MbaeSoly Mohamed plus connu sous le pseudonyme de Soly est un poète, slameur franco-comorien qui vit à Marseille. Il vient de publier aux éditions Coelacanthe deux recueils Mots et cris et Maux écrits. Hawaou Mohamed Elhad
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Avant toute lecture, inspecter la couverture. Il y a une fumée, s’agit-il d’une éruption volcanique, de bombardements … ? Bombardements, car en dessous je vois un char au-dessus d’une plage recouverte d’une couleur rouge, du sang peut-être. Derrière ce char, on aperçoit des « ombres », un personnage avec une arme, est-ce un homme des forces de l’ordre ?
« Ne jugez pas un livre par sa couverture ».
Au tour de cet homme se trouve une foule, manifestants ou migrants ?
Un kwassa-kwassa, comme on les appelle chez nous, j’en aperçois un et il est bien rempli. S’agit-il des kwasa-kwasa qui vont vers Mayotte ou des migrants vers l’Europe ?
Et cette jeune femme et/ou mère en larmes …
Cette femme porte un foulard (est-elle musulmane ?), un « shiromani » et un « kandzu » anjouanais. Mais son visage et ses quelques mèches de cheveux qui dépassent me font douter.
Cette femme porte un « enfant ». Ce dernier écrit, mais celui-ci ne fait pas son âge. Il a une moustache. Est-ce l’effet du dérèglement climatique ou la magie de l’application Faceapp ?
« Le chef-d’œuvre de Dieu, c’est le cœur d’une mère » (d’André Grétry)
Vingt-six textes que j’ai lus et relus, vingt-six textes énumérant quelques maux de ce monde en des mots faciles et profonds en même temps. Vingt-six textes comme l’alphabet français, dont six textessont dédiésà la maman de l’auteur,Tahamida Ahamada Mfougoulie, six comme les six voyelles de cet alphabet.Les titres comme « Eté Glacé », « Lune noire », « Mal de Mère », « Vide évident », « Un peu et tout de toi » sont un jeu de mots pour apaiser des maux.
« Eté Glacé », c’est un des textes dédiés à la mère de l’auteur. J’ai lu ce recueil deux fois, l’émotion était poignante, à chaque fois.La perte et l’absence d’une maman, on ne s’y habitue jamais et chaque vers te donne des frissons, mais je retiens ceux qui résument tout :
« Au fil amer des souvenirs lentement je débobine
Du coin de ma mémoire des mots orphelins » […]
« Que vais-je faire Mère de mes questions sans réponses
Tout mon univers n’est plus que tourments et incertitudes
Le sourire aux lèvres tu as tiré ta dernière révérence
Dieu du ciel, y a-t-il sur cette Terre plus grande solitude ».
La maman est à la fois une boussole et une lampe torche, qui guide chacun de nos pas dans ce monde de maux, ressemblant à une jungle. Le plus grand mal d’un être ne serait-il pas cette perte ?
L’«homme de ma vie ».
Six textes dédiésà Salim Hatubou, que l’auteur surnomme ici «homme de ma vie ». Parmi ces textes, « Mots d’Amour à Mère » est dédié àTahamida et Salim, car ce dernier avait lui aussi perdu sa maman,Riama. Les deux hommes partageaient donc un « mal commun ».
Après Ibrahim et Tahamida, cette fois-ci l’auteur rend hommage à son frère Salim Hatubou dans le texte intitulé « Vieux ! »
Ce texte est parsemé de mots et expressions comme « texto », « FB », « p’tit », « STP », « comme d’hab … », un vrai langage d’ado. On ressent cette affinité, cette complicité de vrais potes, j’ose dire. Dans certains vers on s’aperçoit des titres de bouquins de Salim comme Marâtre, ou L’odeur du béton. L’auteur se remémore aussi leurs discussions, leurs projets, en somme leur « tout et rien ».
Je retiens : « même quelques secondes, te voir sourire de toutes tes dents dehors », référence auprincipal personnage deMarâtre.
