La promesse gouvernementale de procéder au dragage du port de Mutsamudu date d’il y a un an. Elle serait en passe de se concrétiser, avant la fin de cette année, si on en croit les dire d’une source fiable au sein l’Anjouan Stevedoring Compagny(ASC), la compagnie manutentionnaire du port depuis 2003. Mais, il y a tellement eu d’annonces à ce sujet que la prudence s’impose. Par KAY
Le seul port en eau profonde des Comores indépendantes a été construit en 1982 à Mutsamudu, chef-lieu de l’île d’Anjouan. Il va être débarrassé de l’envasement qui l’obstrue par manque d’entretien depuis un bon moment. La compagnie réunionnaise responsable des travaux avait dépêché en catimini une équipe au début de ce mois juillet pour faire les derniers prélèvements avant le début des opérations de dragage prévues en théorie fin septembre ou début octobre, d’après notre source au sein d’Anjouan Stevedoring Company (ASC). C’est cette compagnie privée qui prend en charge le financement de la totalité de l’opération. Pourtant, c’est une mission qui, en théorie relève des obligations de l’État selon le contrat de concession qui lie le gouvernement et l’ASC. La tâche devrait revenir à la Société des Ports des Comores (SPC), tout comme l’entretien en général des installations portuaires.
Le coût et l’étendue des travaux restent pour l’instant inconnus. De l’avis de certains techniciens, la tâche s’annonce titanesque si l’on tient compte de l’importance de l’envasement actuel. Il s’est écoulé près de 12 ans après la dernière opération de dragage effectuée par une compagnie kenyane (Alpha Logistics) en décembre 2009.
En 2009, le port n’était pas aussi envasé que maintenant.
Le port devait être nettoyé tous les cinq ou six ans comme le recommandait le dossier technique lors de la réception de l’infrastructure. Il a fallu 27 ans pour qu’un premier dragage soit fait. Le paradoxe c’est qu’aujourd’hui le port est plus évasé qu’il ne l’était en 2009 lors du premier dragage. Pour s’en rendre compte, il faut voir l’état d’obstruction du lit de la rivière de Mutsamudu à l’embouchure. Si rien n’est fait à ce niveau, les deux ponts en amont risquent de céder et rendre le port inopérant à tout moment.
En janvier 1983, le cyclone Elinah avait déjà menacé ces ponts avec une crue qui avait débordé et les avait mis à rude épreuve. Et pourtant, en 1983, la hauteur entre le lit de la rivière et le pont était élevée. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Le déversement non maîtrisé des ordures le long de la rivière de Mutsamudu et l’érosion accélérée due en partie à l’urbanisation sauvage le long de la rivière ont vite démenti les prévisions.
Il y a trois ans nous avons assisté à un échouage spectaculaire d’un cargo et c’était quelque chose d’impensable pour ceux qui connaissent la profondeur de la zone d’encrage du port et pourtant…
À l’origine, 1a profondeur de quai de chargement était comprise entre 7,1 et 9,1 mètres pour une longueur de quai d’environ 150 mètres. Il serait aujourd’hui réduit à moins de 6 m. Ce qui complique les manœuvres d’accostage des cargos de moyenne calibre d’après des informations recueillies auprès de la capitainerie de Mutsamudu.
Le renouvellement du contrat de l’ASC en perspective
En attendant de connaître le dossier technique de l’opération prévue et son coût, il faut se demander si cette opération, si médiatisée il y a un an par le gouvernement comme étant l’un des projets phares de l’émergence 2030 à Anjouan, n’est pas en réalité qu’une opération de charme de la part de la Société Spanfreight, la maison-mère de l’ASC. Elle risquait de perdre sa licence exclusive d’exploitation de la manutention au port dont le contrat est arrivé à terme depuis le 15 mai 2019 et prolongé deux fois en l’espace de deux ans en mai 2019 et en décembre 2020. Le 17 juin 2021, rebelote pour la troisième fois. Par l’arrêté n°21008MTMA/Cab, consulté par Masiwa, le gouvernement prolonge à nouveau jusqu’en septembre 2021 le contrat de bail et autorise le concessionnaire ASC « …à garantir les missions de service public objet de son contrat dans les mêmes termes et conditions jusqu’à la conclusion d’un nouveau contrat sur la base des négociations avec le Gouvernement de l’Union des Comores ». L’arrêté précise en outre que « Le Gouvernement de L’Union des Comores, représenté par le ministre des Transports maritimes et aériens et celui des Finances, du Budget et du Secteur bancaire sont en cours de négociations pour la conclusion d’un nouveau contrat. Ce présent arrêté sera abrogé de plein droit après signature d’un autre contrat de concession soit le 30 septernbre 202l ».
Une promesse annoncée par le Directeur de cabinet du président en 2020
Rappelons que le 21 septembre 2020, le directeur de cabinet du président de la République, Youssoufa Mohamed Ali (Belou) avait annoncé que les travaux de dragage du port de Mutsamudu allaient démarrer « bientôt ». À l’époque c’était une question de semaines, de mois puis d’année. Cette annonce a été faite dans le cadre d’un marathon présidentiel à Mohéli et à Anjouan afin d’évaluer l’état d’avancement des chantiers en activité dans le cadre du projet Émergence 2030 initié par le président Azali Assoumani.
