Daba, l’enfant qui n’aimait pas l’école.
« Hala halele pvwa kaya mdru mbaba na mdru mdzadze… », un ciel rempli d’étoiles, une koko assise au milieu de ses petits-enfants : les ingrédients d’une soirée féerique, gage de souvenirs d’enfance inoubliables sur l’archipel de la Lune. Par Nawal Msaïdié
Le hale, conte traditionnel comorien, peut aujourd’hui se transmettre à l’écrit mais aussi grâce au spectacle vivant. Salim Hatubou est l’un des précurseurs de ce mode de transmission de notre culture.
L’oraliture
En 1994 paraît la première publication de Salim Hatubou : Contes de ma grand-mère. Cette publication montre son attachement à une forme de littérature traditionnelle des Comores, le hale. Le hale s’inscrit dans la littérature traditionnelle africaine. Dans le conte africain, il s’agit de créer un récit qui doit refléter les aspirations, les espérances de l’auditoire. « Autrement dit, la narration nécessite des arguments, des commentaires, des réflexions, des techniques de persuasion à la hauteur des attentes populaires sur un sujet donné. Le conteur doit alors s’armer de beaucoup d’imagination et de créativité. C’est à partir de là que le conteur recourt aux proverbes, dictons, devinettes, expressions et autres rhétoriques de l’oralité afin de rendre son ou ses récits mémorables pour sa communauté. En effet, il faut inventer les personnages (…) imaginer leurs actions, leurs fonctions, leur donner la parole et les mettre en scène dans un conflit irréel ou vraisemblable (…) De plus, en Afrique traditionnelle, une soirée de conte est généralement un moment de joie, de fête et de détente communautaire » (Rodrigue Homero Saturnin Barbe, « Les traditions orales en Afrique : une exploration du conte comme source d’inspiration du théâtre moderne africain” in O. Fertat et Z. Makach, Les arts du spectacle dans l’Afrique subsaharienne.)
Daba, l’enfant qui n’aimait pas l’école : l’écriture d’un hale intemporel
Daba est un livre destiné aux jeunes lecteurs. L’histoire se passe il y a « longtemps, très longtemps, très très longtemps », plusieurs expressions donnent au lecteur l’impression d’être un véritable griot.
Neuf personnages humains et des animaux composent l’œuvre de Salim Hatubou. Le personnage principal est un jeune garçon qui refuse d’aller à l’école qu’on nomme « Daba wure » (littéralement « L’idiot qui bave », expression populaire et très offensante pour la personne ainsi désignée, car il ne peut avoir plus idiot que lui).
Daba vit avec sa mère et son petit frère, il est souvent envoyé chez l’amie de sa mère, Hadidja. Le rôle de la tante est aussi primordial que celui de la mère dans l’éducation de l’enfant; le fait que la mère puisse toujours compter sur la tante pour l’aider démontre aussi l’ancrage du conte dans le mode de vie de la société comorienne.
Les mésaventures qu’il vit entre son domicile et chez sa tante Hadidja, avec ses amis animaux lui permettent de se rendre compte qu’il doit retourner à l’école pour connaître et comprendre les événements qui se produisent au quotidien. La morale du conte est donc l’importance de l’éducation et de l’accès à l’éducation pour se débrouiller dans la vie.
On apprend à la fin de l’histoire que « Daba Wure » est en fait Ibnuasia enfant, le malin personnage connu de tous les Comoriens.
Les codes du hale sont respectés tout au long du récit. Daba est un conte qui peut parler à tous les initiés au conte traditionnel, mais c’est aussi un conte universel que la Compagnie Stratagème a décidé de mettre en scène dans un spectacle de marionnettes, deux ans après la disparition de l’auteur.
Le spectacle vivant : une valorisation moderne du conte
Salim Hatubou n’était pas qu’un conteur, il était aussi dramaturge. Nombreux sont ses textes qui ont été adaptés sur scène.
En juin 2017, la Compagnie Stratagème met en scène Daba, l’enfant qui n’ aimait pas l’école (https://www.theatre-stratageme.fr/daba) en adoptant une forme tout à fait originale : le spectacle de marionnettes. Les différents personnages sont représentés par des marionnettes manipulées par les acteurs de la compagnie Soumette Ahmed et Thomas Bréant.
Assister au spectacle, joué dans l’archipel des Comores vous permet, en tant qu’adulte, non seulement de voir des enfants émerveillés de bout en bout devant un spectateur créé pour eux et qui parle le même langage qu’eux, mais aussi de vous replonger dans des souvenirs d’enfance grâce aux personnages qui prennent vie : un hale joué, animé de façon inédite.
Le spectacle est aussi conçu comme un outil pédagogique pour favoriser l’accès à la culture à des enfants vivant sur des territoires où le secteur culturel bénéficie de peu de lieux et de moyens. EnCCAC dehors des lieux de spectacles habituels, les acteurs de la compagnie interviennent aussi dans les milieux scolaires à Mayotte entre autres. Ils transmettent aux enfants leur passion du conte, de la création et du spectacle vivant en général de façon ludique et divertissante.
La transmission de l’art oratoire, art ancestral en Afrique et aux Comores est ainsi pérennisée.
Soumette Ahmed, nous a confié que l’un des projets de Salim Hatubou était de créer une section consacrée aux enfants au Centre de création culturel et artistique (CCAC) des Comores. C’est un projet qui tient à cœur au président de cette structure qui a à cœur de partager l’héritage de l’auteur disparu.
En hommage à Salim Hatubou, le 31 mars, jour de sa disparition, un spectacle jeune public sera présenté sur invitation au CCAC, 4 petites notes d’amitié, un spectacle en musique mis en scène par Soumette Ahmed.
La création littéraire et la création artistique qui en résulte font toute l’originalité de l l’œuvre de Salim Hatubou. Les créations de Salim sont et restent des éléments importants de notre secteur culturel.
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