Le 31 mars 2015, la nouvelle s’est répandue à Marseille et dans la diaspora avant de parvenir à Moroni, aux Comores. L’écrivain Salim Hatubou, cet écrivain aux mille talents, cet ami de tous venait de décéder soudainement d’un arrêt du cœur, à presque 43 ans. Au fil des années, nous mesurons l’immensité de la perte par le fait qu’aucun autre écrivain ne l’a remplacé dans les diverses activités qu’il exerçait, en tant qu’écrivain et acteur du monde culturel. Par Mahmoud Ibrahime
Depuis sa mort, à cette période de l’année, les activités se multiplient aux Comores et surtout dans la diaspora comorienne, à Paris et à Marseille, pour honorer sa mémoire et rappeler tout ce que cet enfant de Hahaya et de Marseille a apporté de visibilité à son pays dans le monde littéraire. Malheureusement, avec la crise sanitaire, ces commémorations ont été annulées l’année dernière et n’ont pas été organisées cette année non plus.
Bercé par les livres et les contes
L’écrivain a été à la fois conteur, romancier, poète, dramaturge, comédien, conférencier… Il a fait de nombreuses interventions auprès des écoliers en France et dans les quatre îles de l’archipel, des étudiants, de chercheurs et dans de nombreux pays, le dernier étant le Japon où avec des universitaires, il a produit deux tomes de recueils de contes comoriens, en shingazidja et en japonais. L’ouvrage ne nous est parvenu que quelques mois après sa mort.
Salim Hatubou est né au bord de la mer, dans la ville de Hahaya, le 20 juin 1972. Sa passion des livres lui vient de sa mère. Cette femme qui avait vécu à Zanzibar était soudain revenue dans son pays d’origine après la révolution Okello. Et elle avait dans ses malles de nombreuses richesses, en livres. Elle a été emportée par le choléra qui sévissait aux Comores au début de l’année 1975.
Orphelin de mère très tôt, à trois ans, Salim Hatubou voit aussi son père partir en France l’année suivante. Il est élevé par sa grand-mère et se console avec les veillées que celle-ci organise certains soirs pour les enfants de la famille et du quartier. Il est donc bercé dès l’enfance par les livres de sa mère et la voix de sa grand-mère qui lui chante les contes du pays.
À l’âge de 11 ans, il débarque dans les quartiers nord pour rejoindre son père, remarié. Il y passe son adolescence et à l’âge adulte ne peut plus quitter la ville devenue sa deuxième patrie.
Entre l’imaginaire et l’engagement
La littérature comorienne est dominée par le réalisme. Les romans, la poésie et les pièces de théâtre sont basés sur l’histoire, la société (notamment le grand-mariage) ou encore l’histoire de l’archipel. Et souvent, le récit ou la poésie vire à l’autobiographie.
Avec les contes et sa manière particulière de tenir en haleine ou d’amuser son lecteur au fil de la lecture, Salim Hatubou a installé l’imaginaire au centre de la littérature comorienne. Il est entré en littérature avec ce qu’il maîtrisait le mieux, les contes (Contes de ma grand-mère, L’Harmattan, 1994) et depuis, il n’a cessé d’inventer des histoires tout droit sorties de son imagination.
Quand, il aborde la réalité sociale des Comores (Le sang de l’obéissance, L’Harmattan, 1996) ou de Marseille (L’odeur du béton, L’Harmattan, 1999), pour s’arrêter à ces deux exemples, c’est pour plaider pour une meilleure vie pour la jeunesse, refuser les carcans de la tradition qui détruisent les jeunes filles ou le chômage qui empêchent les jeunes issus de l’immigration de s’insérer et d’avoir une vie normale.
Mais, quand la réalité est trop dure, il l’embellit comme il l’a merveilleusement fait pour ses jeunes lecteurs et pour les adultes dans L’avion de maman a craché (Coelacanthe, 2011). Le crash de l’avion de la Yemenia en 2009 est sublimé par des histoires complètement inventées qui permettent même aux enfants d’appréhender ce qu’a pu être ce traumatisme pour les familles.
Salim Hatubou était aussi un acteur culturel d’importance. Il enchainait les projets entre Marseille, Paris, Moroni et Mayotte. Deux ans avant sa mort, en 2013, il avait réussi à obtenir une subvention de l’État comorien et de la Préfecture de Mayotte, entre autres pour organiser les Escales littéraires. Il a associé tous les écrivains comoriens et de nombreux amis étrangers pour faire le tour des quatre îles pour parler de littérature, mais aussi la faire vivre par des prestations scéniques. L’événement était prévu pour se dérouler tous les deux ans. En 2015, il était donc en pleine préparation de la deuxième édition. Aucun autre écrivain n’a jusqu’à aujourd’hui repris le concept.
Plus de trente ouvrages parus avant sa mort, Salim a beaucoup écrit et il a abordé tous les genres. Si l’imagination domine son œuvre, parmi les derniers manuscrits sur lesquels il travaillait, il y a ceux qui l’ont amené à revisiter l’histoires des Comoriens à Zanzibar, chassés par les révolutionnaires d’Okello ou ceux qui ont dû quitter Madagascar rapidement pour éviter la mort. Il est certain que dans les années à venir d’autres livres de Salim Hatubou viendront enrichir la littérature comorienne, d’abord parce qu’il y a encore plusieurs manuscrits et que son verbe, son humour, voire son sarcasme manquent à beaucoup de ses lecteurs.
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