Ces derniers temps, il y a eu beaucoup d’interrogations sur les actions du ministère de la Culture. Mais, cela fait depuis longtemps que les artistes et les acteurs culturels se plaignent du manque de soutien de la part du ministère et de la Direction de la Culture. Par Nawal Msaïdié
Le 16 juin 2020, en pleine crise de la Covid-19, sous l’initiative de l’UNESCO est lancé un débat national appelé Resiliart/Comores. Ce débat est lancé avec deux objectifs : déterminer les contraintes auxquelles les artistes sont confrontés en raison des mesures de confinement actuelles et énumérer les mesures qui pourraient être mises en place par les gouvernements, les organisations internationales et le secteur privé pour soutenir les artistes pendant et après cette crise. Il se déroule en présence du ministre et de la directrice de la culture. Les acteurs de la culture y ont fait plusieurs doléances qui vont au-delà de la crise sanitaire. Ces doléances n’ont, à ce jour, toujours pas eu de réponse. La raison est sûrement le manque de politique culturelle criant dans notre pays.
Une institution aux abonnés absents
La culture est, depuis septembre 2020, sous la tutelle de M. Nourdine Ben Ahmed, ministre de la Jeunesse, de l’Emploi, du Travail, de la Formation et de l’Insertion professionnelle, des Sports, des Arts et de la Culture. La Direction des Arts et de la Culture est donc le service de l’État assurant l’exécution des missions régaliennes liées à la culture. Sa responsable est Mme Wahidat Hassani. Bien qu’elle n’ait aucun pouvoir décisionnaire, elle est la première interface vers laquelle se tournent les acteurs et les partenaires potentiels.
Les autres institutions qui traitent des questions culturelles sont le CNDRS qui abrite le musée national et le ministère de l’Environnement qui à la charge du patrimoine bâti.
Nous avons pris contact avec plusieurs responsables du ministère et de la direction de la Culture pour essayer de comprendre leurs rôles, missions et projets, mais nos questions n’ont eu aucun retour.
La plupart des artistes et acteurs du monde culturel aux Comores notent le manque de soutien de la part du ministère ou de la direction de la Culture. « Il n’y a aucune politique culturelle, pas d’aide aux artistes, pas d’orientations culturelles au niveau de l’État », affirme Youssouf Abdoul-madjid, attaché de production.
La comédienne Sitti Thouraya Daoud dit même qu’elle ne les jamais sollicités, car ses ainés dans la Culture « disaient toujours qu’ils ne faisaient rien pour les artistes ». Pourtant, elle a déjà pu constater ce manque de soutien dans plusieurs circonstances. « Je peux raconter l’histoire d’un artiste plasticien, réalisateur comorien qui devait partir pour une résidence artistique et un tournage de film à l’île Maurice et en Égypte. Il avait déposé des lettres de demande d’appui financier un peu partout, au Ministère et à la Direction de la Culture, malheureusement il n’a pas eu de réponse. Grâce à des cotisations de ses amis, l’artiste a pu partir honorer ses rendez-vous et représenter son pays. Je sais aussi que si le Comoros International Film Festival (CIFF) est mort en sa deuxième année, c’est parce que le ministère et la Direction de la culture n’ont rien fait pour que ça continue ».
Akeem Ibrahim (Washko), danseur, chorégraphe et metteur en scène de la Compagnie Uni’Son est du même avis : « Le ministère de la Culture ne m’a jamais soutenu et ce n’est pas faute de l’avoir sollicité que ce soit pour les événements que je mets en place ici ou des structures que je souhaiterais créer. Toutes mes requêtes sont restées sans réponses. Une fois, j’ai reçu des gradins gratuits de la Réunion. Ils ont été bloqués à la douane, je les ai sollicités pendant 1 an et demi en vain. J’ai fini par payer moi-même le dédouanement ».