Selon Belou, les eaux des pluies et autres détritus avaient rempli le port et empêchaient les grands bateaux qui ont besoin de profondeur d’accoster. Cela exigeait des travaux de dragage sans tarder. Azali était allé un peu plus loin en annonçant que les travaux allaient démarrer sous peu. Il avait tout de même pris le soin d’espérer qu’après ce dragage, le port de Mutsamudu allait être opérationnel à 85%. Depuis un an, le projet s’enlise et ressuscite au gré des relations tendues entre l’ASC et l’État comorien. Le dragage qui devait se faire à la fin de l’année dernière est toujours resté en phase de projet. Puis, l’ASC montre des signes de réactivation en ce mois de juillet par cette mission d’étude réunionnaise mandatée par la Société Spanfreight, qui arrive dans l’île et au port, sans en informer le service portuaire, d’après un agent très bien renseigné de la SPC.
En décembre 2020, Masiwa avait déjà approché un responsable de l’ASC et ce dernier avait laissé entendre que le dragage risquait d’accuser un retard au démarrage à cause de la Covid. Nous avons appris par la suite que c’était plutôt en raison d’incompréhensions profondes entre le gouvernement comorien et l’ASC. Spanfrieight hésitait à mettre la main tout de suite dans la poche en sachant que le gouvernement cherchait à l’évincer du port.
Un secret… de la comédie.
En fait, depuis le retour au pouvoir d’Azali Assoumani en 2016, le départ de l’ASC du port de Mutsamudu était presque acté sans que personne ne sache les vraies motivations. Les relations conflictuelles, en dents de scie, entre l’État comorien et l’ASC semblaient avoir mis fin à tout espoir de dragage.
Il semble qu’après avoir cherché en vain un repreneur à la taille de Spanfreight, le gouvernement comorien serait actuellement en train de « redraguer » Spanfreight pour obtenir le dragage du port de Mutsamudu. Spanfreight sachant quant à elle qu’elle est sur un siège éjectable lâcherait aussi du lest. En faisant miroiter le financement à 100% du dragage, en acceptant de céder la moitié des 360m2 du grand hangar qui lui servait d’abri pour les équipements motorisés et l’entreposage des marchandises en transit. Et ce n’est pas tout. L’ASC cède aussi les opérations de manutention et d’entreposage des marchandises du petit quai pour les liaisons maritimes inter-îles à la Société des Ports des Comores, qui devient manutentionnaire bis. Cela a toujours été ainsi depuis le début certes, mais cette fois la SPC renforce cette mission avec plus de prérogatives sur cette partie du port.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, depuis 1983, date de réception du port, il n’a bénéficié que d’un seul dragage en décembre 2009. Une opération qui aurait coûté 250 millions en partie supporté par le fond koweïtien pour enlever 50.000m3 de boue pendant 30 à 40 jours.
Pourtant, dans la documentation technique du port, il est stipulé que le port devrait être dragué tous les cinq ou six ans en vue de réduire les effets impactant de la rivière de Mutsamudu. Il a fallu attendre 27 ans pour que le gouvernement décide de draguer le port, le sécuriser, étendre la capacité d’entreposage et penser à des solutions en amont pour limiter les effets de la rivière tel un début de construction d’un avaloir à l’embouchure qui sert aujourd’hui de bassin de rétention.
À en croire Nourdine Abdou Petit, à l’époque du démarrage des travaux, cet avaloir n’était qu’une option palliative. Pour lui, « la solution définitive et efficace serait de détourner cette rivière en amont, à Hombo pour la rejeter à Pagé ou Mirontsy. De cette façon, faisant d’une pierre deux coups, on pourrait aménager l’ancien lit de la rivière en avenue pour desservir Hombo et prochainement Bandrankowa, la seule zone d’extension de la ville de Mutsamudu encore vierge. D’autant plus que cette rivière est devenue saisonnière ces derniers mois et ne coule qu’en saison des pluies. » C’était il y a 12 ans. Évidemment les données ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Mais, des solutions alternatives existent comme dévier le lit de la rivière entre les deux ponts vers la partie nord-ouest du port, place dite Minadzini ou assainir le lit de la rivière et mettre en place un dispositif adapté et permanent pour extraire les résidus des déchets, galets et sables qui ne seraient pas piégés par une série de mini barrages dits de retenus qui seraient déployés le long du lit de la rivière, mais jamais priorisées par les décideurs. C’est comme si tuer à petit feu ce port était inscrit sur le plan Émergence 2030.
Tout se joue dans les prochaines semaines. Il semble que le patron de la société Spanfrieight serait attendu à Moroni à la fin de ce mois. Il faudra donc prendre son mal en patience, car visiblement, si dragage il y a, ce sera probablement pour l’année prochaine. Après la signature promise par le gouvernement à l’ASC d’un nouveau contrat de concession en septembre 2021.