Nour El-Fath Azali, fils et conseiller du président comorien, un avocat proche du même président, Afif Mchangama, et une patronne comorienne, Farahate Mahamoud, sœur du ministre de l’Intérieur, Fakriddine Mahamoud Mradabi sont cités dans une des enquêtes du Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJI). Par MiB
Comme beaucoup d’autres personnalités mises en cause dans la création de sociétés offshores dans des paradis fiscaux, les trois Comoriens cités se sont retranchés derrière le déni et minimisent leur implication dans ces affaires.
Les territoires ou pays offshores sont des régions où il est facile de créer des entreprises, où les autorités ont rendu plus difficile l’identification des propriétaires des sociétés pour mieux attirer des investisseurs sans scrupules, des responsables politiques qui cherchent à cacher de l’argent soustrait à frauduleusement à l’économie de leurs pays et où la fiscalité est plus légère, ce qui permet de ne pas payer trop d’impôts. Les sociétés offshores peuvent donc permettre par exemple de cacher des fonds ou de faire des montages financiers par des sociétés-écrans pour cacher le nom de la personne qui achète telle résidence ou autres biens à l’étranger. Souvent, il s’agit pour les hommes politiques, particulièrement dans les régimes autocratiques, de pouvoir cacher qu’ils sont propriétaires de grandes fortunes dans d’autres pays. Ils peuvent ainsi mettre de côté des fonds à l’extérieur pour pouvoir éventuellement supporter les temps durs ou assurer l’avenir des enfants une fois qu’ils ne seront plus sur terre ou si par les aléas de la politique, ils subissent un coup d’État ou se retrouvent en prison.
Le souffle de Pandora papers
Posséder des sociétés secrètes dans un paradis fiscal comme Dubaï c’est pouvoir facilement dissimuler de l’argent issu d’activités illégales ou de fonds secrets qui devraient servir aux chefs d’État à rémunérer des collaborateurs ou à mener des opérations de sauvegarde de la démocratie et qui sont souvent détournés à des fins personnelles. Il faut le rappeler pour que ceux qui veulent défendre ceux qui sont pris la main dans le sac ne continuent pas à nous assener des « On ne trouve pas trace de fonds » ou des « la société n’a fait aucune activité ». C’est l’objectif premier de l’existence de ce genre d’entreprises ou de comptes offshores : faire en sorte de brouiller les pistes afin que les simples citoyens n’y voient jamais rien. Aucune activité suspecte.
Le souffle des « Pandora papers » est arrivé aux Comores par un article de la journaliste Hayatte Abdou, publié le 5 octobre dernier sur un site d’investigation basé en Afrique de l’Ouest, CENOZO. Dans cet article, il n’y a aucune accusation de détournement ou de blanchiment d’argent. Les faits sont posés comme les morceaux d’un pont en construction, mais non encore terminé. L’embarras des protagonistes y est exposé, nu.
Une fumée opaque
La journaliste explique que Farahate Mahamoud, ancienne présidente d’un syndicat de patrons (MODEC) et présidente de la société EGT fondée par son feu père Mahamoud Mradabi, a créé la société Select Cars Africa International Limited en 2016 et Nour El-Fath Azali, fils du chef de l’État qui est devenu depuis le 12 juin 2019 officiellement son conseiller pour les affaires économiques a fondé Olfant Limited en 2018. Les deux résidents comoriens ont eu recours à la même société spécialisée dans le montage de ce genre de société à Dubaï : SFM Company Formation DMCC. Et à chaque fois, le même homme joue l’intermédiaire dans la création de ces sociétés : l’avocat Afif Mshangama. Ce dernier était donné jusque-là comme un conseiller très proche du président Azali et avocat de l’État comorien. Interrogé dans le cadre de ces affaires, il nie en chœur avec le fils du président être son conseiller, une « confusion » explique-t-il.
Afif Mshangama reconnait tout de même avoir recommandé à Faharate Mahamoud les services de la SFM Company Formation DMCC et d’avoir payé pour elle les frais, un peu par hasard, car il était sur place à Dubaï. Par contre, il confirme être un partenaire dans la société de Nour El-Fath Azali.
