été boudée cette année à Fomboni comme à Mutsamudu, alors que d’habitude les autorités insulaires célèbrent de leur côté uhuru.
Clientélisme : la bourgeoisie se taille la part du lion
Le jeu de chaise musicale symbolise l’élite comorienne. La plupart de ceux qui gouvernent avec Azali Assoumani aujourd’hui étaient présents autour de Sambi, ensuite d’Ikililou Dhoinine. Cette attitude qui consiste à se rassembler autour des privilèges qu’offre la chose publique indépendamment des idéologies politiques de chacun ou de leurs principes, démontre la motivation des uns et des autres au sein de la classe politique comorienne. N’apportant rien de nouveau dans la gestion des pouvoirs publics, les personnalités comme Sounhadj Attoumane, Anissi Chamsidine, Sitti Farouata Mouhidine, Mohamed Ismaila, Houmed Msaidié, ou dernièrement Hamadi Madi Boléro, ont la fâcheuse tendance à savoir se mettre à l’abri en profitant de ce qu’on nomme péjorativement le « système ».
Du côté du peuple, la vie n’évolue guère. D’ailleurs, elle va de mal en pis. La pauvreté s’intensifie, et l’espoir demeure un état d’esprit dont les plus audacieux s’y laissent embrasser en attendant des jours meilleurs, à vrai dire, en espérant qu’un jour ou l’autre ils intègrent ce système clientéliste. Puisque « ezi mvuli » (« le pouvoir est une protection ») et l’élite politique l’a compris. Ne pas payer de carburant pour se déplacer, ni réfléchir à comment se nourrir ou nourrir les siens, ne pas se soucier du comment se soigner où soigner les siens tout simplement en prêtant allégeance à Azali Assoumani, beaucoup n’hésitent pas, quitte à se faire passer pour « des prostituées politiques » ou « des politiciens sans conviction ». Le dernier en date c’est Issihaka Himidi, ancien commissaire aux finances de Hassani Hamadi.
Le problème avec ces changements de vestes traditionnels au sein de la classe politique comorienne, c’est la légitimité qu’elle rencontre auprès de la population des différentes localités d’où sont originaires les hommes et femmes politiques. Ce qui fait que fréquemment, ces nominations passent pour des stratégies politiques pour le dirigeant puisqu’elles s’accompagnent d’une adhésion des localités bénéficiaires à la politique du pouvoir. Alors que le nommé ne peut réellement changer le quotidien de ses proches concitoyens, d’un point de vue géographique, une forme de reconnaissance alimente un certain esprit grégaire et communautaire. Les villages deviennent par ce procédé des entités politiques univoques qui profitent aux plus représentatifs au détriment des individualités. Alors que la démocratie c’est l’expression libre de chaque détenteur d’une carte électorale. Et plus une localité résiste, plus sa cote en termes de nomination augmente auprès du pouvoir, et plus les cadres se frottent les mains et la population baigne dans la désolation.
Un système qui entretient la pauvreté
Le champ politique est un terrain sur lequel se confrontent différentes idées, souvent contradictoires, plus particulièrement des idées se rapportant à la gestion de la chose publique. Et grâce aux élections, c’est-à-dire à la démocratie, cette concurrence offre à la population la faculté de choisir celui qui porte le mieux ses aspirations et qui pourrait donc améliorer la vie de la collectivité et de ses membres. En revanche, aux Comores, ce paramètre du régime démocratique n’est pas opérant. La majorité des localités, sinon des régions, sont considérées comme des fiefs des hommes politiques. Maintenant que la démocratie est mise à genoux, c’est encore plus manifeste d’observer ce postulat selon lequel des ensembles de population se fondent sur la personnalité des figures politiques. Et entre ces personnages de la scène politique et leurs localités, c’est le clientélisme qui les lie.
Azali Assoumani perpétue et renforce cette pratique. Il ne lui est pas nécessaire de vouloir améliorer la vie des Comoriens. Il lui suffirait de recruter dans son équipe celui qui est le plus apte à influer sur la sympathie des populations. D’ailleurs dernièrement, quand il a dirigé la prière à Ntsudjini, ville considérée comme charnière pour l’opposition, ses partisans ont réclamé une victoire politique qu’on peut mettre sous le compte de la nomination d’Ahmed Ali Bazi en tant que ministre de l’Économie. Au milieu de toutes ces stratégies élitistes et politiques pour perpétuer l’exercice du pouvoir, c’est le pays qui se trouve privé d’un mécanisme politique, dont la finalité est de toujours pousser les décideurs à se surpasser pour apporter des jours meilleurs à la population. Malheureusement, cette dernière est aussi complice de sa propre paupérisation. Croyant ne pas avoir le choix du fait que le système revêt un aspect normatif qui s’impose à la société. Cet état des choses peut être corrigé, seulement un certain conservatisme tient la situation en l’état. De toute façon, il incombe à la population de se détacher de l’influence des figures politiques traditionnelles, principales bénéficiaires du système.
Une jeunesse méprisée
Sous Azali Assoumani, les jeunes ne sont pas la priorité. Pourtant pour certains le fait que celui-ci s’est entouré de jeunes signifie qu’il se préoccupe de la cause de la jeunesse. Sauf qu’en réalité il s’agit encore une fois d’une stratégie clientéliste. Les jeunes choisis répondent avant tout aux critères d’allégeance, ce n’est pas parce qu’ils peuvent mieux servir la population qu’ils ont été nommés à des postes politiques, c’est parce qu’ils ont accepté de servir le régime et ses intérêts qu’ils ont été choisis. Ensuite, ils vont satisfaire à une exigence de communication, la jeunesse étant la majorité démographique du pays, les mettre en avant serait un signal apparemment fort. Enfin ce ne sont pas des jeunes de l’ombre qui ont bénéficié des nominations. Ils sont d’abord des jeunes connus, donc influents, qui servent dans une certaine mesure à dédiaboliser le régime. À part tout cela, la jeunesse comorienne est en manque de perspectives et cela s’avère structurel. Pour le moment aucune solution structurelle n’est réellement proposée. De toute façon, on ressent déjà les conséquences du désespoir. L’augmentation de l’insécurité est un fait, elle s’exprime par des phénomènes nouveaux.
Actuellement, la vie est chère et une pénurie multiforme s’assoit sur le quotidien des familles. Pour le gouvernement c’est dans l’ordre naturel des choses, notamment au regard de la situation économique mondiale. Alors que pour eux, cette situation ne les touche point. Ils sont à l’abri grâce à l’argent du peuple.