Je retiens surtout :
« Vieux, si on se prenait un café tous les deux
Pour renouveler nos serments et nos vœux
Histoire de nous dire au revoir ou même adieu
Peut-être qu’après, je me sentirai un peu mieux »
Ce passage me fait penser à tous ces êtres chers qui sont partis « trop tôt » laissant derrière eux des habitudes que l’on doit vivre « sans et avec eux en nous ».
La violence faite aux enfants et aux femmes
Les quinze autres textes tournent autour d’autres maux. Comme le dit l’auteur au tout début :
« Comment traduire les maux de ce bas monde
En mots, en quelques vers, tant
De tous temps et de toutes saisons
Les maux qui frappent l’Humanité abondent … »
Plusieurs thèmes sont abordés, je dirais plutôt plusieurs maux sont listés : xénophobie, racisme, sexisme, violences faites aux femmes, la guerre et l’injustice. Mais aussi, un hommage à Ibrahim Ali, à Abdoulaye N’Diaye, « dernier tirailleur sénégalais, mort le 10 novembre 1998 à 104 ans alors qu’il choisissait son boubou pour la cérémonie du lendemain ou on allait lui remettre la Légion d’honneur », aux victimes de la Traite négrière, période pendant laquelle les noirs étaient considérés comme des « sous-hommes », ceux du printemps arabe, ceux du crash du vol de la compagnie Yemenia, ainsi qu’à ceux des kwasa-kwasa vers Mayotte, formant le « plus grand cimetière marin du monde ».
Le premier texte « Mots pour Maux du Monde », on pourrait le dédier aux petites filles violées de chez nous et d’ailleurs, car c’est « triste, glauque, sordide et nauséabonde ». Dès le premier vers, ma pensée s’est dirigée vers elles.
Sous ce silence, sachez qu’il s’agit de larmes sous un oreiller, il s’agit d’une peur inavouée, il s’agit d’une enfance, d’une vie, et de rêves gâchés, volés,mais surtout il s’agit d’un crime immonde contre notre humanité.
Certaines petites filles ne disent rien, car il s’agit de l’oncle, du père en somme un membre ou proche de la famille. Et qui va croire à sa parole de petite gamine ? Elles se taisent pour toujours.
Certaines familles disent « on se fera justice nous-mêmes, car la justice est injuste ».
Ailleurs il ya les soi-disant balles perdues, veulent-ils nous faire croire ici l’existence de« sexes perdus » ?Tant de maux, oui, sur ce bas monde et aucun mot ne peut vraiment les décrire,seulement les effleurer.
Les Murs/intime ennemi, ici l’auteur rend hommage à toutes ces femmes battues, mortes sous les coups de leur « intime ennemi ». Hommage à ces femmes qui n’osent avouer leurs cauchemars et qui sont dans l’espoir que ça change ou changera un jour. Hommage à toutes les femmes qui « tombent love d’un voyou ». Un seul mot « STOP ».
Les richesses de l’Afrique
L’Afrique détient de grandes richesses sous la forme deressources naturelles, pourtant elle est le continent le plus pauvre.
Dans le texte « Conscience africaine », treize noms sont cités, ce sont treize grandes personnalités africaines.
Il est dit « ces consciences africaines qui nous appellent à l’éveil, à la résistance », ce passage me rappelle la fameuse expression de Sankara disant : « la patrie ou la mort ». Dorénavant, certains d’entre nous cacheront leurs passeports et pièces d’identité par honte de leur « patrie ».
« Notre histoire bradée, notre mémoire formatée
Pour des paradis fiscaux et des devises de sang
Nos héros, nos légendes, des lambeaux de fierté
Pour aliénés mentaux et rêveurs impénitents »
On ne peut lire ce passage sans penseràtoutes ces personnes qui peuvent beaucoup apporterà leur pays, mais qui font profil bas par peur de représailles ou encoreà ces « cerveaux » qui quittent leur pays, en ayant comme philosophie : « Vaut mieux qu’un patron d’une autre nationalité me maltraite, que mon compatriote qui est censé être mon frère ».
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