Les explications sur la création et sur les activités de ces deux entreprises fantômes sont peu convaincantes de la part de Farahate Mahamoud et de Nour El Fath Azali. La première donne l’impression de ne même pas savoir de quoi il s’agit. Pourtant, elle est seule actionnaire de sa société. Elle prétend que celle-ci s’occupe de « vente de voitures et consulting dans le secteur de l’automobile” en France, mais la journaliste n’a trouvé aucune trace d’activité et la patronne est incapable de fournir des documents prouvant que la société vend des voitures ou fait du consulting, ce qui supposerait qu’elle a payé des taxes en France où elle prétend exercer son activité. Elle dit ne pas s’occuper de la gestion, mais refuse de donner le nom de la société à laquelle elle a confié la gestion. Lorsqu’elle dit à la journaliste qu’elle a « l’impression d’avoir fait quelque chose de mal », le lecteur en vient à se demander si cette société est bien la sienne ou si elle n’est, elle-même, qu’un prête-nom.
À l’ombre de papa
Quant au fils du président, il joue avec la journaliste. « Vous savez, au début, je ne voulais pas entrer en politique, je voulais faire du business. ». Après un MBA aux États-Unis, à 30 ans, il devient consultant puis rentre au pays en 2016 pour intégrer Exim Bank et participer discrètement à la campagne présidentielle de son père. Cela veut dire que jusqu’à l’âge de 32 ans, il n’est pas dans le business, par contre il est discrètement dans la politique aux côtés de son père. Et voici qu’en 2018, à l’âge de 34 ans, alors qu’il conseille dans l’ombre son père président, il crée Olfant Limited. Il prétend avoir fermé la société fantôme en 2019 au moment où il allait officialiser sa collaboration avec le chef de l’État, la journaliste découvre que celle-ci n’a été fermée qu’en 2020. Nour El-Fath Azali, non plus, n’a pas trop l’air de savoir grand-chose sur sa société.
La question demeure comme pour Select Cars Africa International Limited de Faharate Mahamoud : quels sont les documents qui montrent une activité de la société pendant ses deux ans d’existence ?
Le plus frappant quand on lit l’article de Hayatte Abdou c’est la capacité des trois protagonistes à jouer les ingénus et à prendre leurs interlocuteurs pour des imbéciles. Si l’on suit leur logique, ils ont créé des sociétés qui n’ont eu aucune activité ou alors ils les ignorent et ces sociétés n’ont pas de bilan ou alors ils ne sont pas au courant et ne veulent pas en faire une publicité alors. Ils ont créé des sociétés qui ne leur ont rien rapporté, donc ils n’ont payé aucun impôt, aucune taxe dans les pays où elles sont installées, et encore moins aux Comores. Et tout cela est pour eux et leurs soutiens, banal.
Dans deux posts sur son mur Facebook, l’avocat Moudjahidi Abdoulbastoi rappelle que si la loi comorienne n’interdit pas d’aller créer une société offshore dans un paradis fiscal, « L’article 7 du Décret N°87-005/PR du 16 janvier 1987, portant réglementation des relations financières entre les Comores et l’étranger, interdit la détention aux Comores, par un résident ou un non-résident, de valeurs mobilières étrangères et de tous titres représentatifs de créances sur l’étranger. Selon le même article, ces avoirs doivent être déposés obligatoirement chez un intermédiaire agréé par la Banque centrale des Comores ». Sans parler du fait que celle qui dit faire des affaires en France (ventes et consulting) a des obligations de déclaration et de payement de taxes dans ce pays et que cela devrait apparaître dans des bilans officiels et transparents.
Pour crédibiliser les paroles du fils du président qui ne passent pas, le journal de l’État est appelé à la rescousse et le Secrétaire de la Rédaction d’Alwatwan, Abdillah Saandi Kemba est catégorique : « L’investigation faite ne laisse apparaître aucune connexion avec des paradis fiscaux ou de milieux d’affaires suspects. On a d’ailleurs appris que certaines des sociétés en question [il n’y en a que deux connues, pour le moment], avant d’être fermées, n’avaient enregistré «aucune activité».
Aucune activité, aucun véritable siège social (sinon une boite aux lettres), pas de comptes ni bilans visibles sur internet… C’est ce qui devrait interroger un journaliste. Pourquoi créer une société dans un paradis fiscal et ne faire aucune activité, aucun bénéfice ?
Il n’y a eu aucune réaction du gouvernement à cet article, aucune réaction de la Justice comorienne. Seul le parti RIDJA demande dans un communiqué signé par son secrétaire général, Me Mze Mchinda, « l’ouverture d’une enquête judiciaire aux Comores et à l’étranger aux fins de déterminer avec objectivité l’origine des fonds placés sur les comptes bancaires de cette société et la nature et la sincérité des prestations fournies », visant ainsi surtout la société du fils du président Azali. Le parti de Me Larifou condamne cette pratique qui « encourage la corruption et les détournements des deniers publics. »