Un chercheur et spécialiste du domaine, qui a requis l’anonymat abonde dans le même sens : « Le ministère ou plutôt le ministre nommé par le chef de l’État se dédouane de ses responsabilités. Il renvoie systématiquement à la Directrice de la culture et cette dernière avec l’ensemble de son personnel sont systématiquement fermés à quasiment toute aide aux chercheurs : consultation de documents, de bilans, accords des interviews, etc. La Direction de la culture manque de transparence sur tous les plans susmentionnés. Son « non » systématique de coopération empêche la réception des idées pouvant aider à améliorer cette Direction. »
Des propositions pour rendre plus efficaces les actions du ministère
Youssouf Abdoul-madjid ajoute : « Nous avons reçu très peu de financement dans notre structure. Parfois, tu ne sais même pas si le ministère a une réelle existence ». Il essaie de comprendre la situation actuelle : « La direction essaye de faire beaucoup de choses, mais malheureusement elle n’a aucun pouvoir de décisions. Le ministre de tutelle est plus porté sur le sport ».
Bien qu’ils ne soient pas écoutés, chacun de ces artistes ou acteurs culturels fait des propositions pour rendre le ministère plus efficace. « Je pense qu’il faudrait créer un grand département de la culture qui permettrait de mettre le secteur en lumière, explique Youssouf Abdoul-madjid. L’expérience du FACC et du CIFF montre néanmoins que si le ministère demande des aides exceptionnelles, certains événements peuvent obtenir le soutien entier de l’État. Le ministère devrait pouvoir avoir une mission d’information : dire aux acteurs culturels qu’ils disposent de formations, d’opportunités, de moyens de représenter les Comores à l’étranger. Il devrait pouvoir établir une politique culturelle où on sait quels arts sont mis en avant, une planification du secteur culturel. Il faudrait plus de valorisation, un budget d’aide à la création, à la production et à la diffusion. »
Le réalisateur Said Ali Said Mohamed entrevoit ce qu’il faut faire à travers les échecs de la politique culturelle actuelle : « En fait la direction de la culture ne joue pas son rôle premier, celui d’accompagner les acteurs culturels pour un rayonnement de notre patrimoine culturel ne serait-ce qu’au niveau national. Nous avons eu une succession de décideurs politiques et d’autorités étatiques qui ne sont pas sensibles à la culture. Maintenant on peut regarder de plus près le budget de l’État et visualiser la quote-part dédiée à la culture ou bien les documents stratégiques, le plan « Comores émergent », le plan de développement intérimaire, etc. La part consacrée à la culture dans ces documents de référence démontre bien à quelle place est reléguée la culture ».
Pour Sitti Thouraya Daoud, « la mission essentielle du ministère de la Culture est de rendre accessibles les œuvres d’art. Il devrait conduire une politique de sauvegarde, de protection et de mise en valeur du patrimoine culturel. Il devrait encourager la création des œuvres de l’art, définir, coordonner et évaluer la politique du gouvernement relative aux arts du spectacle vivant et aux arts plastiques. Il doit veiller aussi au développement et la diffusion de la création audiovisuelle, et encourager la diffusion des programmes éducatifs et culturels. Le ministère doit favoriser le développement des pratiques et des enseignements artistiques, encourager les initiatives culturelles locales et développer les industries culturelles. »
Au-delà du manque de dynamisme et de soutien aux artistes, les fonctionnaires du ministère de la Culture ne semblent pas entrevoir les possibilités d’évolutions économiques de ce secteur. Dans le contexte de chômage élevé, le ministère pourrait créer de nombreux emplois dans le domaine de la médiation du patrimoine ou dans l’artisanat, avec des travailleurs ayant un réel statut de travailleurs. Pour l’instant les métiers culturels recensés aux Comores sont ceux des acteurs du spectacle vivant, ceux d’artisans considérés comme des ouvriers manuels ou de quelques agents du CNDRS. La prise en charge réelle de nouveaux lieux touristiques avec des gestions maitrisées (lieux du patrimoine sauvegardés et valorisés, lieux de diffusion et de création divers et variés…) pourrait aussi permettre au ministère de participer à la résorption du chômage.
Le ministère de la Culture ne peut se développer sans une politique de mise en avant planifiée de la culture propre aux Comores en lieu et place de vouloir se calquer sur des modèles extérieurs. L’émergence d’une culture ayant sa propre identité permettrait une valorisation et une promotion des Comores tout à fait inédite.